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Cinéma

Antebellum, l’esclavage avec une femme en tête d’affiche

Antebellum, au cinéma depuis le 9 septembre, s’illustre comme l’un des premiers films sur l’esclavage mettant en scène une femme noire comme personnage principal. Une démarche novatrice à saluer pour un film de divertissement grand public.

« Le passé ne meurt jamais. Ce n’est même pas le passé. »

Antebellum, sorti au cinéma le 9 septembre, s’ouvre sur cette citation de l’auteur américain William Faulkner. Le film nous amène à la conclusion qu’en effet, le passé nous hante encore, il est toujours prêt à nous rattraper. En témoignent notamment les nombreuses œuvres produits ces dernières années qui traitent de l’esclavage aux Etats-Unis.

Dans Antebellum pourtant, un personnage principal féminin noir et moderne prend la tête d’un thriller sur l’esclavage, laissant à penser que le film se tourne véritablement vers le futur.

Antebellum, un film sur l’esclavage avec une femme en tête d’affiche

Non, aucun chevalier ne viendra sauver Veronica dans Antebellum, et à aucun moment elle ne l’attend d’ailleurs.

Le film met en scène une femme, une esclav,e comme le cerveau des opérations de libération. Comme l’incarnation de la raison, elle aussi capable d’une violence inouïe. 

Une représentation loin d’être monnaie courante dans les autres films qui traitent du sujet de l’esclavage.

Selon le spécialiste du cinéma afro-américain Régis Dubois, cette démarche est novatrice :

À ma connaissance, en survolant les films principaux de l’esclavage dans le cinéma américain, il ne me semble pas qu’il y ait d’héroïne femme. Jusqu’alors c’était plutôt l’homme noir contre l’homme blanc, donc c’est une nouveauté.

Ça s’inscrit aussi dans un mouvement global, depuis quelques années le cinéma s’ouvre de plus en plus à la diversité raciale mais aussi de genre. Si on prend Star Wars par exemple, ou Wonder Woman, on voit bien qu’il y a une ouverture en fait. Dans les années 1980-90, les héros étaient toujours des hommes blancs dans toutes les grandes franchises : Rocky, Star Wars

Il me semble que le film s’inscrit dans ce mouvement du cinéma américain qui s’ouvre vers plus de diversité ethno-culturelle et de genre.

Régis Dubois complète en détaillant l’imagerie traditionnelle de la femme dans les films d’esclavage : une servante docile dans Autant en emporte le vent en 1950 (Hattie McDaniel est une nounou qui fait partie de la famille, et son rôle lui vaudra le premier Oscar décerné à une femme noire) ou une victime violentée et violée à partir des années 1970 dans les films qui dénoncent l’esclavage comme Slaves d’Herbert Biberman. Ces femmes victimes seront vengées par des hommes, même dans des films plus récents comme Django de Quentin Tarantino.

L’article de Régis Dubois, 100 ans d’esclavage à Hollywood, détaille l’évolution de ces œuvres à travers le temps.

Emmanuelle Spadacenta, rédactrice en chef de Cinema Teaser, explique ce retard de l’arrivée des femmes aux commandes de telles intrigues :

Les films sur l’esclavage, comme 12 Years a Slave de Steve McQueen ou Birth of a Nation de Nate Parker, essaient d’être honnêtes avec la condition féminine de l’époque. Les femmes noires, réduites en esclavage, travaillaient les champs, étaient esclaves sexuelles ou servaient de bonnes au sein du foyer. Cela ne laisse pas a priori le champ aux scénarios pour en faire des personnages puissants et actifs, mais plutôt des victimes.

Antebellum veut rendre du pouvoir aux femmes et en faire des personnages « d’action ». On a vu récemment avec Harriet, film sur Harriet Tubman, que le cinéma essaie de rappeler que les femmes ont eu un rôle dans la révolte.

Antebellum tire sa force de Janelle Monáe

Après

Moonlight, Les Figures de l’ombre et Harriet, l’actrice Janelle Monáe continue sur sa lancée de portraits de femmes noires fortes avec Veronica Henley dans Antebellum.

Époustouflante, elle porte à elle seule le film de bout en bout, et on ne peut que se réjouir d’avoir enfin des rôles à la hauteur des actrices hollywoodiennes. Prends-en de la graine, Nolan.

L’actrice s’entoure également de femmes puissantes et confiantes, comme Gabourey Sidibe (Precious) qui fait son apparition dans une partie certes un peu longuette, mais on comprend bien qu’il est impossible de lui couper la moindre réplique au montage. Longueurs autorisées pour Gabourey.

Kiersey Clemons épaule aussi Janelle Monáe a l’écran en faisant le portrait d’une jeune esclave qui n’a pas envie, et finalement plus la force, de se taire. 

Même du côté des grands méchants, Jena Malone livre à Janelle Monáe une antagoniste parfaite, une bad bitch des plus cruelles, au sang plus froid qu’un glaçon sibérien. On peut dire que dans Antebellum, les hommes sont carrément relégués au second plan.

Ça parle féminisme, anti-racisme et intersectionnalité sur un écran géant dans un film grand public, comme quoi, 2020 nous réserve tout de même quelques bonnes surprises.

Antebellum, un film ancré dans son époque

La force du montage, c’est de pouvoir faire converser le passé et le présent entre deux plans.

