Cet article a été écrit dans le cadre d’un partenariat commercial avec Universal. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait.
Hey Amy.
Aujourd’hui, mercredi 18 novembre, ton premier film sort dans les salles françaises. Je voulais t’écrire cette lettre la semaine dernière, et puis j’ai été prise par d’autres sujets… Et puis le vendredi 13 novembre est arrivé, et m’a ôté l’envie de rire.
Mercredi 18 novembre, Crazy Amy sort en France et nous, on sort de trois jours de deuil national. J’ai pas envie de rire, et je crois pourtant que j’ai jamais eu autant besoin de rire.
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On te connaît peu en France, Amy, et c’est bien dommage, parce que tu fais justement partie de cette nouvelle génération de comédiennes, capable de nous faire rire avec le tragique et les travers de la société. Les vrais travers, les cicatrices du passé, les fractures profondes qui divisent et blessent, qui nourrissent les inégalités et les discriminations qui persistent.
Ce que tu ne revendiques absolument pas, par ailleurs. Tu n’as pas l’humour militant, tu as l’humour fédérateur, sans prétention, c’est simplement que tes intentions sont limpides : tu veux nous faire rire ensemble, et quand tu te moques, c’est toujours des puissant•e•s.
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La fille qui riait avec les clichés sur les filles
L’année dernière, j’ai écrit tout un article pour expliquer l’aversion que j’ai pour l’expression « NOULÉFILLES », ou cette tendance déconcertante à s’enfermer dans les stéréotypes féminins. Que ce soit « pour rire » ou « pour mieux se comprendre » (???), je ne supporte plus que des humoristes, des vidéastes, des actrices, des comédiennes, que des hommes ou des femmes m’incluent dans un groupe homogène de « NOULÉFILLES », niant mon individualité, nous rabaissant toutes à un ramassis de clichés dévalorisants.
Tu es comédienne ; avec tes cheveux blonds, tes yeux bleus et ton sourire Colgate, tu as tout d’une Barbie. La blonde, la femme au foyer, la pin up, la ménagère de moins de 50 ans… vraiment, tous les clichés te tendaient les bras. Au lieu de succomber à ces pièges faciles, tu parodies la pop-culture, tu tournes en ridicule le sexisme ordinaire, ces petits travers qu’on ne voit pas ou plus, tant on y est habitué, et que tu rends non seulement évidents, mais en plus risibles.
Je suis morte de rire devant ta parodie des One Direction, qui moque toute l’hypocrisie de ces conseils de « beauté naturelle », dans une société où la pression sociale sur l’apparence des femmes est si élevée qu’elle en pousse certaines à mettre leur santé en danger.
Même procédé, autre registre avec Milk Milk Lemonade, où tu te moques des codes du rap/R’n’B, et plus particulièrement de leur forte propension à utiliser les femmes comme des accessoires sexy.
C’est à la fois subtil et évident. Comment te dire toute l’admiration que j’ai pour ce procédé ?
Mais c’est cet été que tu as directement bondi à la première place du top de mes comédiennes préférées.
Ton sketch sur la culture du viol m’a bouleversée
Tu m’as fait rire avec un sketch sur le viol, un sujet tabou s’il en est en comédie, tant on peine encore à faire reconnaître la gravité de ce crime, tant la lutte contre ses causes et ses racines est encore ardue dans nos sociétés.
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J’en veux pour preuve la propension des médias américains à plaindre les violeurs — car vous comprenez, ce jeune athlète, star du lycée, promis à une brillante carrière sportive, voilà que son avenir professionnel est brisé par une très sévère condamnation à UN an de prison, pour avoir violé une camarade de classe !
Je parle bien sûr de l’affaire Steubenville, qui a défrayé la chronique en 2013. L’émotion envers ces deux jeunes condamnés pour viol était telle qu’on en aurait presque oublié qu’il y avait une victime — une vraie — dans cette histoire. La jeune fille, qui avait été violée par deux membres de l’équipe de football.
On avait déjà tout entendu sur le sujet, et les tentatives de « défense » allaient de l’indécent à l’inacceptable. Et toi, dans un sketch de ta série Inside Amy Schumer, tu as poussé l’inacceptable jusqu’au ridicule. Non seulement c’était pertinent, mais en plus, c’était drôle.
