— Publié le 7 mai 2015
En 1987, Christian Piccolini a 14 ans. Il rejoint le gang néo-nazi/skinhead le plus important des États-Unis, les Chicago Area Skinheads/Romantic Violence. Pendant sept ans, jusqu’à son départ en 1996, il en a grimpé les échelons, a commis des crimes haineux, a entreposé des armes pour un projet visant à renverser le gouvernement… c’est en réalisant qu’il ne parvenait plus à associer cette vie basée sur la haine et l’empathie qu’il ressentait pour ceux qu’il était censé haïr qu’il a décidé de quitter le gang.
En 2010, il a fondé Life After Hate, pour éloigner les gens de la tentation représentée par la droite extrême, et aider les skinheads qui le souhaitent à s’éloigner de la haine via le sous-mouvement ExitUSA. Il vient également de publier un livre, Romantic Violence: Memoirs of an American Skinhead.
https://youtu.be/td2DARjygF8
C’est à cette occasion que Christian Piccolini s’est dirigé vers Reddit, le « forum de l’Internet mondial », pour faire une AmA (Ask me Anything : demandez-moi ce que vous voulez) et échanger avec les membres. Ses réponses, passionnantes, et son discours lucide permettent de mieux comprendre ce qui guide, encore aujourd’hui, de nombreuses personnes vers des gangs dédiés à la haine.
Lire toute l’AmA de Christian Piccolini (en anglais)
Je vous ai traduit plusieurs échanges, afin que son discours soit accessible au plus grand nombre.
Les causes de la dérive
Un utilisateur, jackwillis95, demande à Christian : « Est-ce que ça vous inquiète de constater à quel point il est facile de rejoindre une idéologie extrémiste et haineuse de nos jours ? Particulièrement quand on voit de jeunes gens rejoindre ces groupes, comme l’État Islamique… ». Un autre, 27_th wonder, évoque Aube Dorée, l’organisation extrémiste qui monte en Grèce.
Voici les réponses de Christian :
— Je pense qu’à chaque fois que le taux de chômage est fort, qu’il existe des inégalités, que les opportunités se font rares, dans n’importe quelle société, l’extrémisme devient un problème. J’ai rejoint un mouvement prônant la suprématie blanche pour les mêmes raisons qui motivent de jeunes Américains à se rendre en Syrie pour rejoindre l’État Islamique. Ce problème doit être réglé de façon globale.
— Mes raisons étaient : la promesse d’avoir du pouvoir, d’être intégré, protégé, de faire partie d’une communauté… quand on vous donne des raisons de blâmer les autres pour vos problèmes ou votre malchance, ça change votre façon de voir le monde.
[Au sujet d’Aube Dorée] — Le chômage, les inégalités, un pays instable, des problèmes financiers… et boum.
(Re)voir l’excellent documentaire ARTE : Populisme, l’Europe en danger, disponible en VOD et DVD
Le visage de l’endoctrinement
Christian répond à la question de dewsbury89 : « Tu as dit été « endoctriné » pour rejoindre le groupe. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Et est-ce que tu avais déjà des opinions racistes, ou est-ce qu’elles se sont développées en toi pendant ton intégration ? ».
— L’endoctrinement, c’était répéter les mêmes idées. Utiliser la rhétorique. Renforcer les insécurités en promettant du confort, du pouvoir, de la suprématie. La musique était l’outil de propagande le plus efficace pour les skinheads prônant la suprématie blanche dans les années 80 et 90, comme aujourd’hui. Je n’ai pas été élevé avec des idées racistes. En fait, mes parents sont arrivés ici dans les années 60 ; ils venaient d’Italie et ont souvent été victimes des préjugés. J’ai construit ces opinions moi-même car je cherchais un sens aux choses. Je voulais m’intégrer. Quand j’ai trouvé un groupe qui, en tout cas je le croyais, correspondait à mes besoins, je suis devenu aussi malléable que de la pâte à modeler.
[Au sujet de la musique comme outil de propagande] — La musique a une énorme influence sur la société : sur la mode, la langue, la culture, l’attitude, l’apparence… Les paroles des chansons que j’écoutais inspiraient la violence, la haine. Elles étaient pleines de mots qui me donnaient ce que je percevais comme des réponses à mes problèmes. C’était une façon d’expurger ma colère, ma confusion. En les écoutant assez de fois, j’en ai fait mon éducation. Puis j’ai fait de même en écrivant mes paroles, ma musique. C’était un outil de recrutement très efficace, qui créait une communauté.
