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Féminisme

Claire était antiféministe. Voilà ce qui l’a fait changer d’avis.

En 2013, Claire défendait ses positions antiféministes sur le forum de madmoiZelle. Sept ans et une conversation avec Mymy plus tard, ses expériences l’ont poussée à se remettre en question. Aujourd’hui fièrement féministe, elle nous a raconté ce qui l’a menée à fait changer d’avis.

En 2013, Claire, lectrice de madmoiZelle, écrivait « Je suis une femme, et je hais le féminisme ».

Une réflexion qui n’était pas rare, dans un moment où le féminisme contemporain commençait seulement à s’imposer dans l’espace médiatique. Beyoncé venait tout juste d’en revendiquer l’étiquette dans Flawless, et Emma Watson était sur le point de lancer la campagne He for She à l’ONU.

Mymy, qui n’était pas encore rédac chef de madmoiZelle mais travaillait déjà pour le magazine, avait répondu à un de ses commentaires sur le forum, et elles avaient parlé un peu : des positions de Claire, de celles de madmoiZelle, et du féminisme en général.

Être une femme antiféministe

Avec le temps, l’avis de Claire a évolué. Comme pour la société civile, au sein de laquelle le terme a changé d’image (au point de devenir un argument de vente ou d’être dépolitisé par certains), sa vision du féminisme et de celles qui le portent s’est nuancée, elle est devenue moins caricaturale.

Quand elle revient sur ce qu’elle pensait être le féminisme en 2013, elle s’exprime ainsi :

« À l’époque, j’avais une vision totalement biaisée du féminisme. Pour moi c’était vraiment un mouvement extrémiste, qui exagérait : je pensais sincèrement que les femmes, surtout en France, ne souffraient pas du patriarcat ou d’éventuelles inégalités.

Je n’étais pas du tout éduquée sur le sujet et pourtant j’avais la langue (ou plutôt les doigts) bien pendus. »

Selon Nathalie Rapoport Hubschman, médecin et psychothérapeute, autrice du livre Les barrières invisibles dans la vie d’une femme, le sens du mot « féministe » dans l’imaginaire collectif a longtemps induit en erreur, et mené de nombreuses femmes à se définir comme « antiféministes ».

« Jusque très récemment, le terme “féministe” a été perçu comme un synonyme d’“extrémiste” dans la population générale : on y associait une lutte perpétuelle contre les hommes, et non pour la société en général. Par refus d’être associées à cela, de très nombreuses femmes se disaient non-féministes, voire opposées au féminisme. 

Le sens perçu du mot a beaucoup évolué ces dernières années grâce à l’exposition de nombreuses affaires, au travail de sensibilisation et d’éducation des militantes féministes, à des livres et des médias : les mentalités ont évolué.

Une jeune femme pouvait il y a 7 ans se dire opposée au féminisme puis en arriver à se rendre compte qu’elle était d’accord avec les idées véhiculées par le féminisme. »

Comment peut-on haïr le féminisme quand on est une jeune femme ? Claire explique qu’elle avait du mal à percevoir une oppression dont elle ne se sentait pas la victime. Elle mentionne son éducation très ouverte:  ses parents ne l’ayant jamais cantonnée à un rôle de « petite fille », tant dans ses hobbies que ses jouets, elle a passé son enfance à être libre de faire ce qu’on considère comme des « trucs de garçon » : du skate, jouer à des jeux vidéo…

Pourtant, à l’adolescence, elle n’était pas aussi libre de ses allées et venues que son frère, et ne pouvait pas sortir tard sans être accompagnée par des garçons. Cette différence de traitement, elle l’analyse ainsi :

« Quelque part, j’ai dû finir par intégrer et garder dans un coin de ma tête que les filles étaient plus vulnérables, comme un genre de fatalité… »

Nathalie Rapoport Hubschman le souligne, il est difficile de réaliser à quel point nous avons toutes subi le sexisme. Ces mécanismes sont tellement ancrés qu’on peut en avoir été victime sans même s’en rendre compte.

En tant qu’individu, on vit les choses pour soi, de façon non-genrée. Quand on n’a pas vécu le sexisme de manière violente ou traumatique, il est difficile d’admettre qu’on a été discriminée : on ne l’accepte pas, car on se perçoit en tant que personne et non en tant que genre

« C’est un angle mort très fréquent, je l’ai rencontrée à de nombreuses reprises quand mon livre sur les barrières invisibles est sorti. C’est ce qui transparaissait de mes entretiens : on me disait “Globalement, les femmes peuvent être discriminées, mais pas moi, ça ne m’est jamais arrivé.” »

On peut avoir tendance à rejeter l’essentialisation, celle de se voir comme une femme et non comme une personne avec son individualité, ou comme une victime de discrimination. L’étiquette de « victime » peut souvent enclencher des mécanismes de défense. 

