L’amour et les forêts, le dernier roman de l’écrivain Éric Reinhardt, agite depuis plusieurs semaines la rentrée littéraire. Parce que l’auteur a quitté Stock, son précédent éditeur où il officiait depuis plusieurs années, pour rejoindre le mastodonte Gallimard. Parce que Les Inrocks ont fait le choix de le mettre en couverture dans leur numéro de rentrée. Parce que le livre est d’ores et déjà présent sur les premières listes des prix les plus prestigieux.
La force des choses a fait de L’amour et les forêts l’un des livres à suivre cet automne. Mais est-il à la hauteur de la réputation qu’on lui prête ?
Entre histoires vraies et vies romancées
Au départ de L’amour et les forêts, il y a une rencontre, dans un train, entre le véritable Éric Reinhardt et l’une de ses lectrices qui se confiera à lui. Ce témoignage rejoindra plusieurs autres, déjà reçus sous forme de lettres, venues d’autres femmes, depuis la publication de son précédent roman.
Ce personnage féminin, qui s’ouvre à l’écrivain, est fait d’un amalgame de toutes ces femmes ayant croisé le chemin de Reinhardt, le résultat de leurs confessions, de leurs histoires. Cette femme de province, Bénédicte Ombredanne, à l’instar de celles dont elle est inspirée, sent qu’elle peut se confier à Reinhardt. Au fil de deux rendez-vous et plusieurs échanges d’emails, elle lui raconte son histoire.
Celle d’une professeur de français mariée à un homme méprisable parce que méprisant. Quelqu’un qui la tient en tenaille, la rabaisse sans cesse, lui dérobe son énergie, sa joie de vivre, son envie de plaire. Le tout sous les yeux de leurs enfants, qui prennent bien souvent le parti de leur père…
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Jusqu’à ce qu’un jour vienne le déclic : Bénedicte Ombredanne décide de s’inscrire sur Meetic sous le coup de la colère. Là-bas elle y rencontrera, après une séquence hilarante car pétrie de vérité, un homme avec qui elle vivra une passion d’une journée, plus forte que des années de mariage. Mais l’escapade aura un coût, mental, physique, sur le reste de son existence.
Un roman difficile, sombre et réaliste
La structure de
L’amour et les forêts est étrange. La première partie, un peu bancale, est racontée par Reinhardt, qui explique les circonstances de sa rencontre semi-imaginaire avec Bénédicte Ombredanne, et dans quelle mesure il a ou non pour habitude de rencontrer ses lectrices (on notera plusieurs instances lettrées du classique « c’est pas pour pécho t’inquiète »).
Puis, lorsque le récit de cette femme (qui sera toujours prénommée et nommée, jamais l’un sans l’autre) démarre enfin, l’écrivain s’efface complètement et le livre prend une autre tournure, moins joueuse, plus sombre. Plusieurs pages sont dédiées aux reproches et au harcèlement continu du mari. Leur lecture plonge dans un malaise profond, mais peut aller jusqu’à vraiment choquer en fonction du vécu ou de la sensibilité de la personne qui se confronte au livre.
Reinhardt parvient, à force de mesquineries, de médiocrités et d’insultes à toucher quelque chose de juste, et sa reconstitution blesse en profondeur. Quand enfin la figure de l’écrivain réapparaît, c’est dans le cadre d’une troisième partie, dévastatrice, qui vous sonne, fait vibrer les tempes bien après la fin de l’oeuvre.
La force de L’amour et les forêts est décuplée dans la mesure où Reinhardt lui-même avoue s’être inspiré de plusieurs témoignages, de plusieurs lectrices qui existent vraiment. L’intrigue tissée ici est réelle, surtout lorsque l’on serait tenté-e de ne plus vouloir y croire. Quelques femmes sont remerciées à la toute fin, dont une par son initiale seulement. Impossible pour le lecteur de tout démêler, mais on se doute que chaque miette d’intrigue, chaque rebondissement de l’angoisse, appartient à quelqu’un, a été vécue… Vertiges.
L’amour et les forêts mérite-t-il son succès ?
Question style, Reinhardt peut parfois agacer, surtout dans la première partie dont il est le héros et où sa volonté de se mettre en scène ralentit le développement de l’intrigue. Le vocabulaire et les tournures sont précieux tout au long du livre. Peu importe qui parle — l’écrivain, une esthéticienne de Metz ou Benedicte Ombredanne, chaque personnage dispose d’un niveau de langage bien au-dessus de la moyenne, du réel.
Ces coquetteries sont oubliées à mesure que le récit s’installe, et que les mots touchent juste. Car peu importe le cadre, Reinhardt sait décrire les sentiments, les passions, et il est dès lors facile se laisser prendre au livre, au-delà des tics d’écriture et autres menus agacements semés ci et là.
Puissant et important, L’amour et les forêts mérite la place qu’on lui accorde, mérite de s’échapper du petit cercle des livres qui n’intéressent que les critiques. En prenant le temps de modeler des témoignages du réel en un roman dévastateur, Reinhardt nous met face à l’horreur qui peut surgir du quotidien, à la façon dont il est toujours possible de trouver un peu de bonheur au milieu des ténèbres.
On aimerait le mettre entre toutes les mains, tout en gardant à l’esprit qu’il peut être trop dur pour certaines et certains. C’est un vrai beau roman de rentrée littéraire.
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