Vous ne connaissez pas forcément le nom d’Anne Seibel mais pourtant, vous avez sûrement déjà admiré son travail. Eh oui, la dame est cheffe décoratrice au cinéma et elle a déjà une belle carrière derrière elle !
Après avoir travaillé sur quelques films — L’homme au masque de fer, Spy Game pour ne citer qu’eux — elle est promue au rang de cheffe-décoratrice avec Tempo et le plus récent Minuit à Paris de Woody Allen (pour lequel elle a été nommée aux Oscars).
Elle seconde Rick Carter, qu’elle considère comme son mentor, sur Munich (de Steven Spielberg), Le diable s’habille en Prada et plein d’autres longs-métrages.
Présente à l’Industrie du rêve, un événement organisé par Paris Images Cinéma fin janvier qui mettait l’Inde à l’honneur cette année, Anne nous parle un peu de son parcours et de sa vision de sa profession.
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- La première question qui se pose est basique : en quoi ça consiste d’être cheffe décoratrice dans le milieu cinématographique ?
C’est le métier qui consiste à recréer tout l’univers dans lequel vont évoluer les acteurs à partir d’un scénario.
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- Quelles études as-tu suivies ?
Personnellement je suis architecte. Je n’avais jamais pensé à ce métier au début. C’est en 3e année d’archi que j’ai découvert un tournage de cinéma. Et j’ai vu que les gens qui faisaient les décors, c’était ce que je faisais depuis toute petite. Je faisais des spectacles de marionnettes. Mais je n’avais jamais envisagé cette activité comme métier.
Je ne connaissais personne donc j’ai commencé par la petite porte, j’ai appelé tous les chefs décorateurs, j’ai débuté par le bas de l’échelle mais comme je dessinais des plans déjà, on m’a assez vite mis à la planche à dessins.
- La petite porte, c’est-à-dire ?
Tu fais un peu tout. Le premier film sur lequel j’ai été, il fallait décaper les poutres et les repeindre, plus un rôle de stagiaire classique : faire du café, etc.
Tu as dû voir que je faisais beaucoup de films anglo-saxons. C’est tout simplement parce qu’un jour on m’a demandé si je parlais anglais, j’ai répondu rapidement oui, oui, alors que j’avais plutôt fait de l’allemand.
C’était pour être le miroir d’une équipe anglaise sur un film américain, et en fait c’était un James Bond.
Aujourd’hui, en tant que cheffe-déco, je prends beaucoup de stagiaires architectes qui se dirigent plus vers ce métier là.
- Quelles sont les compétences primordiales, voire nécessaires, qui sont peut-être similaires entre le domaine de l’archi et celui de la déco ?
Nécessaires, je sais pas, mais personnellement je pense qu’il faut savoir dessiner. Pouvoir s’exprimer avec un crayon même si ce n’est pas parfait. Savoir faire des croquis.
Mais aussi bien voir dans l’espace et être curieux. Et ce que j’imagine être commun, c’est la notion d’espace mais aussi de lumière.
Car être chef décorateur, c’est souvent lié à l’humain et à l’éclairage. Comment on éclaire un bâtiment en intérieur, en extérieur, comment on place les choses.
- Quelle est la marge de créativité dont tu disposes aujourd’hui en tant que cheffe décoratrice ?
Ça dépend vraiment des films.
- C’est avec le réalisateur que tu dois communiquer le plus pour réaliser un décor ?
Oui, avec le réalisateur, et je communique beaucoup avec le directeur de la photo. Mais une chose très importante, c’est le scénario qui dicte l’ambiance du film. Si c’est un film fantastique ou d’anticipation, c’est de la création pure vu qu’on n’a pas d’exemple.
Mais si c’est de la reconstitution historique, c’est de la copie et de l’interprétation d’époque. Si c’est le réalisateur qui a des idées arrêtées et qui veut de la reconstitution d’époque, on suit à la lettre.
C’est intéressant aussi car il y a tout un travail de recherches qui te permet de te cultiver aussi.
Puis il y a toutes les nouvelles technologies avec lesquelles tu peux recréer des univers qui n’existent pas. Il faut surtout arriver à recréer du faux dans lequel on croit que c’est du vrai. Amener le public à visuellement se dire « je suis à telle époque ».
Ça peut être seulement à l’aide d’éléments de décor car on ne peut pas tout charger par manque d’argent.
- Et c’est le réalisateur qui a le dernier mot ?
Oui, bien sûr, on travaille à son service, mais on peut proposer des choses, détourner des images. Pour Woody Allen et nos trois collaborations, il y a des décors qui n’étaient pas prévus, mais que j’ai proposés et il a fini par réécrire le scénario.
D’autres fois, le réalisateur donne carte blanche.
- Dans mon esprit, tout ce travail se fait quand même beaucoup en amont. Donc à quel moment les chefs décorateurs interviennent-ils ?
Au début, on a une vague idée des décors, mais des fois il y en a que l’on ne trouve qu’à la fin donc j’interviens jusqu’au dernier moment. Mais la grosse phase c’est environ huit semaines avant le tournage.
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- Est-ce qu’il y a un décor dont tu es la plus fière ?
Magic in the Moonlight et Midnight in Paris, j’ai adoré Marie-Antoinette. Mais je suis très fière d’un petit film indien, Road Movie, qu’on a tourné dans le désert.
- Quel a été le plus gros problème auquel tu as dû faire face ?
Sur Midnight in Paris par exemple, c’était recréer le Moulin Rouge alors qu’il n’existe plus et que des salles similaires, il y en a pas vraiment. On a fini avec la Cigale, il a fallu prouver à Woody Allen que c’était possible de le recréer là-dedans.
- On entend souvent que les différents secteurs du cinéma sont un peu genrés, est-ce que t’as l’impression qu’en déco ça l’est moins ?
Quand j’ai commencé, ça l’était. Je n’avais rencontré qu’une seule femme et on était très peu nombreuses dans les assistantes.
Maintenant, la tendance s’inverse. À la Fémis où j’enseigne également, j’ai fait quatre ans et il y avait presque que des filles.
- Si tu devais promouvoir ton métier en une phrase, qu’est-ce que tu dirais ?
Je dirais qu’on est des bâtisseurs de rêves.
Et ça tombe bien qu’elle finisse sur cette phrase car elle disait que l’un des films sur lequel elle aurait rêvé de travailler est le récent La La Land qui correspond exactement à cette conclusion !
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