L’histoire de mon fils Antoine remonte à août 2018, lorsque sa grande sœur, Manon a fêté ses un an (il naîtra en août 2021).
Agrandir la famille malgré une maladie auto-immune
À l’époque, on venait de me diagnostiquer un SAPL (syndrome des antiphospholipides) suite à la naissance prématurée de Manon, couplée avec ma pathologie médicale, je savais que le temps était compté et j’étais déterminée à agrandir la famille.
Pour résumer, j’ai un rein unique avec une maladie des artères. Mon artère rénale se rétrécit et oblige le cœur à fonctionner plus vite ; cela se traduit par de l’hypertension, contrôlée tant bien que mal par des médicaments et des dilatations régulières de l’artère.
Bref, lorsque j’ai évoqué avec mon conjoint Guillaume le deuxième enfant, ça a été la douche froide. Guillaume m’a alors dit qu’il ne voulait plus d’enfants, qu’il n’était pas heureux dans sa vie. A donc suivi une profonde remise en question de notre couple…
Thérapie de couple
Voyant que la situation stagne, nous commençons une thérapie de couple en décembre 2020, j’apprends dans la foulée que mon artère rénale s’est de nouveau rétrécie.
Les confinements arrivent, la thérapie de couple se poursuit et une décision de troisième dilatation tombe.
En août 2020, on m’opère en espérant que cela sera la dernière fois (l’artère commence à être fragilisée et le risque de rupture est grand).
Avec Guillaume, on redevient enfin un couple, mais il ne veut toujours pas de second enfant.
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« On les emmerde, on en fera un deuxième »
En octobre 2020, suite à un Doppler de contrôle, on se rend compte que l’opération n’aura que très peu servie. En sortant de ce rdv, je suis en larmes, épuisée et me dis que je n’aurai jamais de deuxième enfant. Le corps médical s’y oppose fermement. Guillaume, sur le trajet du retour, me prend la main et me console : « on les emmerde, on en fera un deuxième ». Ça s’annonce dangereux, mais au moins, on est deux !
Mon médecin vasculaire me demande d’attendre le retour de différents centres d’hypertension en France avant de lancer les essais bébés. Il veut être sûr qu’il n’est pas préférable de refaire une dilatation.
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Une grossesse à risques suivie de près
En décembre 2020, sans accord du corps médical, trouvant la situation longue, on décide de ne plus se protéger et « advienne que pourra », je tombe enceinte dans la foulée. La grossesse commence et sera suivie de très près. Le risque est la prématurité extrême, le décès in utero, la dialyse… L’ombre d’une IMG (interruption médicale de grossesse) sera présente tout le long de la grossesse.
Je serai sous lovenox, médicaments antihypertenseurs, kardegic avec échographie mensuelle, monitoring 2 fois par semaine, suivi cardio, néphro, hemato et diabeto à la fin avec interdiction de prendre l’avion, de faire des longs trajets… une vraie épreuve de force cette mise au calme forcée !
Je suis mise en arrêt de travail à la septième semaine pour mettre le plus possible mon corps au repos. Les premières semaines, je ne me projette pas, cela semble très irréel, les rdv me stressent et me font faire des insomnies. Nous décidons de l’annoncer à Manon pour qu’il n’y ait pas de secret dans la famille.
La grossesse se passe plutôt bien jusqu’à la 14eme semaine. Je découvre lors d’un holter ECG que ma tension est en moyenne à 16/11 avec de fortes poussées la nuit. En parallèle j’ai le résultat du test trisomie et il y a des risques à écarter.
Je crois que je n’oublierai jamais les trois semaines qui suivirent ; et avec le recul, ce sont peut-être celles-là qui cristallisent ma relation avec Antoine.
En urgence, on me fait passer un Doppler pour voir où en est l’artère rénale en me disant qu’il faudra peut-être envisager une interruption médicale de grossesse.