L’experte rappelle toutefois que la réalité (tant dans les statistiques que dans les histoires de vie), c’est que la discrimination a existé, existe toujours, et qu’il reste beaucoup de boulot pour qu’elle cesse.

À lire aussi : 15 mauvaises raisons de ne pas être féministe

Ce qui a changé en sept ans, jusqu’à devenir féministe

C’est donc sur le forum de madmoiZelle, où elle exprime son opposition au mouvement féministe dans les commentaires, que commencent les échanges de Claire avec Mymy. Elle décrit ce qu’elle ressent à ce moment-là ainsi :

« J’ai cherché à écrire un message un peu construit pour défendre mes idées, en me disant que quelqu’un serait peut-être d’accord avec moi. Quand Mymy m’a répondu, j’étais contente d’avoir été lue, et c’était sympa d’avoir une réponse.

Après, je crois que j’ai eu un peu honte parce que Mymy m’a aiguillée et j’ai commencé à me renseigner un peu plus sérieusement sur le sujet… Je me suis assez vite rendu compte que je n’avais pas tout compris. »

Sept ans plus tard, les positions de Claire ont complètement changé, elle se dit désormais ouvertement féministe… Et recontacte Mymy pour la remercier ! Elle lui écrit :

« J’ai eu envie de te dire merci parce que c’est grâce toi, et à vous tous et toutes qui informez et qui sensibilisez sur l’égalité que les mentalités changent. Je le sais, parce que c’est ce qui m’est arrivé à moi.»

À l’occasion de cette conversation, elles sont revenues ensemble sur le parcours de Claire et ce qui a fait évoluer sa position sur le féminisme. En sept ans, il y a eu des déclics, des rencontres, des évènements qui lui ont permis de réaliser que l’égalité était loin d’être un fait accompli.

« Il s’est passé beaucoup de choses pendant ces sept ans. Quelques mois après notre débat je perdais mon père ce qui a été une épreuve très difficile et qui a eut pour effet de développer ma sensibilité, qui était déjà assez marquée…

Je dirais que j’ai soudain eu à me reconstruire, ou même à me construire tout court. Cet évènement m’a fait me poser des questions que je ne m’étais jamais posées, et je dirais que c’est là que j’ai vraiment commencé à “grandir”. 

Disons que cette épreuve m’a aidée à me poser plus de questions en général et à être plus ouverte. 

Et puis, quelques années plus tard, j’ai eu une fille. À ce moment-là, ma vision des choses a vraiment changé sur presque tous les sujets. Je me retrouvais avec cette petite fille à ma charge et je n’étais plus motivée que par l’envie de faire le mieux pour elle.

J’ai lu, j’ai vu des documentaires, je me suis renseignée… Et j’ai vite compris que je voulais qu’elle grandisse en se sentant libre. 

Libre d’être ce qu’elle veut, de s’habiller comme elle veut sans avoir à gérer le harcèlement de rue, libre de choisir le coloriage dinosaure à l’école… Qu’elle comprenne que dans ce monde, on est que de passage, et qu’il faut faire ce qui est en notre pouvoir pour que tout se passe le mieux possible. 

Et je pense aujourd’hui que pour ça, il faut lutter contre les inégalités. »

À l’heure où l’on défend le « débat d’idées » comme la meilleure manière de convaincre, Nathalie Rapoport Hubschman rappelle que dans cet exercice, notre premier instinct est loin d’être ouvert au changement.

« Quand on débat, on peut rapidement se sentir remis en cause dans sa totalité. Plutôt que d’être réellement ouvert à la discussion, on a tendance à se recroqueviller sur sa position et à ériger des mécanismes de défense derrière lesquels on se protège pour diminuer notre sentiment de vulnérabilité

Par ailleurs, nous avons tous des biais de confirmation : on ne voit que les choses qui confirment nos théories, et on a beaucoup de difficultés à admettre ce qui les contredit. Il faut beaucoup d’adresse et de souplesse pour faire réellement changer les autres, et c’est un processus qui prend du temps.

Avec une seule discussion, on tend souvent vers une polarisation des avis, et il est très rare que l’un ou l’autre soit converti. » 

Pour faire convaincre ou faire évoluer les mentalité, il faudrait donc du temps, plusieurs discussions, des expériences de vie qui nous permettent de comprendre les positions des autres… C’est extrêmement compliqué de changer d’avis, et la réalité ne suffit pas. Elle est toujours interprétée par chacun en fonction de ses filtres : il n’y a pas de regard neutre sur le monde.

À lire aussi : Comment débattre de féminisme et d’anti-racisme sans (trop) péter un plomb

Une construction féministe

La perte d’un proche, la maternité sont autant d’évènements qui peuvent remettre en question toutes les certitudes de la personne qui les vit. Quand elle a vu sa vie bouleversée, Claire a commencé à appréhender les question de genre et d’égalité sous un angle nouveau. Dans sa carrière aussi, le féminisme est un point qui a été soulevé.

