Est-ce que vous saviez qu’en 2012, déjà, se trouvaient sur certains comptes Tumblr français des témoignages sur le harcèlement de rue — parmi les premières paroles à s’exprimer à ce sujet ?
Dans son livre Féminisme et réseaux sociaux, Elvire Duvelle-Charles, créatrice du compte Instagram @clitrevolution, raconte les moments clés du féminisme francophone en ligne. Elle retrace son propre parcours de militante numérique, et relaie les évènements qui l’ont marquée dans cette aventure sur Internet.
Le féminisme sur Internet, une longue histoire
En 2019, pendant qu’Elvire était en plein dans l’aventure de Clit Révolution en tournant la série du même nom avec Sarah Constantin pour France TV Slash, elle faisait également des études sur le genre et devait écrire un mémoire.
Elle a décidé d’utiliser ce qu’elle observait dans son quotidien comme sujet de mémoire : le féminisme sur Internet. Ce qui est ensuite devenu son livre, sorti le 17 février : Féminisme et réseaux sociaux.
« Je me suis rendu compte que peu de choses avaient été écrites sur la question du féminisme en ligne. J’avais uniquement trouvé des archives sur les dynamiques entre féministes dans les groupes Facebook, donc c’était déjà assez ancien. »
À travers son mémoire, et donc son livre, l’autrice voulait pouvoir observer et inscrire durablement ce qu’il s’était passé entre 2017 et 2021 sur le sujet. Comment le féminisme en ligne a-t-il évolué sur les réseaux sociaux, quel en était l’impact ?
« J’avais envie, en écrivant ce livre, de prendre de la distance. Faire un pas en arrière et regarder d’où on vient, où on va et savoir si c’est vraiment là qu’on a envie d’aller. »
Instagram, un outil de militantisme puissant
Dans Féminisme et réseaux sociaux, Elvire retrace l’impact des réseaux sociaux dans le combat féministe.
La puissance des témoignages sur différentes plateformes, la façon dont des milliers de femmes se sont rendu compte que le harcèlement de rue n’était pas une chose normale, que les douleurs qu’elles ressentaient pendant un rapport sexuel étaient probablement liées au vaginisme…
À travers un grand nombre d’anecdotes, l’autrice nous montre à quel point la parole s’est libérée grâce aux réseaux sociaux et notamment grâce à des comptes Instagram tels que Clit Révolution.
Cependant, Elvire nous a également raconté que sa relation avec ces outils a beaucoup changé depuis 2012. Maintenant, des comptes tels que le sien se sont multipliés et les rapports des personnes aux réseaux également.
« Je pense que comme chaque support, quand on arrive au début c’est très puissant et partagé. Mais avec le temps, et la multiplication des comptes, on se retrouve avec une plus petite chance d’avoir une grande voix. Mais ça montre aussi qu’il y a une pluralité des discours ; ça, c’est enrichissant. »
La créatrice de @clitrevolution ne voit pas la multiplication des comptes militants comme quelque chose de négatif. La révolution sexuelle sur Instagram a pu grandir notamment grâce à ça. Elle constate cela dit que le contenu n’est plus le même qu’avant.
« Ce que je constate, c’est qu’on va de plus en plus vers des formats qui sont très courts, qui ne demandent pas beaucoup d’attention. Il faut aller droit au but, vite. Et on passe donc d’une époque où il y avait des blogs avec de longs articles, à du contenu avec très peu de signes. On va également vers une éditorialisation de ces messages.
C’est pas mieux ou moins bien, mais ça nous amène dans une dynamique d’hypersimplification, qui je pense conduit aussi à des polarisations. »
Les choses changent vite sur les réseaux et il peut être dur de rester dans le rythme. C’est pour cela qu’Elvire essaye de se renouveler et de créer ailleurs.
Un besoin de distance avec les réseaux sociaux
Bien que l’autrice a construit énormément sur Instagram, elle a récemment ressenti le besoin de s’en éloigner un peu.
Dans une époque où les réseaux demandent énormément d’efforts aux créateurs, il n’est pas facile de tenir le rythme. Comme nous l’explique l’autrice, Instagram conseille aux utilisateurs, pour performer, de poster :
- Trois posts par semaine
- Huit à dix story par semaine
- Quatre à sept Reels par semaine
- Une à trois IGTV par semaine
Ce n’est pas une cadence facile à tenir, surtout lorsqu’Instagram n’est pas votre seule occupation de la journée !
« Moi je l’ai fait, le truc de poster uniquement quand j’en avais envie, et j’ai constaté que mes statistiques baissaient drastiquement. »
En effet, les algorithmes font la loi sur les réseaux et ça peut rendre la création pénible. Car à quoi bon se donner du mal à faire une publication si seulement une partie de vos abonnés la voient ?
En écrivant son livre, Elvire s’est rendu compte que ces problématiques étaient aussi présentes pour les comptes militants. Comme elle le disait, les voix se multiplient, mais Instagram ne rend pas la visibilité très facile.
« J’ai clairement une sorte de dégoût et d’effroi qui s’est produit pendant mes recherches pour mon mémoire. Je pensais parler d’Instagram comme un lieu de révolution sexuelle, mais plus je fouillais, plus je me rendais compte que ce n’était pas ça. […]
Comment faire pour pouvoir parler à un maximum de personnes, tout en ayant une vision sur le long terme de notre production, le tout sans être en burn-out, et en faisant du contenu de qualité ? »
Elvire a vite compris que la solution, c’était de s’affranchir des algorithmes et ne pas dépendre uniquement d’Instagram. Il faut que les créatrices puissent trouver un modèle économique qui permet par exemple de refuser des partenariats si on le souhaite, sans se retrouver sans revenus.
Un retour à une communauté dans la vraie vie
Après s’être rendu compte qu’Instagram devenait plus compliqué qu’elle ne le pensait, l’activiste a ressenti le besoin de ne plus être dans la performance et de revenir à une création plus ciblée.
« Lancer un Patreon [plateforme où les créateurs proposent du contenu payant avec un abonnement mensuel, ndlr] a été une vraie révélation. C’est beaucoup plus gérable, je peux faire des contenus plus longs, plus qualitatifs, moins fréquents. Il y a 200 personnes dessus, et je commence à connaître un peu tout le monde.
C’était aussi un moyen de me faire rebasculer dans une dynamique de communauté hors-ligne. On organise des sorties cinés, on a un bookclub. On crée des liens qui sont pas du tout les mêmes que ceux des gens qui m’envoient des DM Instagram. »
À travers son aventure avec les réseaux sociaux, Elvire semble constater que l’impact a été énorme, et que maintenant il est temps pour elle de découvrir d’autres moyens de créer. Son livre est un bon moyen d’apprendre, ou réapprendre, comment les voix féministes se sont levées sur les réseaux sociaux, et d’imaginer comment les nouvelles pensées vont évoluer dans le futur ç
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