On me fait également un dépistage d’apnée du sommeil et un test DPNI visant à analyser l’adn du bébé. Pendant ces semaines, j’ai le souvenir d’avoir été suspendue aux résultats médicaux, j’avais de fortes crises d’angoisse et n’arrivais pas à dormir, le noir me terrifiait. J’étais perdue entre m’attacher et parler à ce petit bébé et me détacher pour que cela soit moins dur si une IMG survenait.
Au final l’artère tenait, mon traitement médicamenteux a été augmenté, les risques de trisomie et d’apnée du sommeil écartés et la grossesse a continué.
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« J’avais la sensation de porter seule cet enfant »
À la 24eme semaine, on m’a découvert du diabète gestationnel. J’en avais déjà fait pour Manon, donc ce n’était pas une grosse surprise, mais celui-ci a été plus compliqué, et a nécessité de l’insuline matin et soir. Cette nouvelle ajoutait une surveillance supplémentaire et une impression de « tout peut disparaître du jour au lendemain » ; la situation était assez irréelle et je ne pense pas avoir vraiment profité des instants « relax » d une grossesse : émerveillement des coups, joie de voir son bébé en écho… Mon conjoint n’était pas très investi émotionnellement et j’avais la sensation de porter seule cet enfant.
À la 26ème semaine, j’ai enfin pu souffler, le bébé était officiellement viable. Les monitorings hebdomadaires commençaient et m’ont beaucoup aidé, ma sage-femme arrivait bien à faire diversion.
À la 28eme semaine, il a été décidé que l’accouchement aurait lieu à Saint-Nazaire et que je n’avais plus à faire d’allers / retours à Nantes : cela sonnait comme une victoire. Pour moi et mon désir d’AVAC (accouchement vaginal après une césarienne), c’était en revanche râpé, ce serait une césarienne. Je ne peux pas dire que j’étais vraiment déçue, car je m’y attendais, mais cela me confortait dans l’idée que je n’avais aucun contrôle, aucun mot à dire, un peu réduite à un rôle d’incubateur.
À la 33ème semaine, il a été décidé que la césarienne serait programmée à 36 semaines pour ne pas prendre le risque du dernier mois de grossesse. Cette décision m’a soulagée, car je voulais voir le bout de cette grossesse qui me paraissait interminable. Je n’avais pas l’impression d’être moi-même, j’étais très fatiguée et très énervée contre mon conjoint qui ne s’investissait pas et ne se rendait pas compte de la situation. C’était l’été, il faisait chaud et tout ce qu’il souhaitait, c’était profiter de la plage et des apéros.
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Un accouchement tumultueux
Vint enfin le jour de l’accouchement, le lundi 23 août, 2021.
Nous étions convoqués à 8h du matin. Je n’arrivais pas encore à me réjouir, parce que pour moi, tant que je n’avais pas Antoine dans les bras, tout pouvait encore basculer. Ma gynéco était là, c’est elle qui devait faire la césarienne, ce qui avait un côté rassurant.
Vers 10h, elle vient nous voir, alors que je suis en blouse, dans la salle près du bloc et nous fait part de la situation : « le service maternité est débordé, s’il arrive quelque chose à votre bébé au moment de la naissance, nous serons obligés de le transférer à Nantes, Vannes ou Lorient ». Un choix s’offrait alors à nous : revenir dans 3 ou 4 jours ou faire la césarienne.
Sachant que mes beaux-parents étaient chez nous pour s’occuper de Manon, que la situation pouvait virer en pré-éclampsie d’un moment à l’autre, aussi parce que j’en avais marre des piqûres d’insuline, de lovenox, de mon conjoint… on a décidé de faire confiance à Antoine en se disant qu’il ne se passerait rien.
