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Après des décennies à s’obstiner sur l’épisiotomie, la France sortirait-elle enfin du réflexe ciseaux ?

L’épisiotomie, cette incision du vagin qui peut être pratiquée pendant un accouchement, est source d’angoisse pour beaucoup. Et son utilité est de plus en plus questionnée.

L’épisiotomie, très courante dans les décennies passées, est maintenant décriée. On est passé du « tout-épisio » à un objectif presque « zéro-épisio ». Alors histoire de vous aider à y voir plus clair, avec l’aide d’Anna Roy, LA sage-femme, on vous explique où nous en sommes de cette méthode aujourd’hui.

L’épisiotomie, qu’est-ce que c’est ?

L’épisiotomie est un acte médical qui peut être pratiqué durant un accouchement. Très répandu dans les années 1980 et 1990 en France, où il a perduré de façon massive jusque dans les années 2010, il est de plus en plus décrié par le corps médical, pour lequel il n’a lieu d’être qu’en de rares cas.

Anna Roy explique à Madmoizelle de quoi il s’agit précisément :

« C’est une incision dite médio-latérale — c’est-à-dire sur le côté — qu’on pratique entre le vagin et l’anus, pas sur toute la longueur, qu’une sage-femme ou un médecin pratique à l’aide d’un ciseau chirurgical. On va couper la peau, le vagin, et une partie des muscles périnéaux. »

L’épisiotomie peut être pratiquée à la toute fin de l’accouchement, pendant la délivrance, lorsque la tête du bébé se présente. Pour Anna Roy, le risque de déchirure, même complexe, ne la justifie pas. Il n’y a qu’une seule raison qui nécessite cet acte :

« Quand le bébé ne va pas bien dans la toute dernière ligne droite ! Quand il y a une altération du rythme cardiaque. On le voit au monitoring. C’est pour accélérer le rythme de sa sortie. Ça agrandit l’espace par lequel il passe et ça accélère sa sortie. »

Il est maintenant admis que ce geste ne permet pas de prévenir les déchirures graves et complexes, ni d’empêcher l’incontinence urinaire ou anale – phénomènes qui restent cependant très très rares, rassurez-vous. Une étude a même montré que « la réalisation d’une épisiotomie médiane non seulement ne protégeait pas le périnée postérieur au cours de l’accouchement, mais s’accompagnait d’un risque accru d’incontinence anale ».

Le temps moindre de suture, une fois l’accouchement terminé, était aussi parfois un motif avancé pour pratiquer cette incision, même s’il ne constitue absolument pas une raison valable. Anna Roy nous explique :

« Parfois c’est juste parce que ça va plus vite, une suture droite à la place d’une suture biscornue. »

Ce n’est donc que depuis peu que la seule raison valable de pratiquer une épisiotomie est la santé du bébé. Les déchirures — si déchirures il y a — qui sont dites « naturelles » nécessitent plus de temps pour recoudre mais cicatrisent mieux et ont moins de conséquences néfastes sur le bien-être des personnes ayant accouché.

Les difficultés du post-partum

Le post-partum peut être une période complexe, tant d’un point de vue psychique que physique. En 2020, des femmes témoignaient à l’aide du hashtag #monpostpartum. Une des fondatrices de ce mouvement, Illana Weizman, a écrit un livre passionnant à ce sujet, Ceci est notre post-partum, qui détaille ce qui se passe durant cette période.

Certaines difficultés sont liées à la cicatrisation des sutures de déchirures, qu’il y ait eu une épisiotomie ou non, qui peut causer des tiraillements, des picotements et même très souvent des douleurs pendant quelques jours et même parfois quelques semaines.

L’épisiotomie : un peu d’histoire

Cet acte chirurgical existe depuis le 18e siècle mais cela fait quelques décennies que l’on pratique de façon massive l’épisiotomie. Et cela pour plusieurs bonnes raisons : on croyait protéger le sphincter de l’anus… on sait maintenant que ce n’est pas le cas ! Anna Roy nous explique :

« C’était recommandé par les autorités médicales. Ça peut paraître fou ! Ça a coûté le périnée de centaines de milliers de femmes… »

Encore au début des années 2000, les chiffres étaient élevés :

« En 2005, le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) publie des recommandations dans lesquelles il prend acte qu’il n’y a pas d’indications prouvées à l’épisiotomie systématique et propose de viser un taux global de 30% d’épisiotomies au lieu des 47% constatés à l’époque. »

Mais les taux d’épisiotomie diminuent ensuite, suivant les recommandations de bonnes pratiques, passant de 27% en 2010 à 20% en 2016.