Avec Antebellum, le passé s’immisce dans le futur et vice versa, instaurant ainsi un dialogue qui résonne particulièrement avec l’actualité américaine de ces dernières années, et de ces derniers mois. L’assassinat de George Floyd le 25 mai dernier par un policier blanc a embrasé la population américaine assoiffée de justice, et le monde entier s’est rangé derrière le mouvement #BlackLivesMatter.

Encore une preuve que le passé n’est pas le passé, puisqu’il semble qu’il faille encore et toujours se battre pour ses droits fondamentaux. De 1954 à 1968, les Afro-Américains se soulevaient déjà à travers le mouvement des droits civiques, et le cinéma s’en est trouvé changé suite à leurs combats. 

Régis Dubois explique ce lien intime entre le cinéma et l’actualité :

Au cinéma dans les années 1960, l’acteur qui va s’imposer, c’est Sydney Poitier. C’est le premier acteur noir à recevoir un Oscar pour un premier rôle en 1964. Des années 1960 à 1970, il va incarner le héros intégrationniste, c’est la plus grande star noire à Hollywood. Mais il incarne un contre-stéréotype : c’est un personnage valeureux, mais quand même neutralisé politiquement, assez parfait, assez consensuel.

Sydney Poitier incarne cette phase de transition entre la ségrégation, les années 1930-1940 et le cinéma classique, vers le cinéma du nouvel Hollywood, qui va être beaucoup plus radical.

À partir de 1971, Shaft, les nuits rouges de Harlem, de Gordon Parks, un photographe noir et le premier réalisateur noir à tourner à Hollywood, inaugure la Blaxploitation, un mot-valise pour désigner l’exploitation des noirs. À partir de là, une déferlante de films afro, avec des acteurs noirs, des coupes afro, c’est très funky, et aussi très radical. Les rôles sont inversés : les Blancs sont les méchants, qu’ils soient flics ou gangsters, et les Noirs sont les héros.

Ces films vont avoir un propos assez vindicatif, assez politique, et c’est le résultat des droits civiques, des Black Panthers, et de cette époque du Black Power. Mais ces films restaient des films de série B, de niche.

Les années Obama ont été une explosion pour le cinéma noir avec Le Majordome, 12 Years a Slave, ils ont eu des récompenses… Il y a eu vraiment une libéralisation des noirs au cinéma, avec plusieurs films qui parlaient d’esclavage, et de séries aussi. Ces films étaient grand public, faisaient des millions d’entrées, ce qui était nouveau (Spike Lee ne faisait pas autant d’entrées à l’époque malgré son succès critique). Mais c’était un cinéma assez consensuel. Noirs et Blancs finissaient main dans la main.

La nouveauté depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, c’est que le cinéma noir s’est radicalisé. Davantage de films dénoncent avec virulence le racisme systémique. Jordan Peele cartonne avec Get Out, Spike Lee marche bien aussi avec BlacKkKlansman, mais d’autres films sortis n’ont pas eu tant de succès.

La violence faisant partie intégrante de notre époque, c’est donc tout naturellement qu’Antebellum se montre cru (sans toutefois en faire trop) sur les violences physiques et sexuelles.

Cette violence terrible fait du film une beauté cruelle, dont on se rappelle cet incipit en plan-séquence parcourant la plantation, nous préparant à la bataille au rythme de sa musique aussi merveilleuse que grave. 

La contre-plongée sur la statue d’un général confédéré dans Antebellum n’est donc pas sans rappeler les déboulonnages de ces mêmes statues qui rendent hommage à ces figures historiques à Richmond, puis dans tout le sud des Etats-Unis, jusqu’en France.

Antebellum, un divertissement grand public qui dénonce les dérives du racisme systémique

Antebellum partage ses producteurs avec Get Out et Us. Ce détail mis en avant au début du film annonce la couleur : ce film va nous marquer, parce qu’il abordera un sujet grave en procurant des émotions fortes. 

Emmanuelle Spadacenta analyse cette vague de divertissements grand public dénonciateurs du racisme qui déferle sur Hollywood ces dernières années :

Des artistes noirs, comme Jordan Peele, Ava DuVernay ou Ryan Coogler, ont fait leur place à Hollywood et produisent ou réalisent des films qui sont des commentaires sociaux, au sein même du cinéma de genre. Ainsi, ils allient propos politiques et divertissement. Ce sont des films populaires, faits pour attirer un large public, qui parlent à tous mais ont souvent une richesse supplémentaire pour la communauté noire, puisque les films visent généralement à parler de l’expérience afro-américaine, au sein de l’Amérique blanche. Il s’agit de reprendre le contrôle de la représentation des Afro-Américains à l’écran et de ne plus laisser aux artistes blancs le monopole du point de vue sur des problématiques raciales, sociales et politiques au cinéma.

Antebellum signifie « avant la guerre », mais le film nous rappelle qu’il se déroule aussi pendant la guerre, celle qui fait rage aujourd’hui. Un film à voir en ce moment au cinéma.

À lire aussi : Yann Gonzalez : « Quand on crée un personnage de cinéma, il est pansexuel »


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

19
Avatar de Mimiecookies
14 septembre 2020 à 15h09
Mimiecookies
1/10 ...l’affiche est trompeuse c’est pas du tout un film d’horreur
Le cinéma où on est allé le vendait étant "épouvante-horreur" alors que oui il n'est pas un film d'horreur. Une grande partie pour cela que mon amie était très déçue
1
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