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Andréa Bescond : « c’est toujours aux victimes de faire tout le travail »

Danseuse, comédienne, scénariste, mais aussi infatigable militante contre les violences masculines faites aux femmes et aux enfants, Andréa Bescond signe un premier roman qui explore les non-dits et les racines de la violence sur plusieurs générations.

Sur Instagram, elle partage des posts à l’écriture blanche sur fond noir qui donnent quotidiennement à voir un panorama, non exhaustif mais navrant, de la réalité de l’impunité en France en ce qui concerne les violences faites aux femmes et aux enfants. Mais Andréa Bescond est aussi et surtout engagée hors des réseaux sociaux. Il faut dire que les violences au sens large sont un sujet qui l’habite, à travers son histoire personnelle notamment. À l’occasion de la sortie de son tout premier roman, Une simple histoire de famille (Albin Michel), publié au mois de janvier, Madmoizelle a rencontré Andréa Bescond et discuté avec elle de la manière dont ce texte s’imbrique dans son engagement. L’occasion aussi, de parler résilience, diversité, vérité ou encore vengeance.

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Interview d’Andréa Bescond

Madmoizelle. Comment est né ce roman ?

Andréa Bescond. Après une représentation des Chatouilles, en 2016, Caroline Marson [éditrice chez Albin Michel, NDLR] est venue me dire qu’elle avait adoré mon texte. Et elle m’a encouragé à écrire. À ce moment-là, je n’étais pas prête. Entre le spectacle, le film et mes enfants en bas âge, je n’avais pas la tête et le temps d’écrire un roman. Elle m’a recontacté plus tard et on a discuté, notamment de ma famille. Mon père venait d’apprendre que mon arrière-arrière-grand-mère s’était défendue de son mari violent et l’avait tué. J’étais déjà traversée par l’idée d’un récit sur le transgénérationnel, mais cette nouvelle a été un point de départ qui m’a inspiré dans le trajet du personnage de Louisette.  J’ai eu envie de questionner la manière dont le besoin de se défendre, d’exister ou au contraire d’abdiquer peut passer de génération en génération. 

Dans ce texte, vous auscultez la question de la transmission de la violence de génération en génération. Vos personnages se débattent avec ça et finissent par en sortir victorieux. Comment arrivent-ils à briser cette spirale qui apparaît parfois comme une fatalité ?

Je suis persuadée que l’on peut la briser, il y a toujours une solution quelque part. Rien n’est inéluctable. On peut changer. Ce n’est pas parce que l’on a eu une éducation violente ou qu’on a soi-même été violent, qu’on le restera toujours. Et puis, si on perd l’espoir d’aller mieux, la vie ne vaut pas le coup d’être vécue. J’ai vérifié dans mon expérience de vie que parler, dire la vérité, était essentiel. Certes, cela peut être chaotique et briser certaines relations. Mais en réalité, celles qui s’abîment sont celles qui ne fonctionnaient pas. La vérité permet d’avoir une direction de vie. Pour soi-même, mais aussi dans les rapports avec ceux que l’on côtoie. Prenez le personnage de Hervé : pendant 50 ans, il était ce que j’appelle « inapesenté ». Il sentait bien qu’il y avait des choses dans son existence qui ne collaient pas, il était comme prostré, coincé dans la vie. Lorsqu’il apprend que celle qu’il prenait pour sa mère ne l’est pas, il est d’abord terrassé par la nouvelle. On ne peut pas nier le chagrin qu’engendre la vérité. Mais elle lui permet aussi de rebondir, de reprendre le dessus. D’autant qu’il a la chance d’être bien entouré et soudé avec sa fille, Lio. L’entourage est très important, il faut savoir ouvrir les yeux sur ceux qui nous entourent.

