Lundi 4 septembre se tenait la Journée mondiale de la santé sexuelle, instaurée en 2010 par l’Association mondiale de santé sexuelle (World Association for Sexual Health – WAS).
Selon les derniers chiffres de L’Observatoire Qare x Ipsos, 63 % des femmes déclarent avoir déjà eu un problème de santé sexuelle. Pourtant, un tabou sociétal demeure : 60 % des femmes n’en ont jamais ou rarement parlé à leur médecin généraliste, 39 % à leur gynécologue et 69 % à une sage-femme.
Par ailleurs, moins d’une femme sur deux se dit suffisamment à l’aise pour discuter de ces questions à un professionnel de santé. Comment l’expliquer, et surtout, comment y remédier ? Éclairage avec Anna Roy, sage-femme.
Anna Roy, Sage-femme, autrice et chroniqueuse à La Maison des Maternelles
Madmoizelle. Qu’appelle-t-on « la santé sexuelle » ?
Anna Roy. Je me réfère toujours à la définition de l’OMS, très complète :
« La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité. La santé sexuelle exige une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sécuritaires, sans coercition, ni discrimination et ni violence. Pour atteindre et maintenir une bonne santé sexuelle, les Droits Humains et Droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et réalisés ».
Organisation mondiale de la Santé
Comment expliquer qu’autant de patientes rechignent à parler de santé sexuelle ?
Plusieurs choses se jouent. Tout d’abord, dans l’imaginaire collectif, la santé sexuelle ne fait pas partie de la santé. Les gens perçoivent cela comme quelque chose « en plus ».
Ensuite, ils ont peur de nous [les professionnels de santé, ndlr] ennuyer avec leurs soucis, ils craignent notre réaction, notre jugement. Cela est notamment dû au fait qu’en France, les relations entre soigné·e et soignant·e sont très souvent verticales. Il y a un sachant qui se place au-dessus. Pourtant, ce n’est pas parce que je détiens un savoir que je dois prendre cette position hiérarchique.
Instaurer des rapports horizontaux, comme c’est mon cas dans ma pratique, fait que toutes mes patientes me parlent de leur santé sexuelle. Je ne suis pas plus forte que les autres professionnel·les de santé, mais j’ai toujours envisagé la relation avec mes patientes comme une relation parfaitement horizontale : je me présente sous le prénom Anna, je ne mets pas de blouse, etc.
Donc, d’une part, ça ne fait pas partie de la santé dans l’imaginaire collectif, ensuite c’est tabou et troisièmement, les rapports verticaux ne laissent pas assez d’espace à ces discussions car les patientes ont peur de notre jugement.
D’où vient le tabou et la méconnaissance qui entourent la santé sexuelle ?
Les patientes qui n’osent pas parler pensent souvent qu’elles sont seules… Alors que c’est tout l’inverse. On imagine que la vie sexuelle d’autrui est parfaitement épanouie, et que personne d’autre n’a de difficulté. Je dirais pourtant que les gens qui ont une santé sexuelle parfaitement épanouie, simple, agréable, sont assez rares dans ma pratique.
Et puis, on a peur de parler sexe, on ne l’envisage pas du tout comme une composante de la santé.
Il y a un manque d’éducation réel sur ces sujets. Les connaissances sur notre corps, et ce qui touche à notre intimité, sont extrêmement insuffisantes. Je suis toujours soufflée de voir que des femmes ne savent pas où est leur clitoris, aujourd’hui encore. On a l’impression que l’information est très diffusée via les réseaux sociaux, mais c’est une illusion. L’information est très mal diffusée, les réseaux sont un miroir grossissant et aucunement un reflet exact de la population générale.
La bonne nouvelle, c’est que les choses continuent sans cesse de s’améliorer à ce niveau-là.
Y a-t-il un désintérêt ou une indifférence de la recherche médicale sur ces questions ?
Indifférence, je ne sais pas. En revanche, il y a une dévalorisation des dires des femmes. En parlant des règles, par exemple, on a souvent entendu des discours du genre « les femmes exagèrent beaucoup leur douleur, c’est normal d’avoir mal pendant ses règles… ».
Cela pose la question de la parole et du crédit que l’on a porté à cette parole des femmes. La recherche est la suite de ce que les soignants faisaient sur le terrain. Mais je suis optimiste et je trouve qu’on écoute de plus en plus ce qu’ont à raconter les femmes. J’en suis la preuve vivante : avant, on n’écoutait pas les sages-femmes car c’étaient des femmes qui s’occupaient de femmes. Aujourd’hui, on écoute davantage ce que les femmes ont à dire, et ce que les femmes qui s’occupent de femmes ont à dire.
Qu’est-ce qui peut être fait pour accompagner cette évolution positive que vous observez ?
Il faut qu’il y ait une information, une vulgarisation de bonne qualité, qui soit disponible partout et gratuitement, sur les réseaux, par l’intermédiaire de certifications de comptes santé spécifiques par exemple…
Il faut renforcer l’éducation dans les parcours scolaires, réenvisager la relation médicale comme une relation horizontale pour que les gens osent nous poser des questions sur des sujets plus intimes, refaire des campagnes d’information sur la santé sexuelle, bien dire qu’il ne faut pas avoir honte d’en parler… Et ne pas être alarmé·e par les constats actuels car, oui, les choses évoluent !
Anna Roy sortira un ouvrage jeunesse intitulé « Tout sur les zézettes et les zizis ! » le 1ᵉʳ novembre aux éditions Flammarion Jeunesse.
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