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« À un moment, un cri, puis on embarque mon bébé en réanimation »
Évidemment ça ne s’est pas passé comme prévu…
Autant dire que l’ambiance était tendue pendant la césarienne, car la pression d’un transfert pour Antoine planait. À un moment, un cri, puis on embarque mon bébé en réanimation. Je m’effondre, je ne l’ai pas vu, quelque chose ne va pas. Alors que je suis immobilisée sur la table d’opération, totalement impuissante, que l’on est en train de me recoudre, je crie à Guillaume d’aller voir ce qui se passe pour Antoine.
Celui-ci revient au bout d’un temps qui me semble infini. Antoine est intubé, il n’arrive pas à respirer ; je comprends que je ne suis pas près de le voir. Je dis à Guillaume de rester avec lui, c’est lui la priorité !
Il est plus de midi, Antoine est né à 10h42, je ne l’ai toujours pas vu ; je suis seule dans ma chambre de surveillance, ma tension part en flèche, les infirmières ne savent pas si Antoine va être transféré, je ne fais que hurler à chaque personne que je vois qu’il faut me transférer avec lui, que je ne laisse pas mon bébé seul. Guillaume m’envoie des photos mais il est gorgé d’eau, intubé, je le trouve moche, j’ai peur pour sa vie et la mienne.
Je culpabilise de ne pas avoir su attendre quelques jours, je me dis que mon impatience va faire partir mon enfant dans un autre hôpital. Je pense au niveau logistique, à Manon… Je reçois des textos d’amis/famille qui veulent connaître le prénom, voir des photos… Je n’ai toujours pas vu mon enfant.
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La rencontre entre Solène et Antoine
Vers 17h, on me monte enfin au service de réanimation de la maternité. Là, je vois mon Antoinou, il est intubé, mais on tente le « peau à peau ». Le temps de le mettre sur ma poitrine, on lui enlève le tube. Tout se calme, Antoine respire. J’en pleure de l’écrire, je ressens encore son petit corps chaud contre le mien. Je crois que ça y est, j’ai mon bébé…
Dans ma tête, je ne veux pas relâcher la pression, le personnel cherche encore à le transférer.
On me prend en photo avec mon fils, on conseille à Guillaume d’aller déclarer sa naissance avant que le service ne ferme. Je lui dis de rester, je veux avoir quelques moments tous les trois. Et puis, dans ma tête, si Antoine est déclaré à Saint-Nazaire, le transfert sera plus facile, alors que s’il n’est pas déclaré, cela compliquera les choses…
Tout se passe vite, on me reprend mon fils, me met dans une chambre de maternité. Il doit être 18h, je suis seule, Guillaume va voir ses parents et Manon. Il reviendra plus tard dans la nuit. J’aurais préféré qu’il reste avec Antoine, mais son départ a été soudain et puis je me suis dit qu’il avait peut-être besoin de souffler.
Je craque, cela fait des mois que je vis dans la peur, je ne peux toujours pas tenir mon bébé et ne sais pas s’il sera transféré. Je pense à Antoine, j’aimerais savoir dans quel état il est, s’il se sent en sécurité dans sa grande pièce, avec les bruits des machines. Pendant longtemps, j’aurai l’impression de l’entendre pleurer la nuit.
Vers 19h on vient me faire une toilette, je ne peux toujours pas bouger mes jambes, on me sert un repas et la sage-femme tente de me faire parler, je ne veux pas. Je veux rester concentrée, j’ai encore peur pour Antoine et j’en veux au corps médical pour cette arrivée ratée.
J’ai envie de dormir, mais je veux rester alerte.
