Au vu du traitement médiatique très décevant réservé à la campagne, au moment de choisir entre live-tweeter la soirée TV du premier tour depuis mon canapé ou partir arpenter le pavé parisien, je n’ai pas hésité. Et j’ai d’ailleurs bien fait, puisque le meilleur live est incontestablement celui de Titiou Lecoq pour Slate. Je donne le lien à la fin, sinon je sens qu’y en a qui vont se dissiper et j’ai des trucs importants à dire.
L’annonce des résultats : euphorie, soulagement et déception
Plutôt que de zapper entre les différentes chaînes s’efforçant de meubler en attendant 20h, je suis donc allée braver les éléments (il semblerait qu’à chaque fois que je tente une incursion dans le camp socialiste, la météo décide de me compliquer la tâche). Fièrement parée de mes vêtements les plus rouges, notamment d’un t-shirt “Ouvrons la Porte au Changement”, je débarque tardivement (19h50) dans une rue de Solférino noire de monde.
À l’annonce des résultats, c’est l’explosion. Les réseaux sociaux ayant fonctionné à plein régime depuis 18h, le suspense n’y était pas vraiment, mais le soulagement est palpable : le candidat socialiste arrive en tête. Rien n’est gagné, mais cette annonce est une bouffée d’air pour tous ces militants, ces sympathisants qui ont retenu leur souffle pendant ces dernières heures. Tant d’efforts récompensés par une première place (méritée).
Eva Joly prend la parole. Avant qu’elle puisse appeler au rassemblement derrière François Hollande, Pujadas rappelle le direct sur son plateau, s’attirant les huées de la foule rue de Solférino. Décidément, dans cette campagne, “Puj’” n’en rate pas une, et il serait pourtant pressenti pour animer le(s) débat(s) de l’entre-deux tours en compagnie de Laurence Ferrari…
20h25. Nous sommes silencieux, suspendus aux lèvres de Jean-Luc Mélenchon. Lorsqu’il prononce enfin les mots « battre Sarkozy« , la foule exulte, le soulagement est palpable : nous ne sommes pas adversaires.
Des télés et radios étrangères recherchent des témoignages. Plus rouge que la Rose, je me prête au jeu, et pas simplement pour me la péter à la télé irlandaise avec mon accent anglais (EH OUAIS). Surtout pour faire passer un message : la France n’est pas fière des 20% de Marine Le Pen et les socialistes ne s’en réjouissent pas.
Nous attendons l’intervention de François Hollande depuis son fief corrézien. La nuit est tombée, mais ce froid automnal ne décourage pas l’attroupement aux pieds de l’écran géant. Lorsqu’enfin le candidat prend la parole, chacune de ses phrases est ponctuée d’applaudissements.
https://www.youtube.com/watch?v=3g1PJoJCCU0
22h. Accompagnée des bloggeurs et twittos des Ripostes Parties et de l’équipe numérique (voir l’interview d’Ambre), je rejoins le QG de l’avenue de Ségur. Si le score du candidat socialiste est plus que satisfaisant, celui de Marine Le Pen plombe l’ambiance.
Une ombre au tableau
Davantage qu’un trouble-fête, le score de Marine Le Pen est une tache sur le visage de la France, une balafre sur la joue de Marianne. Peu importent finalement les chiffres exacts, car le constat reste le même : parmi toutes les options disponibles, le troisième choix le plus fréquent est l’extrême-droite. J’aurais voulu pouvoir accuser ces fichus abstentionnistes, cette masse inconnue et anonyme, mais non, même pas : nous avons atteint le troisième taux de participation le plus haut de la Vème République.
Aucune excuse. Les électeurs ont joué le jeu démocratique et le Front National s’impose en “3ème homme” de cette élection présidentielle. C’est cela qui sanctionne réellement le quinquennat de Nicolas Sarkozy. La stigmatisation de nos concitoyens à travers ces débats indignes autour de “l’Identité Nationale”, qui, sous couvert de laïcité, parlaient de discrimination, se solde aujourd’hui par un vote décevant, mais pas surprenant, en faveur de la haine. Jamais un président sortant n’avait été devancé par son challenger au soir du premier tour : c’est une victoire pour les socialistes. Le score de la droite républicaine rassemblée est inférieur à celui du seul candidat socialiste : c’est une claque pour Nicolas Sarkozy. Le Front National de Marine Le Pen totalise près de 20% des suffrages : c’est une désolation.
La trahison des « imbéciles »
À la veille du premier tour, je découvrais que la ville qui m’a vue grandir, ma ville, est devenue une espèce de vitrine pour le Front National : bienvenue à Saint-Avold, en Moselle, où Marine Le Pen arrive en tête avec 27% des suffrages. Un village de carte postale : sa mairie, son clocher et son école primaire. Pas de banlieue ni de cité. Les seuls immigrés sont des Italiens, Polonais et Portugais implantés depuis deux ou trois générations.
Après la colère et le choc éprouvés à la découverte des résultats, j’ai digéré ma rancoeur et j’ai pris le temps de réfléchir. Même si les Guignols m’ont fait sourire, je sais que le score du FN ne se résume pas au “vote des imbéciles”. Mes anciens camarades de classe, mes professeurs, mes voisins, mes amis, ma famille (ou du moins certains de ses membres) ne sont pas des imbéciles. Mais ils ont certainement été abusés.