La question des non-dits est centrale dans votre roman, ils apparaissent comme une prison dont les personnages tentent de se libérer. Certains vous répondraient pourtant que tous les secrets familiaux ne sont pas bons à révéler tant l’onde de choc de leur révélation peut s’avérer destructrice…

Quand on connaît la vérité, on a le choix. C’est un droit d’avoir le choix. Si on apprend qu’on a été victime de violences, après une amnésie traumatique, par exemple, le fait de le savoir permet de rentrer en conscience avec soi pour comprendre ce qui nous arrive. Parce que tout traumatisme émotionnel engendre des conséquences posttraumatiques, des expériences dépressives, des addictions ou des somatisations. La vérité permet de dénouer tout ça. C’est vrai pour les secrets toxiques, mais aussi pour les choses plus petites. Prenez, par exemple, une famille dans laquelle la grand-mère s’énerve publiquement contre le grand-père chaque fois qu’il se sert un petit verre de whisky à l’apéro alors qu’il n’abuse jamais. Tout le monde la prend pour une conne, un peu chiante. Jusqu’à ce que l’entourage apprenne qu’il y a 30 ans, papi était un grand alcoolique, qu’ils ont vécu la misère et que chaque verre fait remonter dans la tête de mamie des souvenirs difficiles. Le savoir permet de regarder et de comprendre la situation différemment. Il faut être transparent et n’avoir honte de rien !  

Vous croyez à la résilience, mais qu’en est-il de la vengeance ? Ce sujet est très présent dans votre roman, par le biais du personnage de Lio qui est habitée par l’idée de venger sa mère.

Ce qui est injuste, c’est qu’on demande toujours aux victimes de faire tout le travail. Évidemment, il faut renoncer à l’idée de se venger. Mais, dans un monde où il n’y a pas de justice pour les victimes, ou très peu, ça devient compliqué. Il faut faire attention parce que la patience a ses limites et que la colère peut amener à l’irréparable. Je pense notamment à ce papa qui a passé à tabac l’adolescent accusé d’avoir agressé sexuellement sa petite fille en passant par la fenêtre de sa chambre, une nuit.  Cela ne peut qu’arriver si l’on continue à avoir 75% de classements sans suite et l’impunité constante des violeurs et agresseurs. Il faut que la prévention, la justice et l’accompagnement avancent en même temps que les femmes. Parce que nous, nous avançons !

De quelle manière la littérature s’imbrique-t-elle dans votre engagement ?

Je n’avais pas du tout l’intention d’écrire un roman engagé. Au départ, je n’ai pas pensé en termes de pédagogie ou de militantisme. L’idée n’était pas de créer un outil, en tous les cas pas de manière consciente.  Mais comme je suis totalement imprégnée au quotidien par mes combats, ce texte ne peut que s’inscrire dedans et dans cette volonté d’insuffler de l’espoir, une respiration en tous les cas.  J’ai donc simplement écrit autour des rapports humains et familiaux, de cette société qui me passionne et dont j’ai besoin de creuser tous les rouages.  J’avais aussi envie de diversité dans mes personnages. Il y a d’ailleurs quelque chose qui m’a marqué : Lio, une de mes héroïnes, est noire, on l’apprend tardivement dans le roman. Et c’est fou, parce que dans beaucoup de retours que j’ai eu, personne ne pensait que c’était le cas. Il y a encore cette espèce de réflexe de penser que tout le monde est blanc…

Est-ce que l’art en général vous semble être une arme redoutable de sensibilisation ?

Honnêtement, c’est une arme politique qui peut être plus forte que la politique. Il suffit de regarder l’impact considérable d’œuvres comme La consolation de Flavie Flament, Les chatouilles, La Familia Grande de Camille Kouchner ou encore Le Consentement de Vanessa Springora. Elles ont amené à ce que la société civile se réveille vraiment sur le sujet de la pédocriminalité et à ce que la parole se libère.  Pour cela, il faut le pouvoir de fédérer ainsi que de la visibilité, ce qui n’est pas toujours le cas. J’ai la chance que les médias m’aient toujours ouvert leurs portes, dès Les chatouilles. La sortie de ce livre me permet une nouvelle fois de présenter un travail artistique tout en défendant des positions politiques. C’est un privilège absolu qui me comble. On n’a malheureusement pas le pouvoir de faire changer la politique, mais celui d’en parler et de faire entendre ce qui ne nous semble pas aller.

Maintenant que ce roman est publié, quels sont vos projets ?

Je suis en train de commencer à écrire son adaptation pour le cinéma. Parallèlement, je prépare un tournage pour une série que je réalise avec Wild Bunch pour Amazon Prime intitulée Nude. Et notre second long métrage, coréalisé avec Éric Métayer, sortira le 26 avril. Il s’appelle Quand tu seras grand. C’est une chronique sociale sur les EHPAD et l’occasion de montrer la richesse humaine au-delà des difficultés qu’inflige cette société.


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

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