Dans ce sketch, un nouveau coach de l’équipe de football instaure une nouvelle règle aux athlètes du lycée : il leur interdit formellement de violer. Et alors, les jeunes sont perdus, ils tentent de contourner l’interdiction en essayant de trouver une faille.
— Et si c’est Halloween, et qu’elle est déguisée en chat sexy ? — Et si elle pense que c’est un viol, mais moi non ? — …une coccinelle sexy ?
Ils égrènent ainsi la liste de tous les costumes « sexy » possibles et imaginables (il y en a beaucoup).
— Bon. Disons que le procureur, c’est ma mère, et qu’elle n’engagera pas de poursuites. Je peux ? — Et si elle est bourrée, qu’elle a déjà une « réputation », et que personne ne la croira ? Je peux ? — Ok : la fille m’a dit oui, un autre jour, et à propos d’un autre sujet. C’est bon ? — Attends : si la fille a dit oui, mais qu’en fait elle change d’avis, sans aucune raison. Comme une personne folle ! Là je peux quand même ?
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Évidemment, la réponse du coach à toutes ces questions est limpide : non. N.O.N. NON NON NON NON NON NON. Au cas où ce serait pas clair, ce chat va répéter.
https://www.youtube.com/watch?v=kxRX6LXDpWs
Bah oui, c’est une vidéo vieille comme l’Internet… Mais en vrai, toutes les questions posées par les joueurs de football américain dans ce sketch, devraient aussi être complètement vues vues et revues, hors sujet, hop, merci, circulez.
Pourquoi c’est révolutionnaire ?
Il paraît qu’on peut pas faire des blagues sur le viol parce que c’est toujours blessant pour les victimes. Il paraît qu’on peut pas non plus faire des sketchs pédagogiques ET drôles sur le viol, parce que « le public n’est pas prêt », il ne comprendrait pas — et puis l’humour antisexiste c’est trop niche, le second degré c’est élitiste, il faut en connaître les codes, vous voyez.
Mais toi Amy, avec ton sourire bright et ta dégaine de poupée, tu leur as montré à tous comment on crève l’écran sans tomber dans les clichés. Ton sketch sur le viol est révolutionnaire parce que tu tournes en ridicule ces questions inacceptables au premier degré.
Dans un tout autre registre, j’ai adoré ton taquet aux diktats de la jeunesse et de l’apparence entretenus par l’industrie de l’audiovisuel, dans Last Fuckable Day. C’est savoureux.
L’humour à responsabilité
Mon admiration pour toi, Amy, a encore décuplé le jour où je t’ai vue réagir à une vague de critiques. Pour celles et ceux qui te découvre, je vais résumer.
Quand tu faisais encore du stand up dans des petites salles, tu jouais un personnage de jeune femme de type « américain moyen », c’est-à-dire un peu raciste (mais pas trop !), un peu homophobe (mais pas vraiment !) et surtout très concon. C’est un procédé qui permet de renvoyer les gens à leurs propre bêtise, parfois.
Du coup, ton avatar « un peu raciste » sortait cette réplique : « Avant, je sortais avec des Mexicains, mais j’ai arrêté. Je préfère les relations sexuelles consenties ». C’est vraiment pas ta meilleure vanne, elle laisse sous-entendre que les Mexicains sont des violeurs, même si je sais (pour suivre ton oeuvre assidûment), que t’es plutôt du côté « je me moque des gens-racistes-mais-pas-trop — qui en fait, sont racistes, oui oui ! »
La blague en question, en VO
Mais bon, je crois que tu admettras volontiers que c’est pas forcément évident. Et justement, c’est ce que tu as fait quand des internautes t’ont demandé des comptes à ce sujet.
« Quelle est ta responsabilité/ton système de valeur en tant qu’artiste ? Je voudrais vraiment comprendre ton point de vue »
Bon, personnellement, j’avais compris la vanne, et même si je la trouvais pas très fine, je considère qu’en tant qu’artiste, tu fais bien ce que tu veux. Mais toi, en tant qu’artiste justement, tu considères que tu as un pouvoir, un pouvoir qui implique de grandes responsabilités (oui je cite Spider-Man, c’est plus populaire que Hegel.)
Voici comment tu as répondu à une internaute qui te demandait des explications sur cette réplique :
https://twitter.com/amyschumer/status/618134290136702976
« Merci de m’avoir posé la question. J’ai écrit cette vanne il y a deux ans. Avant, je faisais beaucoup de blagues stupides comme ça. Je jouais le rôle d’une femme blanche idiote sur scène. Parfois, je le fais encore.