Voilà ce que m’inspirent les 18% de Marine Le Pen : une trahison. Celle des responsables politiques qui ont laissé des régions entières dépérir : oui, impulser et accompagner la reconversion économique de tout un bassin d’emploi, c’est difficile. La Lorraine n’attendait pas de miracle, mais elle ne méritait pas l’abandon. Repenser l’urbanisme des « cités » pour recréer du lien social, c’est un défi. Les banlieues n’attendaient pas une révolution-éclair, mais elles ne méritaient pas qu’on leur déclare la guerre.
Je n’en veux pas à Nicolas Sarkozy de ne pas avoir tenu ses promesses d’une France où “tout devient possible”, compte tenu de la crise mondiale à laquelle il a dû faire face. Mais je ne lui pardonnerai pas d’avoir désigné au sein de notre pays des boucs émissaires à blâmer. Je ne pardonnerai jamais au Président, à Claude Guéant, à Patrick Buisson, à ceux qui ont soufflé sur les braises de la colère et du désarroi des victimes de cette crise un vent de haine et de suspicion.
À force de parler du halal dans les cantines, du voile et des horaires de piscine comme s’il s’agissait de signes avant-coureurs d’un “déclin” de notre “identité nationale”, de cette France des campagnes et du terroir, que ces brillants stratèges ne connaissent que par ses cartes postales, ignorant tout de sa réalité.
À force de parler d’immigration et d’intégration comme d’un “problème” en se trompant de métaphore. On nous demande si un père qui peine à nourrir ses propres enfants doit se saigner pour nourrir ceux des autres ; je demande si une famille qui peine à nourrir ses enfants doit affamer les petits derniers, les plus faibles, et privilégier les aînés ? Que ces défenseurs auto-proclamés de “la famille” ne se gênent pas pour me répondre.
À quoi bon invoquer avec tant d’insistance les “racines chrétiennes” de la culture française si c’est pour en renier sa principale vertu, la charité ? À quoi bon invoquer la prétendue “supériorité” de notre “civilisation” si c’est pour fouler aux pieds son principal pilier, l’humanisme ?
Ces « oubliés » dont on se dispute les voix
Revenons à la campagne. À 21h30, Nicolas Sarkozy en appelle “à ceux qui placent l’amour de la Patrie au dessus des considérations partisanes”. Le ton est donné.
Mardi 24 avril, François Hollande s’exprime dans le quotidien Libération : “C’est à moi de convaincre les électeurs du FN”. En s’étant positionné dès le début de la campagne comme le candidat du rassemblement, il est effectivement le mieux placé pour fédérer tous les « enfants de la République », y compris les exclus, les oubliés. Tous ceux qui font la beauté et la diversité de la France, celle qui était déjà descendue dans la rue, en 2002, contre un autre Le Pen, celle des villes et des campagnes, des “Bretons, des Corses, des Occitans, des polak, des portos, des ritals et des espingouins, [celle des] youpins, des nègres, des bougnoules, [et des] norvégiennes ménopausées”. Il y a de la place pour tous ceux-là au banquet du 6 mai. Je ne sais pas si le menu sera halal, casher ou auvergnat, mais peu importe : dans un grand repas, c’est le partage qui compte.
J’ai relu, pour le plaisir et le réconfort, le témoignage de Jack Parker : “Je suis arabe et je ne vous veux aucun mal”. Eh bien moi je suis française et je refuse qu’on fasse de ma nationalité un critère pour trier mes voisins et mes amis, pour séparer “eux” de “nous”. Celui qui promettait en 2007 qu’“Ensemble, tout [serait] possible” a bien tracé les contours de cet “ensemble”, jusqu’à m’en donner la nausée. Je comprends l’égarement de mes voisins à Saint-Avold, et de tous les autres. Moi non plus, ces cinq dernières années, je ne me suis pas vraiment sentie “chez moi”, vous savez. Je reconnaissais de moins en moins ma France, celle de “Liberté, Égalité, Fraternité”. J’ai pensé la quitter, mais je faisais erreur : ce n’est pas à moi de partir. Ne vous trompez pas de coupable. Le 6 mai, votez.
Retour au QG de l’avenue de Ségur. Il est un peu plus d’une heure du matin quand François Hollande arrive au premier étage, accueilli en vainqueur sous les applaudissements et les encouragements. Le temps de serrer des mains, de remercier. Un soutien pour lui, et pour nous. Ces quelques minutes d’euphorie ont été réconfortantes après cette « victoire » intermédiaire au goût décidément… amer.
“Vivement Mai”.
PS : comme promis, remontons-nous le moral avec le live de Titiou. Fous rires garantis.
Les Commentaires
C'est un trop grand honneur
A vrai dire j'aimerais témoigner, vous parler de mon fils ma bataille, mais en fait, mes idéaux politiques sont encore assez vagues et j'ai plus grande gueule que grandes idées.
De plus, je suis majeure-1, donc pour témoigner, visiter les camps politiques comme une grande fille c'est nettement trop tôt. Pour moi l'avenir de mon pays c'est mes études et planifier mon accès à la richesse modeste que j'ambitionne.
C'est donc non... Pour le moment
Mais d'ici 5 ans, je serais là