Quelles conséquences après une épisiotomie ?

Les personnes ayant eu une épisiotomie ressentent souvent des désagréments physiques plus importants peu après l’accouchement que lorsque la déchirure est « naturelle », comme des douleurs plus fortes et une cicatrisation plus lente.

On a suffisamment de recul maintenant pour analyser les conséquences des épisiotomies sur le long terme. Anna Roy nous parle des répercussions sur ses patientes. Certaines lui disent les dégâts causés, comme le témoignage qui suit :

« J’ai eu ma vie sexuelle flinguée ! »

Quelques mots qui en disent long sur les possibles suites dramatiques de certaines épisiotomies.

Le point du mari, légende urbaine ou réalité ?

Avec la libération de la parole sur le sujet des violences gynécologiques et obstétricales, des témoignages ont porté sur l’épisiotomie – et le manque de consentement des patientes – et sur le « point du mari ». Mais qu’est-ce que c’est ?

Une épisiotomie est une incision (entre 2,5 et 5 cm), il faut donc recoudre après l’accouchement. Le « point du mari » est un geste qui consisterait à suturer de façon plus serrée, en ajoutant un ou plusieurs points, dans l’idée qu’un vagin plus étroit augmentera le plaisir masculin, d’où le nom.

Aussi fou que cela puisse paraître, ce n’est pas une légende urbaine, et il a existé quelques cas, comme nous l’explique Le Monde.

Anna Roy nous dit ne jamais avoir vu sur ses patientes de « point du mari » mais avoir eu connaissance de patientes victimes de cette aberration :

« Des gynécologues le disaient aux patientes. Et des femmes ont dit “merci”. Car ils présentaient ça en disait que ça allait être beaucoup mieux pour la sexualité. Par défaut d’informations, elles acceptaient, c’est terrible ! Ce sont des comportements qui se dissipent, bien entendu. »

Sauf lorsque cela est énoncé clairement par le praticien, et cela a donc été le cas, il est difficile de savoir si cette suture très serrée est volontaire on non – même si des bruits de couloir dans certains services ont circulé en ce sens.

Laurie, 28 ans, s’est confiée à Madmoizelle :

« Lorsque je suis allée voir ma sage-femme après mon accouchement, elle m’a dit, par abus de langage sans doute, que j’avais eu le “point du mari”. En tout cas, j’avais été recousue trop serrée mais cela allait s’assouplir par la suite et il n’y aurait pas de conséquences, m’a t-elle dit. J’avais toute confiance en la personne qui m’avait recousue, après des déchirures naturelles. J’avais su que ça n’avait pas été facile. »

Nasrine Callet, gynécologue à l’institut Curie, l’expliquait à Marianne :

« Le problème, c’est qu’il n’y a pas de technique proprement dite. Les sutures dépendent du médecin. Il y en a qui les font bien, mais d’autres qui serrent trop par exemple, ce qui provoque des douleurs physiques.

La France, légèrement en retard

La France n’est clairement pas première de la classe dans ce domaine en Europe – avec l’Allemagne, Chypre et la Pologne comme autres mauvais élèves aux taux d’épisiotomie élevés. Elle s’est obstinée à continuer de façon massive la pratique de cet acte.

L’OMS, en 1997, alertait déjà en préconisant de réduire « au strict minimum les techniques traumatiques telles que l’épisiotomie », et en 2008, elle indiquait à nouveau qu’il fallait « mettre un terme à la pratique excessive ».

En Angleterre, entre 2009-2010, 8% des femmes qui ont eu un accouchement par voie basse spontané ont eu une épisiotomie. Anna Roy nous le dit également :

« Les Anglais nous avait prévenus, la France s’est obstinée. On a continué. »

La sage-femme souhaiterait d’ailleurs un mea culpa de la part des autorités médicales françaises.

Prise de conscience collective et consentement

À partir du milieu des années 2010, la parole s’est libérée sur le sujet des violences gynécologiques et obstétricales et les témoignages ont afflué vers les médias, notamment après le hashtag #PayeTonUtérus, tentant de mettre la lumière sur le consentement lors des examens et des accouchements.

