« L’idée de deux mecs qui sont amis et s’aiment est un problème en 2021 à cause de l’exploitation de l’homosexualité. »
Si vous avez lâché un gros « Hein ?? » devant cette phrase, bienvenue au club : c’est exactement ce qu’on a fait en lisant l’interview qu’Anthony Mackie — alias Sam « Falcon » Winston dans The Falcon and the Winter Soldier — a accordée à Variety.
Anthony Mackie ne veut pas de romance entre Sam Wilson et Bucky Barnes
Sam Wilson et James « Bucky » Barnes, alias le Winter Soldier, entretiennent tout au long de la série Disney+ une bromance qu’on a envie d’appeler romance, et ce n’est pas une vue de l’esprit que d’affirmer cela — il n’y a qu’à voir la scène où ils se retrouvent littéralement en thérapie de couple, inconfortablement installés très près l’un de l’autre (et c’est un ressort comique parce que ce sont deux gars, ho ho ho, ils se touchent les genoux, c’est pas très hétéro !).
Cette séquence a d’ailleurs été accusée d’être du queerbaiting, c’est-à-dire qu’elle participe à un ensemble de « suggestions » de représentations LGBTI+ qui ne sont jamais pleinement assumées et montrées à l’écran. Il y a juste assez d’indices pour attirer les communautés concernées, lesquelles ne seront, finalement, pas représentées…
« C’est toujours du queerbaiting si on SAIT que les personnages ne seront jamais queer ? Eh bien devant “The Falcon and the Winter Soldier”, j’ai envie de répondre oui. »
Comme le rappelle Variety, Anthony Mackie a déjà joué un personnage se croyant hétéro, mais s’éprenant d’un de ses amis — dans un épisode de Black Mirror. Au sujet de The Falcon and the Winter Soldier, par contre, il rejette en bloc l’hypothèse d’une romance, avec cette justification assez incompréhensible :
« Tellement de choses sont tordues, modifiées. Il y a tant de trucs sur lesquels les gens s’accrochent d’eux-mêmes pour se rendre pertinents et rationnels. L’idée de deux mecs qui sont amis et s’aiment est un problème en 2021 à cause de l’exploitation de l’homosexualité. Avant, on pouvait avoir deux potes, traîner ensemble, c’est cool. On pouvait retrouver ses amis au bar, vous voyez. On ne peut plus faire ça maintenant, car une chose aussi pure, aussi belle que l’homosexualité a été exploitée par des gens qui essaient de se rationaliser.
Du coup, ça a toujours été important pour moi de montrer des modèles masculins sensibles. Il n’y a rien de plus viril que d’être un super-héros volant à droite et à gauche pour tabasser des gens. Mais il n’y a rien de plus sensible qu’avoir des conversations profondes et une amitié sincère avec quelqu’un que vous aimez, auquel vous tenez. »
Est-ce que vous comprenez ce qu’il veut dire par « l’exploitation de l’homosexualité » ? Parce qu’ici, l’ambiance est perplexe…
Peut-être qu’Anthony Mackie dénonce le fait que certaines personnes rejettent les amitiés masculines trop intimes, car « c’est gay » (de parler de ses émotions, de se faire un câlin, de faire preuve de tendresse envers un autre homme). Si c’est le cas, c’est très maladroitement exprimé : qui est-ce qui empêche les mecs hétéros de retrouver leurs potes au bar, au juste ? Parce qu’aux États-Unis, je sais pas, mais en France, ne vous inquiétez pas, les gars sont toujours accoudés autour de leurs pintes, hein.
Le queerbaiting expliqué à Anthony Mackie
Quoi qu’il ait voulu dire, Anthony Mackie semble singulièrement déconnecté de la réalité, car ce ne sont pas des gens ne respectant pas
« une chose aussi pure, aussi belle que l’homosexualité » qui voient de l’amour entre Sam et Bucky… ce sont des personnes étant, pour beaucoup, elles-mêmes homosexuelles !
Disney a une longue histoire de queerbaiting, et Marvel aussi — rappelons que pour le moment, il n’y a pas de réelle représentation LGBTI+ dans les 23 films et trois séries composant le Marvel Cinematic & Television Universe, sauf si on compte le genre « fluide » de Loki. Rappelons que le studio s’est gargarisé de son « premier personnage gay »… qui était, dans Avengers: Endgame, un homme anonyme mentionnant en passant le fait qu’il a eu un rendez-vous galant avec un autre homme.
Wow. « Grounbreaking », comme dirait Miranda Priestly.
Avoir des espoirs de représentation encore et toujours déçus, ne jamais voir des gens comme soi dans la saga la plus célèbre du cinéma, espérer pouvoir se reconnaître dans une intrigue qui nous touche, ce n’est pas un caprice et ce n’est pas « exploiter l’homosexualité » : c’est un besoin très humain qu’Anthony Mackie devrait comprendre, lui qui a longuement réfléchi à la place des personnes afro-américaines dans le cinéma et les séries…
Rappelons que le showrunner de The Falcon and the Winter Soldier, lorsqu’on lui avait demandé son avis sur les théories voulant que Bucky soit bisexuel, s’était fendu d’un laconique « Je ne vais pas théoriser à outrance, mais continuez à regarder » — tout ça pour que le sujet ne soit JAAAAAMAIS abordé dans la série ! Qu’on ne s’étonne pas, ensuite, que le public LGBTI+ se sente floué.
De son côté, Sebastian Stan a déclaré n’avoir aucun souci avec les personnes qui considèrent son personnage comme bisexuel : « Éclatez-vous », a-t-il déclaré, « le personnage appartient aux fans de toute façon. » Des fans qui aimeraient bien, je pense, avoir autre chose que des fanfictions à se mettre sous la dent, et qui de tout temps ont réinterprété les personnages de fiction, les ont imaginés dans des situations différentes et leur ont créé des romances et intrigues amoureuses variées pour pallier le manque de représentation, ou juste parce que c’est amusant : ça permet de faire durer le plaisir créé par l’œuvre !
Alors si ce n’est pas Sam Wilson qui offrira de la représentation LGBTI+ aux spectateurs et spectatrices des créations Marvel, rendez-vous dans Les Éternels, qui promet « le premier baiser entre deux hommes » de la franchise. En 2021, il était temps.
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