Vers 22h, Guillaume revient et me conduit en fauteuil voir Antoine. Ses résultats sont bons, il respire seul. Je ne sais pas comment il est nourri, je n’ai toujours pas pu lui proposer le sein. On me reconduit dans la chambre, Guillaume dort cette nuit avec Antoine. Je dors seule, dans ma chambre de maternité, chaque cri de bébé me rappelle que le mien n’est pas là. Je me pose beaucoup de questions sur son avenir, les séquelles médicales…
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« La magie de la première rencontre est foutue de toute manière »
Le lendemain matin, Guillaume part voir ses parents et Manon ; nous ne voulons pas que Manon se sente exclue, ne pas créer de jalousie. Je me traîne en fauteuil après les soins du matin voir Antoine, je passe la matinée avec lui sur ma poitrine, je commence à avoir froid, mais je ne veux pas le quitter. C’est lorsque je commence vraiment à ressentir la fatigue que je demande à retourner dans ma chambre. La personne qui me ramène me semble familière, elle s’est occupée de Manon il y a quatre ans. Nous échangeons rapidement, je suis contente de me dire qu’elle s’occupera peut-être d’Antoine bientôt. Je suis fatiguée, je sombre…
Vers 14h, Guillaume revient, une sage-femme arrive et nous demande de manière assez maladroite ce qu’il est prévu pour Antoine. Guillaume explose et lui hurle que c’est à elle de savoir, de faire son boulot, qu’on en a ras-le-bol d’être sans notre fils. Elle essaie de nous raisonner, mais la colère est trop forte à ce moment-là, et ce n’est plus entendable pour nous d’être sans Antoine. Finalement, vers 17h, on nous annonce que nous allons pouvoir aller en unité Kangourou.
La magie de la première rencontre est foutue de toute manière, je n’ai toujours pas pu mettre Antoine au sein, Guillaume me parle d’un dégât des eaux qu’il a découvert dans notre salle de bains, et des travaux qu’il veut faire avec son père, c’est irréel ce décalage, je l’écoute, mais je m’en fous, je veux juste regarder mon bébé, lui parler.
Mes beaux-parents amènent Manon vers 20h le soir, la rencontre entre frère et sœur est touchante, Manon est intimidée, fière, ça ressemble enfin à ce que j’imaginais.
Le reste du séjour (nous sommes sortis au bout de 2 semaines) sera rythmé par un grand sentiment de solitude. C’est la période de la Covid-19 et les visites sont interdites. L’apprentissage de l’allaitement mettra du temps.
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La suite, les complications et la nouvelle vie à 4
En ce qui concerne Antoine, il a eu de gros soucis de santé par la suite : pulmonaire, ORL, canal lacrymal mal ouvert qui ont nécessité une opération de l’œil, la pose de yoyos dans les oreilles et la mise en place d’un traitement par aérosols pendant quasiment 1 an.
Ces « complications » ont elles-mêmes entraînées un retard de langage ; il est suivi par une orthophoniste depuis 1 an. Le plus dur de tout cela a sans doute été, en dehors de l’aspect médical, de calmer l’aspect traumatique de cette naissance / grossesse sur le plan émotionnel. Il ne fait ses nuits que depuis très peu de temps !
Il a eu trois ans cet été et vient de faire sa première rentrée ! C’est un petit garçon espiègle et très câlin.
De mon côté, niveau santé, il n’y a malheureusement pas de « happy ending », mon artère rénale est actuellement réduite à plus de 80/100 et le staff médical est démuni face à ma maladie. C’est assez anxiogène comme situation et cela ferme définitivement la porte à un troisième enfant. Je vis au jour le jour et profite au maximum de mes enfants, j’essaie de trouver une voie professionnelle compatible avec ma santé.
Sur le plan psychologique, cela a été compliqué de mon côté, j’ai dû être accompagnée pour arrêter de ressasser cette décision prise le jour de l’accouchement (aller à la césarienne au lieu de temporiser) ; et arrêter de voir mon fils comme un miracle.
Antoine est mon miracle, mais lui n’en est pas un ; je le considère désormais comme un petit garçon normal.
Antoine et moi avons longtemps entretenu un lien fusionnel qu’il a fallu rompre.
Je suis toujours avec le père de mes enfants. On apprend à composer au quotidien entre notre famille, notre couple et nos besoins individuels.
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