Dans la série Oz, un groupe de néo-nazis incarcérés violente d’autres prisonniers.
Sortir de la haine
Comprendre comment on tombe dans l’extrémisme, c’est bien ; savoir comment en sortir aussi. L’utilisateur friggysmalls demande à Christian : « Quel a été le premier moment où tu as réalisé que ce que tu faisais au sein de ce groupe extrémiste était mauvais, générait de la douleur ? Quelles autres découvertes t’ont aidé à comprendre à quel point tu étais extrême ? ».
— Je n’ai pas reçu une éducation raciste, donc pendant mes 7 années d’activité, j’ai eu mes moments de doute. Ce n’était pas toujours cohérent dans ma tête. Mais mon premier « moment de clarté » c’était quand notre bande a attaqué un groupe de jeunes Noirs dans un McDonald’s. Ils nous ont tiré dessus, et quand leur arme s’est enrayée, nous avons tabassé celui qui la tenait. En le rouant de coups de pied, j’ai ressenti, pendant un moment, de l’empathie. Et ça m’a secoué.
Le Redditor salmeida a une question un peu différente. Il dit à Christian : « Je crois que je connais quelqu’un « comme toi », qui appartenait à un gang mais s’en est écarté. Cet ami a des « tatouages nazis » et j’aimerais pouvoir en parler avec lui mais je ne sais pas comment entamer la conversation. J’ai peur qu’il ait toujours des liens avec ce groupe. Donc je voudrais savoir : quelle est la meilleure façon d’entamer la conversation à ce sujet ? Qu’est-ce que je fais s’il me dit qu’il est toujours lié au groupe et à ses idéaux ? Que lui dirais-tu pour lui montrer que tu ne partages pas ses avis mais que tu ne le rejettes pas pour autant ? ».
— Demande-lui, tout simplement. Et parlez-en. Il y a des chances pour qu’il meure d’envie de trouver quelqu’un avec qui il peut en parler. Il a probablement honte (s’il en est sorti). S’il en fait toujours partie, demande-lui pourquoi. Et demande-toi pourquoi tu as envie de rester son ami. Montre de la compassion. Utiliser la logique est toujours difficile.
[Pour aider les autres à surmonter leur haine] — Fais preuve de compassion. C’est ce qui a fini par me changer. C’est difficile, je sais, mais c’est contagieux (sauf si on est face à un sociopathe ou à un psychopathe). Ensuite, envoie-les à ExitUSA. Notre but est de soutenir ceux qui veulent sortir de groupes haineux, ou s’éloigner de la haine en général.
Assumer son passé
Plusieurs Redditors demandent à Christian comment il voit son passé, et quels sont ses regrets.
— Mon passé nourrit mon présent. Pendant ces sept ans d’activité, j’ai répandu et planté de nombreuses graines de haine autour du monde. Je passe à présent le plus clair de mon temps à arracher ce qui a germé de ces graines. Je m’attelle à réparer ce que j’ai brisé.
— Mon plus grand regret est de ne pas avoir été là pour mon frère, pas autant qu’il l’aurait fallu. En conséquence, je me sens coupable pour sa mort, pour son meurtre. J’aurais pu en faire davantage pour changer son destin.
— J’ai fait recouvrir certains de mes tatouages, ceux qui étaient le plus porteurs de haine. Les autres me servent de rappel. Il y en a certains pour lesquels je n’ai simplement pas encore eu le temps. Mes tatouages sont comme un journal intime permanent, et j’ai honte de certains d’entre eux, c’est sûr.
Ce témoignage rare permet de mieux comprendre comment on peut être endoctriné par un gang prônant la haine, le racisme, l’extrémisme, mais aussi comment s’en sortir ou aider ses proches à s’en sortir. En Europe et en France, les extrêmes recrutent : restons vigilant•e•s.
Les Commentaires
Vous confondez pogo et moshing. Je n'ai jamais vu de punk ou de skin pratiquer le moshing personnellement, dans leur concert c'est plus à base de bousculade que ça se passe et c'est pacifiste, je comprends pas trop ces idées reçus. Peut-être que certaines personnes représentant ces groupes font penser ça mais dans la réalité c'est tout autre chose. C'est brutal oui, certes, mais qui danseraient sur du OI! ou du punk hardcore sans bouger dans tout les sens ?
(et pour la petite anecdote, la seule fois où mon copain a pratiqué le moshing c'était dans un concert métal, et selon lui, les bracelets à pic ça fait très maaaal)
(ps : désolée du double-post)