À cette occasion, la pratique encore très courante de l’épisiotomie avait été remise en cause. Dans le corps médical, des voix s’élevaient également et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) avait annoncé lors de son congrès annuel en 2018 que les pratiques entourants l’épisiotomie devaient changer .

Dans un rapport du Haut conseil à l’égalité femmes-hommes (HCE) paru en 2018 également, il est inscrit :

« Une femme sur deux sur laquelle une épisiotomie a été réalisée déplore un manque ou l’absence totale d’explication sur le motif. »

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(© Unsplash/Stephen Andrews)

Une pratique à bannir ?

Dans le même rapport datant de 2018 était également indiqué que les taux d’épisiotomie étaient très variables en fonction des établissements, allant de « 0,3 % (dans telle maternité de type 3 – accueillant les grossesses pathologiques et à grands risques) à 45 % (dans telle maternité de type 1 – accueillant des grossesses normales ou à bas risque) » !

Souvent mis en avant pour ses bonnes pratiques, le CHU de Besançon a un taux inférieur à 1% d’épisiotomie pour ses accouchements. Dans certains hôpitaux, il faut maintenant justifier d’une cause lorsque l’on fait une épisiotomie, avoir une bonne raison alors qu’auparavant, c’était l’inverse, la justification devait se faire si l’épisiotomie n’était pas pratiquée.

La prise de conscience doit se faire de façon collective – par les autorités médicales, les centres hospitaliers, les cursus de formations – et de façon collective, autant de la part de ceux et celles qui pourraient la pratiquer que des femmes enceintes et des parturientes.

Anna Roy nous parle de sa pratique : elle a fait seulement quatre épisiotomies sur les milliers d’accouchements qu’elle a pratiqués ! Durant ses études, il y a dix ans, on recommandait déjà de ne plus la pratiquer automatiquement. Elle l’explique sans fard :

« Il faut sortir les ciseaux de la pratique de l’accouchement. »

Les personnes enceintes ne doivent pas hésiter non plus à demander avant le jour J quelle est la politique de l’établissement — ou du professionnel qui accompagne la grossesse — sur l’épisiotomie. L’échange étant plus facile au préalable que durant l’accouchement.

Il est aussi possible de se renseigner et de choisir sa maternité en prenant en compte ce critère. Les taux d’épisiotomie par établissement sont maintenant consultables en ligne. Comme nous l’apprend un sondage réalisé par La Maison des maternelles et France 5, les femmes ne sont pourtant que 4% à choisir une maternité en fonction de son taux d’épisiotomie et de césariennes. Le premier critère étant la proximité et on peut le comprendre !

épisio
Les chiffres publiés par l’hôpital Port-Royal à Paris.

Alors que beaucoup de personnes vivent encore les conséquences dramatiques d’épisiotomie réalisées sans bonnes raisons, à l’aune de nos connaissances actuelles, la prise de conscience récente, qui a entraîné un changement dans les pratiques, est très rassurante pour les gens qui vont accoucher dans le futur !

Les sages-femmes, qui sont en première ligne mais ne bénéficient pourtant pas de suffisamment de reconnaissance, accompagnent les futurs parents avec respect et bienveillance et beaucoup essaient d’informer les personnes enceintes sur ce qu’est une épisiotomie et dans quels rares cas il faut la pratiquer, pouvant calmer les craintes à ce sujet.

Récemment, nous vous proposions un article sur À la vie, beau documentaire sur Chantal Birman, sage-femme féministe iconique. Une revalorisation du statut des sages-femmes a été annoncée par le gouvernement il y a quelques jours mais cela semble pas suffisant. Alors pour toutes ces raisons, on les soutient dans leur lutte.

À lire aussi : #MonPostpartum : ce qui arrive au corps après l’accouchement

Image en une : © Unsplash


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

8
Avatar de KrissdeValnor
30 novembre 2021 à 17h11
KrissdeValnor
Perso, quand j’ai dû choisir ma maternité le taux d’épisiotomies était mon critère #1, je n’en ai pas eus, mais j’ai eus une giga déchirure naturelle, la suture reste mon pire souvenir de l’accouchement
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