Le constat est sans appel : 2022 a été une année particulièrement liberticide et dévastatrice pour les droits humains. Si l’invasion de l’Ukraine a concentré une majeure partie de l’attention médiatique, Amnesty International appelle, dans un nouveau rapport, à ne pas occulter les terribles répressions subies par d’autres populations à travers le monde. L’année dernière, 20 États ont connu des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, dans une indifférence quasi totale. Un chiffre qui n’a rien d’anodin, surtout quand on sait que 2022 marque aussi le soixante-quinzième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourquoi n’a-t-on pas, ou peu, entendu parler de ces situations terribles ? Amnesty dénonce des inégalités de traitement qui cantonnent certaines crises et pays à l’oubli :
Trop souvent paralysées, gangrenées par les intérêts ou les alliances de ses membres, les institutions internationales pratiquent un “deux poids deux mesures” inacceptable. Ces dysfonctionnements participent à alimenter l’impunité et l’instabilité. Et ils ne font qu’enhardir les États qui bafouent les droits humains.
Rapport annuel Amnesty International 2022, publié le 28 mars 2023
Pour lutter contre la banalisation de ces barbaries, et mieux sensibiliser le public, Amnesty International livre donc un rapport détaillé de 500 pages. Retour sur plusieurs points clés.
« Le changement climatique est l’une des plus grandes menaces pour nos droits humains »
Amnesty ouvre son rapport par une question : « Le système multilatéral imaginé au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour que le monde vive en paix est-il en train de sombrer ? C’est notre alerte ». Selon l’ONG, l’une des preuves de l’échec du système est le dérèglement climatique. Amnesty International dénonce l’incapacité des dirigeants à s’accorder pour l’endiguer efficacement, alors que ses effets ont des répercussions directes sur les droits humains :
Les phénomènes météorologiques extrêmes accentués par le réchauffement rapide de la planète ont provoqué la famine et la maladie dans plusieurs pays d’Asie du Sud et d’Afrique subsaharienne, tels que le Nigeria et le Pakistan, où les inondations ont eu des effets catastrophiques sur la vie et les moyens de subsistance de la population et ont provoqué des épidémies de maladies à transmission hydrique, qui ont fait des centaines de morts.
Rapport annuel Amnesty International 2022, publié le 28 mars 2023
Malgré la multiplication des inondations, épisodes de sécheresse, vagues de chaleur ou incendies, la COP 27 n’a pas su s’attaquer à la production et l’utilisation des carburants fossiles, principale source du réchauffement climatique. « Le changement climatique est l’une des plus grandes menaces pour nos droits humains » renchérit Nils Muižnieks, directeur du programme Europe d’Amnesty International, selon qui les combustibles fossiles « menacent encore plus notre santé et notre droit à la vie ».
La répression brutale de la dissidence
Autre point clé du rapport, certains États profitent de l’instabilité géopolitique mondiale pour « s’affranchir des règles du droit international », alerte Amnesty International. Les chiffres sont vertigineux : 77 États ont détenu arbitrairement des défenseurs des droits humains, 94 États ont été responsables de mauvais traitements et de torture, 34 États ont eu recours à de nouvelles disparitions forcées… Au total, la liberté d’expression a régressé pour 80 % de la population mondiale par rapport à 2021.
La liberté de manifester a également été mise à mal, comme l’actualité française de ces derniers jours l’a démontré. Au total, 29 États ont adopté de nouvelles lois restreignant le droit de manifester, 85 États ont eu recours illégalement à la force contre des manifestantes et manifestants pacifiques, 26 États ont restreint l’usage d’Internet pour empêcher des manifestations et 14 États utilisent la surveillance biométrique pour cibler les manifestantes et manifestants. Dans 33 États, comme l’Iran, des homicides illégaux de manifestantes et manifestants ont été commis par les forces de sécurité.
Amnesty International rapporte également que la technologie est de plus en plus utilisée comme un outil de répression. « Une menace technologique qui plane aussi en France, alors que le projet de loi JO 2024 pourrait faire de notre pays le premier État de l’Union européenne à légaliser la vidéosurveillance algorithmique », constate le rapport.
Les femmes en première ligne
Le backlash a touché les femmes de plein fouet, notamment en matière de droits sexuels et reproductifs. Le rapport cite bien sûr les États-Unis, où la révocation en juillet de l’arrêt Roe vs Wade, qui garantissait l’accès à l’avortement depuis plus de 50 ans, a permis à différents États de passer des lois extrêmement restrictives, privant des milliers de citoyennes américaines de ce droit fondamental.
En Pologne, où l’avortement est pratiquement interdit, des militantes ayant aidé des femmes à se procurer des pilules abortives ont comparu devant la justice, écopant de peines lunaires, tandis que d’autres citoyennes ont perdu la vie, faute d’avoir pu recourir à l’IVG. Amnesty International alerte également sur le boom des violences faites aux femmes et des féminicides dans plusieurs pays comme le Mexique ou l’Argentine.
Mais, c’est en Afghanistan, que « les droits des femmes ont connu les restrictions les plus draconiennes. Les décrets liberticides pris par les talibans refusent toute autonomie aux femmes, et les privent d’éducation, du droit au travail ou même d’accès aux espaces publics », conclut le rapport.
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Dans ce contexte de répression globale, Amnesty International appelle donc à réfléchir collectivement au monde que l’on souhaite créer et invite les dirigeants à se servir des droits humains comme d’une boussole et non comme un outil de division.
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