Ces derniers mois, le monde entier semblait découvrir que le cinéma français est un maître dans son art avec Anatomie d’une chute, le film aux mille récompenses. Jusqu’aux États-Unis, on s’arrache Justine Triet, à qui Steven Spielberg a même demandé un scénario.
Après avoir montré que Triet n’en était pas du tout à son coup d’essai avec sa Palme d’Or (et que La Bataille de Solférino est peut-être son chef-d’œuvre), on a très envie de vous découvrir six films français qui caracolent au-dessus de tout le reste.
Diamant noir, d’Arthur Harari (2016)
Pier Ulmann vivote à Paris, entre chantiers et larcins qu’il commet pour le compte de Rachid, sa seule « famille ». Son histoire le rattrape le jour où son père est retrouvé mort dans la rue, après une longue déchéance. Bête noire d’une riche famille de diamantaires basée à Anvers, il ne lui laisse rien, à part une soif amère de vengeance. Sur l’invitation de son cousin Gabi, Pier se rend à Anvers pour rénover les bureaux de la prestigieuse firme Ulmann. La consigne de Rachid est simple : « Tu vas là-bas pour voir, et pour prendre. »
Arthur Harari est le co-scénariste d’Anatomie d’une chute aux côtés de sa compagne, la réalisatrice Justine Triet, mais lui aussi un (grand) cinéaste. Porté par Niels Schneider, son premier long-métrage Diamant noir est un thriller qui ne ressemble à aucun autre. La douleur des personnages face au deuil, la haine, la minutie et la pugnacité de la vengeance nés de l’humiliation sont aussi vifs que l’éclat d’un diamant. Un chef-d’œuvre palpitant, éblouissant qui mérite toute la lumière.
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Atlantique, de Mati Diop (2019)
C’est une histoire d’amour, de feu et de zombies bouleversante qui vous habitera longtemps.
À Dakar, les ouvriers d’un chantier, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman, qui laisse derrière lui celle qu’il aime, Ada, promise à un autre homme. Quelques jours après le départ en mer des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage d’Ada et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier. Issa, jeune policier, tente de mener une enquête…
En donnant à voir les fantômes et le feu qui régissent le monde invisible tout autour de nous, Mati Diop nous fait éprouver la violence du colonialisme et ses relents contemporains. Dans Atlantique, l’éclat de néons verts dans une boite de nuit tragiquement évidée, une chemise anormalement trempée de sueur, une étreinte secrète avant un au revoir racontent l’absurdité du capitalisme et du patriarcat qui, aussi puissants soient-ils, ne peuvent rien contre la colère de leurs morts, surtout lorsque ceux-ci sont amoureux. Il en ressort un film d’une maitrise sidérante, duquel émane pourtant une charge émotionnelle, sensuelle et mystique que l’on éprouve jusque dans son corps. Atlantique est un film qu’on n’oublie jamais.
Tu mérites un amour, d’Hafsia Herzi (2019)
Suite à l’infidélité de Rémi, Lila qui l’aimait plus que tout vit difficilement la rupture. Un jour, il lui annonce qu’il part seul en Bolivie pour « se retrouver face à lui-même » et essayer de comprendre ses erreurs. Soudain seule, Lila navigue à Paris, entre tous les hommes que l’on peut croiser dans la rue, en soirée ou sur les applis de rencontre : le passionné qui vous dit qu’il vous a vu toute sa vie en rêve (et vous ghoste le lendemain), celui qui mansplaine des heures sans s’arrêter, celui dont le style de filles est les arabes, façon Shéhérazde sauce Mille et une nuits, etc.
Premier film de l’actrice et cinéaste Hafsia Herzi, réalisé en indépendance sans argent ni boite de production, Tu mérites un amour raconte une jeune femme que les hommes voient sans la regarder. Elle devient un écran sur lequel se projettent les fantasmes, les insécurités, l’individualisme, le manque de flamboyance de tous. À force, elle aussi oublie de se regarder, et qu’elle mérite un amour. À moins qu’une photo d’elle la ranime.