« J’ai débuté ma carrière en temps que professionnelle de la petite enfance, et j’ai mesuré l’importance d’éduquer les générations futures de manière égalitaire, indépendamment de leur genre. Ce qu’on recherche avant tout, c’est leur bonheur et leur bien-être. 

Quand on réalise l’existence d’une oppression, il y a les déclics qui viennent de nous et de notre parcours. Et puis il y a la société, les échos que les autres donnent à nos révélations intérieures. Pour Claire, ces échos sont venus de ses proches, mais aussi de ses icônes, pour tisser ce qu’elle appelle une « toile de convictions et de valeurs ».

« Je ne suis pratiquement entourée que d’amies femmes, et à un moment ou un autre, nous avons toutes eu des problèmes juste parce que nous sommes du genre féminin.

J’ai été inspirée, côté maman, par les fabuleuses illustrations d’Héloïse Weiner et le quotidien qu’elle partage sur Instagram. Elle s’efforce de faire grandir ses enfants dans la bienveillance et en leur apprenant que oui, les garçons peuvent mettre du rose ou avoir les cheveux longs. 

J’ai aussi été sensibilisée par certaines autres figures du féminisme à travers leurs discours ou leurs œuvres d’aujourd’hui : Reese Witherspoon, Emma Watson, Beyoncé… »

Un engagement féministe de tous les jours

Au quotidien, c’est la vie entière de cette lectrice qui a changé : elle fait maintenant partie de celles et ceux qui voient le monde à travers le prisme de la lutte pour l’égalité des genres.

« Maintenant je reprends les gens quand ils disent de ma fille que c’est normal qu’elle soit “plus calme” ou “pas très téméraire” parce que c’est une fille. Je leur rappelle gentiment que chaque enfant, comme chaque adulte a son tempérament et sa personnalité. 

Quand on passe devant un rayon “jouets pour fille” ou devant les pubs qui mettent en scène systématiquement des filles qui jouent à la poupée et des garçons au voitures, je râle et j’explique à ma fille qu’elle peut choisir ce qu’elle préfère. 

Je dénonce le harcèlement de rue, l’hypersexualisation du corps de la femme  — parce que sortir son sein pour allaiter en public, ça dérange encore… »

Si elle pouvait échanger aujourd’hui avec son « moi » antiféministe d’il y a sept ans, elle lui dirait « de se détendre, de se renseigner sérieusement sur le sujet, et d’arrêter d’être une ado en quête de contradiction ». Et face à une femme qui lui tiendrait le même discours que celui qu’elle tenait à l’époque, elle dit promouvoir avant toute chose la conversation calme

« Si cela m’arrivait aujourd’hui, je tenterais certainement d’ouvrir un débat calme et posé, de faire preuve de pédagogie. Je pense que la colère ne résout rien. Je n’essaierais pas forcément de faire changer la personne d’avis, mais plutôt de donner seulement des pistes de réflexion… Un peu comme Mymy l’avait fait avec moi en 2013 finalement.

Et surtout, je rappellerais qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis ! »

Si vous aussi, cet article vous a rendu l’espoir de faire changer quelqu’un d’avis un jour, Nathalie Rapoport Hubschman a des conseils !

L’experte rappelle qu’il est important — et très difficile — d’essayer de désinvestir le plan émotionnel et de faire du débat une discussion rationnelle, en utilisant des exemples, des faits et des statistiques. 

Pour cela, il peut être utile de se préparer à la discussion et au débat.

« Si on a déjà eu du mal à avoir ce type de discussion, il est important de faire un travail préparatoire et d’arriver de façon apaisée pour pouvoir écouter et entendre l’autre, tout en gérant ses émotions. C’est ce qui permet aux conversations d’être le plus productives. »

Cela ne veut pas dire que les émotions sont à exclure entièrement : elles peuvent aussi être un outil de débat ! Mais pour cela, il faut pouvoir les transmettre, sans les vivre au moment où l’on discute. On peut alors les utiliser comme des informations, et elles nous permettent de dire à quelqu’un qui tient à nous : « moi, dans ce type de situation, c’est dur, j’ai peur, je ne me sens pas respectée… ».

Si la personne avec qui l’on débat est un ou une proche et que l’on arrive à se faire entendre calmement, elle sera réceptive à ce type de message, et cela nous permettra de faire avancer notre argumentation.

Il est donc encore utile de débattre, sur Internet et en dehors : les arguments que l’on partage peuvent faire écho, même des années plus tard, aux parcours de vie des personnes avec qui on a pu échanger ! Mais si l’exercice est ardu, rappelons qu’il peut vite devenir épuisant face à des personnes qui refusent de nous écouter. Débattons, oui, mais pas avec n’importe qui !

À lire aussi : 5 conseils pour débattre de féminisme sans péter un câble

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