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Féminisme

Angèle n’a pas de comptes à rendre dans l’affaire Roméo Elvis

Le rappeur Roméo Elvis a été accusé d’agression sexuelle, mais c’est sa sœur, Angèle, qui a été harcelée sous prétexte qu’elle ne l’a pas immédiatement condamné. Une violence déshumanisante qui est loin de se limiter à ce cas particulier.

#BalanceTonFrère, voilà le hashtag (dérivé du carton engagé Balance ton quoi) que certains ont choisi d’utiliser pour invectiver la chanteuse Angèle sur les réseaux sociaux ces 8 et 9 septembre 2020. Les tweets, commentaires et stories Instagram ont défilé d’heure en heure.

Un homme accusé, une femme harcelée : voilà un réflexe ancré dans la misogynie et la culture du viol, dont Angèle est la dernière en date à faire les frais.

Roméo Elvis, Angèle, Moha La Squale et #BalanceTonFrère

Récapitulons brièvement la situation.

Le 5 et 6 septembre 2020, une jeune femme, Romy, accuse dans des stories Instagram le rappeur très en vue Moha La Squale de l’avoir violentée, et d’avoir fait d’autres victimes dont elle relaie également la parole. Coup de tonnerre dans le milieu du rap français. Surtout que le buzz sur les réseaux se transforme vite en réalité bien tangible : après ces publications, trois femmes ont porté plainte contre le rappeur.

De nombreuses personnalités féministes soutiennent la parole des victimes, dont la chanteuse engagée Pomme qui a posté en storyInstagram le texte suivant, repartagé par la chanteuse Angèle (laquelle s’est plusieurs fois exprimée contre les violences sexuelles et sexistes) :

« Juste une petite mise au point pour les partisans fervents de la présomption d’innocence : elle serait légitime dans un système où la justice ferait son travail, prendrait les plaintes des victimes, et où le patriarcat n’existerait pas. Est-ce que c’est le cas ? Non. »

Quelques jours plus tard, le 8 septembre, une autre accusation vise le frère d’Angèle, le rappeur Roméo Elvis : une femme affirme (toujours en story Instagram) qu’il l’a agressée sexuellement. Dès le lendemain, chose rare, le rappeur a reconnu les faits et présenté ses excuses.

Pendant les vingt-quatre heures séparant l’accusation visant Roméo Elvis de sa réaction publique, les attaques contre Angèle pleuvent. « Quand c’est son frère on l’entend pas cette connasse », « Bah alors tu dis plus rien ? » et autres envahissent les réseaux sociaux.

Le silence de l’interprète de Balance ton quoi

est vu comme de l’hypocrisie, voire le signe de convictions à deux vitesses. En réalité, Angèle met moins d’une journée à s’exprimer et poste cette story le 9 septembre.

« De la même façon que je me bats aux côtés des femmes et minorités négligées, je condamne les actes qui vont à l’encontre de mes principes. C’est d’autant plus important qu’il s’agit d’un proche et heurtant de l’apprendre ainsi. Une prise de conscience globale est à venir et un changement des mentalités s’impose, encore, toujours et partout. C’est tout ce que je souhaite. »

Un homme est accusé d’avoir agressé sexuellement une femme, et c’est quand même une femme qui se retrouve « dans la sauce ». Une situation bien trop courante qui prend ses racines dans cette satanée culture du viol.

Angèle n’est pas « le gardien de son frère »

Angèle est-elle responsable des agissements de son frère, tout à fait majeur, vaccinée et autonome ? Est-elle complice, a-t-elle tu la vérité, a-t-elle fait pression sur des victimes ? Non, non et encore non.

Elle est, comme beaucoup d’autres féministes, victime d’un système de pensée qui octroie la responsabilité des actes masculins aux femmes. C’est ce qu’explique Louise Delavier, porte-parole d’En avant toute(s), une association luttant pour l’égalité femmes-hommes et contre les violences sexistes, notamment conjugales.

Il y a un côté « double peine » dans ce que subit Angèle. C’est difficile d’apprendre que son frère est accusé d’agression sexuelle, difficile de l’apprendre sur Internet, difficile d’être au cœur d’un tel engouement médiatique. Et c’est difficile d’être pointée du doigt.

Malheureusement, la situation est classique. On exige des féministes qu’elles soient exemplaires, qu’elles réagissent à tout, tout de suite, ne commettent aucune erreur, n’aient aucune émotion, sous peine d’être vues comme incohérentes ou accusées, comme Angèle, de duplicité.

Le timing n’a pas joué en la faveur d’Angèle puisque l’accusation visant Roméo Elvis est survenue juste après qu’elle a réagi aux allégations au sujet de Moha La Squale. Mais il ne faut pas s’y tromper, elle aurait été prise à parti même sans cette temporalité. Parce qu’elle a eu le courage de dénoncer (dans ses chansons, dans des interviews) le sexisme, les violences sexuelles. Parce qu’elle a eu le courage d’être ouvertement féministe.

C’est ça qui fait d’elle une cible toute désignée pour ce déferlement de haine totalement injuste.

Roméo Elvis accusé, Angèle déshumanisée

Il y a dans cette condamnation d’Angèle une violence aussi explicite qu’implicite. Exiger d’elle une réaction de féministe, c’est nier sa réaction de femme, de personne, de sœur.

