À 52 ans, Edward Enninful a quitté la rédaction-en-chef du British Vogue qu’il assurait avec brio depuis 2017 jusqu’à sa dernière couverture pour mars 2024, pour laquelle il a réussi l’exploit de réunir 40 personnalités qui ont jalonné sa carrière. Cela fait près de trente ans qu’il fait et défait la mode, d’abord comme mannequin (dès 16 ans), puis comme styliste (dès 18 ans chez i-D), et maintenant comme sommité de l’industrie (passée par les Vogue US et italien, et W, alors tout le monde ou presque se demande quelle sera la prochaine étape de sa carrière. Alors que les rumeurs le voient prendre la relève d’Anna Wintour (actuellement directrice du contenu de tout Condé Nast et directrice éditoriale mondiale de Vogue), Edward Enninful surprend son monde en exposant Robert Mapplethorpe en marge de la fashion week automne-hiver 2024-2025 à Paris.
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Edward Enninful et la photographie, c’est bien plus qu’une histoire de mode et de mannequin
En effet, dans la galerie parisienne de Thaddaeus Ropac, accueille sa vision du scandaleux photographe (né en 1946 et décédé en 1989) qui capturait les scènes de sexe BDSM avec la même minutie que ses natures mortes d’orchidées. En tant qu’homme noir lui-même, Edward Enninful a aussi voulu questionner la dimension fétichiste de l’artiste états-unien également connu pour ses clichés aussi érotiques qu’objectifiant de nus noirs masculins, en particulier du prof de fitness Ken Moody. Auprès du Guardian, Edward Enninful se remémore avoir découvert ces clichés quand il était ado et les réflexions qu’elles lui inspirent encore :
« J’étais alors un mannequin à la peau foncée et chauve. Je me voyais dans Ken Moody. J’ai adoré la façon dont Mapplethorpe utilisait la lumière. C’était si puissant qu’on avait envie de toucher l’image. On avait le sentiment que quelque chose de nouveau et d’incroyable se produisait dans son travail. […] Tout au long de l’histoire, les hommes noirs ont été représentés de nombreuses manières. Nous avons été habitués à créer certaines des images les plus emblématiques. Nous devons poursuivre le débat sur l’objectivation. Mais nous devons nous attaquer aux images qui définissent les hommes et les femmes – elles ne peuvent pas être limitées aux hommes noirs. »
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Edward Enninful expose Robert Mapplethorpe à Paris pour interroger nos représentations
Priver les modèles photo de leur agentivité durant une prise de vue, c’est quelque chose qu’a lui-même subi et observé Edward Enninful, et qu’il ne reproduit pas avec ses shootings, poursuit-il, toujours auprès du Guardian :
« J’ai été mannequin, donc je comprends ce que c’est d’être sur le plateau et ne pas avoir mon mot à dire, quand on est au service de l’image et du shooting. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir des gens comme [le grand styliste britannique] Simon Foxton et [le photographe] Nick Knight, qui m’ont encouragé à prendre la parole. Être mannequin n’est pas facile – on vous dit toujours de vous taire, votre opinion compte moins. Ainsi, lorsque je travaille avec Kate [Moss] ou Naomi [Campbell], nous travaillons ensemble sur des histoires, nous développons des personnages – c’est quelque chose que j’ai vraiment appris dès nos débuts. »
C’est avec ce raisonnement en tête qu’Edward Enninful a scruté des milliers de photos produites par Robert Mapplethorpe au sein de la fondation qui s’occupe de son patrimoine, afin d’en sélectionner 46 qu’il expose donc à Paris du 2 mars au 6 avril 2024. On croise sur les clichés de nombreuses célébrités comme Fran Lebowitz, Isabella Rossellini, Susan Sarandon, ou encore Arnold Schwarzenegger. Mais aussi des nus masculins noirs. Ainsi que des photos plus méconnues, qui permettent d’entrevoir un peu de l’humour du photographe. Alors qu’on interroge de plus en plus nos représentations contemporaines, de ce qui tient du female gaze ou du male gaze, cette exposition prolonge ces réflexions à l’intersection des questions de fétichisation raciale et d’homo-érotisme. Pour le média Komitid, j’avais justement interrogé plusieurs expert·e·s sur ces questions aussi esthétiques que politiques. Car, plus que la mode, l’œuvre de Robert Mapplethorpe a peut-être bien plus largement gravé nos rétines et nos façons de voir le monde, l’altérité, et nos propres identités.
Exposition « Robert Mapplethorpe, curated by Edward Enninful » à la galerie Thaddaeus Ropac Paris Marais, 7 rue debelleym, 75003 Paris.
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