On commence à bien connaître les pratiques de géants de la fast-fashion, capables de copier des vêtements de grandes maisons de mode qui viennent de défiler (et se retrouvent donc à la vente six mois plus tard, généralement) pour en proposer des dupes à peine quelques semaines plus tard.
On pourrait y lire une forme de démocratisation du luxe que de s’inspirer de puissants groupes qui ont largement les moyens de se défendre d’un point de vue juridique, pour en proposer une version plus accessible… si ces Robins des Bois du style ne produisaient pas dans de mauvaises conditions, et incitaient à l’hyperconsommation, en dépit de la santé humaine et de celle de la planète.
SHEIN, la marque d’ultra fast-fashion qui enchaîne les affaires de plagiat
Désormais, on parle carrément d’ultra fast-fashion pour désigner d’autres acteurs de l’industrie textile, capables d’imiter absolument tout ce qui existe sur le marché — y compris de jeunes designers indépendants, voire des étudiants en école de mode, qui ont beaucoup moins les moyens et connaissances de défendre leurs droits que des marques de luxe établies.
Outre le groupe Boohoo (Pretty Little Thing, Nasty Gal), l’autre acteur majeur de l’ultra fast-fashion c’est, SHEIN, marque chinoise régulièrement épinglée dans des histoires de copies. Mais cette fois, c’est pour une raison beaucoup plus surprenante qu’elle fait parler d’elle : elle organise son propre concours de talents mode…
Une nouvelle aussi improbable qu’alarmante sur l’état de la mode, son avenir, et la précarité de ses talents.
Une compétition mode sortie de nulle part qui sent les gros billets
Pour tenter de s’acheter une crédibilité mode, SHEIN a fait appel à un jury sans doute (très) onéreux à embaucher : l’influenceuse de la téléréalité Khloé Kardashian, le créateur Christian Siriano, l’ancienne directrice artistique de l’enseigne J.Crew, le styliste de Zendaya notamment Law Roach (qui préfère d’ailleurs être désigné comme « Image Architect®️ », expression devenue marque déposée par ses soins…), et la directrice de la mode du magazine InStyle Laurel Pantin.
La compétition se baptise SHEIN X 100K Challenge. Comprendre : il y a 100.000 dollars à gagner. Ne nous encombrons pas à faire semblant de titrer sur le fait qu’on cherche un talent de la mode. : non, on aligne la thune pour faire parler de la marque, et il faut que ça se voie ! Tout est donc dit dès le titre.
Cela se déroule en 4 épisodes présentés comme un télécrochet, diffusés sur les réseaux sociaux de la marque à partir du 22 août 2021.
De quoi attirer l’attention de l’industrie de la mode avec des insiders reconnus pour leur talent, mais aussi un plus large public peut-être plus intéressé par la dimension people de quelqu’un comme Khloé Kardashian… Cela signale aussi une volonté de gagner en visibilité et notoriété de marque pour SHEIN, qui vient d’ailleurs de dépasser en mai 2021 l’application d’Amazon au classement des apps mobiles de shopping les plus téléchargées aux États-Unis.
Forcément, face à une telle opportunité d’exposition et pour les 100.000 dollars à gagner, beaucoup de talents ont sûrement candidater. Sauf que SHEIN est justement connue pour s’inspirer un peu trop librement de tout ce qui existe et se montre un tant soit peu créatif sur Internet.
Pourquoi s’associer à une marque si louche sur les plans sociaux, environnementaux, et légaux ?
Les questions de propriétés intellectuelles et de contrefaçons se configurant différemment en fonction des pays, qu’en sera-t-il pour une telle compétition, organisée par une marque chinoise, en ligne, avec des talents internationaux, face à un jury américain, si ce n’est une complication supplémentaire pour faire valoir ses droits en cas de litige ?
En plus des limites de protection du droit d’auteur et du peu de marge de manoeuvre dont disposent les talents éventuellement copiés, SHEIN reste une marque peu transparente sur ses conditions de production, autant sur les plans sociaux qu’environnementaux. La marque suscite carrément l’inquiétude des gouvernements britanniques et australiens autour de questions d’esclavage moderne, comme le rapportait le 6 août 2021 Reuters.
C’est d’ailleurs ce timing qui amène à se demander si cette compétition n’aurait pas également l’avantage de servir de vaste écran de fumée et de sequins pour masquer de si fâcheuses accusations.
Tous ces éléments montrent bien que malgré toutes les casseroles que se traîne SHEIN, la marque pourra toujours aligner les chèques pour embaucher un jury prestigieux onéreux à la conscience monnayable (et qui a déjà fermé l’espace commentaire de leurs publications Instagram sous les torrents de messages indignés à l’annonce de leur participation), et pour attirer des candidats sans doute tellement précaires, peu soucieux et/ou conscients de leurs droits qu’ils en viennent à envisager de dessiner dans la gueule du loup.
Preuve effarante du grand écart éthique et économique qui existe entre les intentions de la mode pour devenir plus responsable, et la réalité face au bon nombre de billets. L’argent n’a pas d’odeur, mais sa couleur sera toujours de saison.
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