Il est difficile d’apprendre que son propre frère est accusé d’avoir commis une agression sexuelle. N’importe qui aurait besoin d’un moment pour intégrer l’information, la douleur, pour digérer le choc et décider de la meilleure façon d’agir.  Ce temps n’a pas été accordé à Angèle — parce qu’elle est engagée contre les violences faites aux femmes.

Selon Louise Delavier, le phénomène est loin d’être isolé : il s’inscrit dans un système qui doute en permanence de la parole des féministes.

Les féministes sont déshumanisées en permanence, privées de leur dignité, de leur droit à l’intimité. Dès qu’on a une position militante, il y a une injonction à se justifier, s’exprimer, se reprendre, préciser sa pensée en permanence, même lorsque ça touche, comme ici, à notre vie privée.

C’est humain de ne pas réagir de la même façon à une accusation visant son frère qu’à une accusation visant un inconnu. Mais beaucoup n’ont pas accordé à Angèle cette part d’humanité.

Cachez ces violeurs que l’on ne saurait voir

C’est l’une des articulations les plus frappantes de la culture du viol : tout le monde, ou presque, peut dire « Je connais une femme victime de violences sexuelles ». Très peu de gens disent « Je connais un violeur ».

Pourtant, les féministes, les associations et même les chiffres officiels s’échinent à le répéter : les violeurs sont nos pères, nos conjoints, nos cousins, nos employeurs, nos stagiaires, nos camarades de promo, nos amis. Et nos frères. Louise Delavier le rappelle justement.

En 2019, on estime qu’il y a eu 94 000 femmes victimes de viol ou de tentative de viol en France. Ça fait beaucoup de frères potentiels (et pas que des rappeurs, je tiens à le souligner).

C’est pour ça qu’il faut penser les choses en termes de système, plutôt que de prendre un cas à la fois.

Les gens qui harcèlent Angèle ne se sont pas forcément demandé comment ils réagiraient si leur propre frère était accusé. Ils ne font pas cette démarche d’empathie : s’imaginer à la place de la chanteuse.

Petit guide de l’empathie sur Internet

Beaucoup de personnes ont dénoncé le harcèlement qui vise Angèle. Mais ce faisant, elles ont répondu à des commentaires haineux ou utilisé le hashtag #BalanceTonFrère, ce qui a favorisé leur visibilité en activant le jeu des algorithmes.

Quelle serait la « meilleure » façon de soutenir la chanteuse sans donner de la force à celles et ceux qui l’insultent ? Louise Delavier suggère quelques pistes pour madmoiZelle.

Déjà, histoire de générer de l’empathie, tout le monde devrait balayer un peu devant sa porte et s’interroger : est-ce que je ne connaîtrais pas un violeur, moi aussi ?

Ensuite, dire qu’on soutient Angèle, ça peut être une très belle chose et aussi ouvrir un débat, créer l’occasion de rappeler la réalité des violences sexuelles. Car ce n’est pas en attaquant une personne courageuse, une personne féministe, qu’on entame une discussion saine à ce sujet…

Moi, j’aimerais tout simplement envoyer du love à Angèle.

Pour rappel, sur les réseaux sociaux, l’indignation est le plus fort moteur de viralité. Ce qui nous appelle tous et toutes à faire preuve de prudence : notre colère, bien que légitime, va être identifiée et mise en avant par les algorithmes. Prêtons attention à la manière dont on l’exprime, aux mots et aux hashtags que l’on choisit, afin de ne pas donner de la visibilité aux propos des harceleurs.

On peut par exemple reprendre des paroles au lieu de citer un tweet ; « casser » un hashtag (#B*lanceTonFr*re) pour que notre message ne le fasse pas remonter ; contacter des personnes en privé plutôt que publiquement ; exprimer notre soutien pour Angèle en postant des commentaires sans répondre aux haters… On peut aussi lancer des hashtags différents, positifs, en espérant qu’ils deviennent viraux.

C’est avant tout un ensemble de best practices visant à ce que nos messages féministes ne soient pas dévoyés par des algorithmes que nous ne contrôlons pas.

Par cet article, madmoiZelle envoie à Angèle son soutien indéfectible et entier. Car elle n’a absolument rien à se reprocher.

À lire aussi : J’ai découvert que mon meilleur ami était un agresseur sexuel


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Les Commentaires

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Avatar de zazouyeah
21 septembre 2020 à 18h09
zazouyeah
Perso j'y vois moi aussi un ressort très sexiste en oeuvre. C'est une femme, féministe, donc on s'attends à beaucoup de choses d'elle. On place sur elle des attentes imaginaires, qui vont permettre de l'insulter si elle échoue à remplir les exigences des autres.

Encore une fois, on exige des militants qu'ils soient irréprochables dans tous les aspects de leur vie sans quoi on serait en droit de considérer toutes les causes qu'ils aient jamais pu défendre comme invalides. On voit ce genre de critiques envers les féministes, les anti-racistes, les écolos, les végétariens... Et pendant ce temps les conservateurs peuvent dormir sur leur deux oreilles : l'asymétrie de ces situations est épuisante.
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