Tu mérites un amour, c’est bien, c’est bien joué, c’est drôle, et c’est impossible de ne pas s’y reconnaitre.
Titane, de Julia Ducournau (2021)
Anatomie d’une chute est une Palme d’Or à Cannes, Titane aussi.
Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Dans les trente premières minutes du film, Julia Ducournau fait tout pour vous faire arrêter le film et casser l’écran, en déployant une violence tellement crue qu’elle fait soit vomir, soit rire. C’est couillu, et c’est la meilleure façon de nous amener brutalement vers ce dont il est question : une altérité dont on se rend finalement compte qu’elle renferme l’empathie absolue, la vérité, le grand amour.
Pour évoquer Titane, le mieux reste de se souvenir du discours de la réalisatrice en 2019, lorsqu’elle recevait la récompense cannoise suprême des mains de Spike Lee :
« Je sais que mon film n’est pas parfait. […] On dit même du mien qu’il est monstrueux. Vous savez, maintenant que je suis devenue adulte et réalisatrice, je me rends compte que la perfection n’est pas une chimère, c’est une impasse. […] Et la monstruosité qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c’est une arme, une force à repousser les murs de la normativité qui nous enferme et qui nous sépare.
Il y a tant de beauté, d’émotion et de liberté à trouver dans ce qu’on ne peut pas mettre dans une case. Et dans ce qu’il reste à découvrir de nous. Je voulais remercier infiniment le Jury de reconnaître avec ce prix le besoin avide et viscéral qu’on a d’un monde plus inclusif et plus fluide. Merci au Jury d’appeler pour plus de diversité dans nos expériences au cinéma et dans nos vies. Et merci au Jury de laisser entrer les monstres. »
Le Gang des bois du temple, de Rabah Ameur-Zaïmeche (2023)
Un militaire à la retraite vit dans le quartier populaire des Bois du Temple. Au moment où il enterre sa mère, son voisin Bébé, qui appartient à un groupe de gangsters de la cité, s’apprête à braquer le convoi d’un richissime prince arabe…
Le gang des bois du temple est sorti en catimini au cinéma en septembre 2023. On y suit la tentative de petits malfrats, persuadés de pouvoir gratter quelques miettes du gros gâteau doré qu’est le capitalisme néolibéral. Alors que l’engrenage du système s’enclenche en deux temps trois mouvements et que même les armes ne peuvent rien, il n’en reste qu’une seule, que personne n’avait pensé à brandir : la gentillesse.
Un chef-d’œuvre, patient et perçant comme un documentaire mais épique comme une fiction signé du grand Rabah Ameur-Zaïmeche.
Nos Cérémonies, de Simon Rieth (2023)
Nos Cérémonies nous emmène sur la côté atlantique française, à Royan, en plein été. La photographie du film est chaude, étincelante. Ses acteurs principaux (les frères Simon et Raymond Baur et Maïra Villena) sont beaux et étranges. Le début du film a la légèreté d’un film adolescent dont les protagonistes sont deux frères, Tony et Noé et leur amour d’enfance, Cassandre.
On imagine que les seules tensions de ce conte viendront des frustrations et des chagrins nées d’un triangle amoureux. Seulement, ces peines n’ont rien de léger. Derrière l’amour, le désir, la jalousie, il y a une violence absolue dont on ne vous dévoilera rien, parce qu’elle constitue le concept (fou) du film. Une idée de scénario tellement bizarre mais fertile en émotions, en réflexions, en trouvailles de cinéma qu’on se demande comment son réalisateur, Simon Rieth, 26 ans au moment du tournage, a pu l’imaginer.
Les contours de Nos Cérémonies épousent les formes insaisissables du désir brûlant, de l’amour fraternel ou romantique, de la jalousie, de la bagarre et de la mort. Le film est un magma de cinéma fou et passionné qui donne à voir et sentir l’interconnexion profonde entre toutes ces choses qui semblent s’exclure. C’est dramatique, bouleversant et magique.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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