D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu du mal avec les lectures imposées par les cours. Je lisais énormément, mais essentiellement par plaisir.
Par principe, je débutais donc ma lecture la veille de l’interro, comptant sur la soirée et la nuit pour réussir à intégrer l’entièreté de l’œuvre proposée, qui, généralement, se révélait plutôt indigeste.
Quand est venu le tour d’Antigone, je n’ai pas dérogé à la règle. Tard le soir, j’ai ouvert cette pièce de théâtre et aussitôt été emportée ailleurs par ces quelques mots :
Elle pense qu’elle va être Antigone tout à l’heure, qu’elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du Monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu’elle va mourir et qu’elle aussi, elle aurait bien aimé vivre.
Ces phrases m’ont fait l’effet d’une claque. Cette retombée si particulière qu’ont parfois les mots lorsqu’on se penche sur eux et qu’ils nous semblent avoir été écrits pour nous.
Aussitôt, j’ai vérifié le nombre de pages dans lequel je pourrais m’évader et ai constaté tristement qu’il n’y en avait qu’un peu plus de cent. Je les ai lues à toute allure, tentant tant bien que mal de réfréner mon besoin de plus, de me reconnaître encore et encore, de ne pas quitter l’ambiance de la pièce. La simplicité du phrasé, qui semble presque mélodieux et qu’on se prend à répéter tout haut, ainsi que l’affect à fleur de peau sont convaincants, c’est indéniable. Les mots d’Antigone pour son futur mari font écho, ceux d’Hémon ( « c’est plein de disputes, un bonheur ») résonnent longtemps, tout comme l’amour total, frisant la dévotion, qu’il éprouve pour l’héroïne.
On croit déceler le parfum d’Ismène et distinguer dans le lointain ses parures de princesse, quand a contrario, on s’imagine parfaitement la tignasse mal peignée de sa petite sœur, son air buté et son caractère entier ( » Moi, je veux tout, tout de suite -et que ce soit entier – ou alors, je refuse ! »). Les gardes ont ce qu’il faut d’idiot, Créon possède l’inflexibilité qu’exige la tragédie, les frères ennemis ont joué leur rôle avant même que la pièce ne s’amorce.
Jean Anouilh nous entraîne ici dans une version d’Antigone revisitant celle de Sophocle et l’actualisant, la rendant plus accessible, et, oserais-je dire, encore plus attrayante que l’œuvre originale. Celle-ci a été présentée au théâtre pour la première fois à Paris en Février 1944 et n’a jamais plus cessé de l’être.
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