Lorsque j’ai réalisé que j’étais sur scène devant de plus en plus de gens, j’ai arrêté de faire des blagues de ce genre. J’évolue en tant qu’artiste. J’assume ma responsabilité, et j’espère n’avoir blessé personne. Je m’en excuse si c’est le cas.
Merci encore de m’avoir posé la question. »
« J’évolue en tant qu’artiste », et « j’assume ma responsabilité » : ce sont des phrases que je désespérais d’entendre un jour prononcées par un•e comédien•ne grand public… Moi, en tant que spectactrice, je te reconnais la liberté de faire les blagues que tu veux. Je me réserve le droit de les trouver drôles ou non, mais je ne vais pas te dicter les sujets que tu es libre ou non d’exploiter.
Mais je trouve ça dommage, quand on a public, qu’on a le talent et le pouvoir de le divertir, de continuer à le faire aux dépends d’une partie de la population. Qu’on le fasse en se moquant de l’autre, en le stigmatisant.
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Ce serait con, de se cantonner à faire du « NOULÉFILLES » quand on a le talent de faire Football Town Nights ! C’est con de faire des blagues racistes sur le viol quand on a ton talent, et ton pouvoir. T’étais pas obligée de t’excuser, et tu n’es pas obligée d’arrêter de faire « ces blagues stupides ». Mais t’as choisi d’arrêter de les faire, en tant qu’artiste, pour évoluer, pour prendre en compte ton nouveau pouvoir, face à ton audience croissante.
Et pour ça, Amy, non seulement je t’adore et je te respecte, mais en plus, je t’admire.
Je vais retourner voir Crazy Amy en salles
Quand j’ai su que Judd Apatow allait réaliser ton premier film, j’ai eu des palpitations. J’ai eu peur qu’il ne sorte jamais en France, et je suis sincèrement désolée qu’il ne soit diffusé que maintenant, en novembre, au lendemain des pires attentats terroristes que la France ait connus sur son territoire…
J’en suis désolée parce qu’on ne pourrait pas imaginer pire contexte pour une comédie romantique de nouvelle génération, c’est-à-dire drôle mais pas complètement déjantée, et un peu triste, aussi.
J’ai vu ton film en projection presse il y a un mois, et j’en ai écrit une critique en deux heures, dans la foulée, tellement j’ai été emballée. J’avais beaucoup d’attentes, et tu les as dépassées ! Il paraît que tu co-écrit un film avec Jennifer Lawrence, alors je voudrais conclure cette lettre avec un souhait : j’espère que tu viendras à Paris en faire la promotion, et que tu passeras par les bureaux de madmoiZelle.com.
On a un procédé d’interview très chouette qui s’appelle « l’interview-canapé », où on se pose sur un canapé, et on discute pendant 45 minutes. J’adorerais passer ce temps face à toi, une tasse de café (ou un verre de blanc !) dans les mains, à apprendre à te connaître davantage.
Oh, tu peux inviter Jennifer aussi, bien sûr. Plus on est de fous, plus on rit !
Je t’embrasse, Amy. Merci de m’avoir redonné le sourire, un jour, une semaine et un mois où vraiment, le coeur n’y était pas.
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Les Commentaires
Et je voulais vite fait parler d'un article que télérama avait rédigé sur Amy Schumer ( magazine que j'aime plutôt bien pourtant ) qui m'avait absolument déprimée, alors qu'il se voulait, au premier abord, plutôt élogieux à son égard. Mais voilà comment l'article commence:
" Provoc, sexe et autodérision... La très potelée Amy Schumer dézingue sans complexe et à tout-va le sexisme et le puritanisme américain sur MTV. "
.... La TRÈS POTELÉE AMY SCHUMER. LA TRÈS POTELÉE. Ou comment débuter un article avec un jugement de valeur absolument déplacé qui va juste ( à mon sens ) à l'encontre de ce qu' Amy Schumer défend dans certains de ces sketchs. Je mets ici l'article en question, voyez par vous même J'ai pas réussis à savoir si c'était de l'humour en rapport avec son travail ou bien des mots sciemment choisis dans le but de juger le physique de la demoiselle en question, mystère...
http://television.telerama.fr/telev...briques-de-l-egerie-de-judd-apatow,135216.php