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Pourquoi les femmes victimes de violences conjugales ne portent-elles pas plainte ?

Amber Heard a accusé Johnny Depp de violences conjugales, et a obtenu une mesure d’éloignement contre lui, photo à l’appui. Tandis que le hashtag #ImWithJohnny monte sur Twitter, on se demande pourquoi tant de femmes hésitent ou renoncent à porter plainte…

Ce week-end, Internet s’est retrouvé ébranlé : Amber Heard a accusé son mari, Johnny Depp, de l’avoir frappée. Elle a demandé une mesure d’éloignement à son encontre le 21 mai dernier, lorsque la police a été appelée chez le couple. Elle n’a pas porté plainte à ce jour, mais a d’ores et déjà annoncé vouloir divorcer. Vendredi 27 mai, la mesure d’éloignement qu’elle avait demandée lui a été accordée, et TMZ a révélé l’histoire au grand public, incluant notamment une photo d’Amber Heard, un bleu à l’œil droit.

Amber Heard a demandé une mesure d’éloignement, mais elle n’a pas porté plainte. Et ce n’est pas la seule puisque chaque année, on estime que seulement 14% des femmes victimes de violences conjugales en France portent plainte.

Bien sûr, ces chiffres n’incluent pas toutes les femmes qui ne se manifestent pas publiquement et cachent les violences dont elles sont victimes…

Comment expliquer que des personnes préfèrent ne pas porter plainte, et du même coup continuent dans certains cas à subir des violences dont elles sont victimes, plutôt que de chercher à y mettre un terme ?

La remise en cause de la parole des victimes

L’affaire Depp-Heard est un exemple de plus de ce que doivent endurer les femmes victimes de violences conjugales qui osent porter plainte et dont la véracité des propos est trop souvent remise en cause. Pour le tout-Internet, les procès pourraient presque se jouer à la tête de l’accusé•e…

Alors autant dire que, quand la tête mise en jeu est celle de Johnny Depp, acteur adulé, la parole d’Amber Heard ne pèse pas lourd dans la balance.

Mais si ne pas vouloir condamner Johnny Depp sur la base de sa sexyness ou de son charisme de la présomption d’innocence est une chose, s’en prendre à la victime en est une autre.

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Déferlante sur les réseaux sociaux

Entre Twitter, Facebook et les articles de presse (qui n’y vont pas de main morte sur le sujet — voir ci-dessous), on dirait que les internautes se sentent obligé•es de trancher quant au différend Depp/Heard.

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Sur Le Figaro

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Sur MetroNews

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Sur Le Parisien

Vous voulez savoir ce qui n’a pas de sens ? C’est qu’Amber Heard a demandé le divorce AVANT de demander une mesure d’éloignement.

Amber Heard est le diable incarné, et Johnny Depp est innocent. Je parle d’expérience : quand on a vécu ce que j’ai vécu, on a pas du tout son attitude.

Rappelons que si la liberté d’expression permet à chacun•e d’avoir et même d’exprimer son avis sur un sujet, il n’est pas forcément pertinent, ni digne d’intérêt, ni digne tout court. Et cette critique vaut également pour les journalistes, n’est-ce pas…

Car la presse n’est pas en reste : de nombreux titres se permettent d’instruire le procès Depp vs Heard sur la base de… ? De pas grand-chose, en fait, mais

visiblement, c’est assez pour condamner Amber Heard, ce que dénonce Slate dans un excellent article.

« C’est là que les médias interviennent, rivalisant parfois sur la titraille pour présenter la jeune femme sous son pire jour. […]

La bisexualité d’Amber Heard est aussi présentée de manière négative : de façon plus ou moins explicite, de nombreux médias ont sous-entendu qu’elle avait participé à l’échec de son mariage. […]

Ce genre de couverture médiatique qui transforme la présomption d’innocence en une présomption de culpabilité de l’accusatrice peut rendre plus difficile la décision de témoigner en cas de violences domestiques.

Le hashtag Twitter #ImWithJohnny n’a fait que renforcer ce musellement de la parole. »

La suite à lire sur Slate : Comment Amber Heard est passée du statut de victime à celui de « démon »

Mais le traitement d’Amber Heard n’est malheureusement pas un cas isolé. Rihanna et Chris Brown, Sean Penn et Madonna… à chaque affaire, les internautes choisissent arbitrairement un camp, sans connaître tous les éléments, et avec un coup de main tapageur d’une partie des médias.

Les (in)fâmes, ces manipulatrices…

Est-ce qu’on pourrait en finir avec le mythe de la marâtre manipulatrice, de la femme fatale intrigante qui ne peut qu’en vouloir à l’argent de son compagnon, ou chercher à ruiner sa réputation pour « se venger » (de quoi ?) ?

On n’est pas un peu grand•es pour croire encore aux mégères de contes de fée ? Pourquoi est-ce aussi fréquent de remettre en cause la parole des femmes, et surtout sur la base de stéréotypes sexistes ?

Si même un visage marqué ne parvient pas à installer, au minimum, une présomption de sincérité du côté de la plaignante, comment voulez-vous que toutes celles qui n’ont pas ou plus les traces des coups osent porter plainte ?

Est-ce qu’il faut vraiment qu’il y ait des mort•es, comme dans l’affaire Cantat-Trintignant, ou que les faits de violences aient été de notoriété publique pendant de trop longues années, pour que la société consente à accorder ne serait-ce que le bénéfice du doute à la victime plutôt qu’à son agresseur présumé ?

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En 2014, 134 femmes sont décédées des suites de violences conjugales.

Un rappel salutaire…

Avant de se prononcer sur le verdict Depp/Heard, voici une vérité que l’on devrait tou•tes garder à l’esprit : en réalité, on ne sait pas ce qui s’est passé. Enfin, moi, je n’y étais pas. Et vous ?

Perso, si une amie venait me voir avec un bleu au visage en affirmant que son mari l’avait frappée, je ne pense pas que je remettrais sa parole en question aussi promptement. Encore moins en l’accusant d’être une vile manipulatrice.

À lire aussi : Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?

Des mesures de justice assez faibles

Revenons à nos victimes de violences, pour nous intéresser cette fois à celles qui décident malgré tout de porter plainte.

Les forces de l’ordre ne sont pas immunisées face aux travers sociaux que l’on vient d’exposer : il leur arrive aussi de remettre en cause la crédibilité d’une plaignante… ainsi qu’en témoignait par exemple cette lectrice, venue déposer plainte pour viol.

Heureusement, tous ne sont pas de cet acabit, la preuve avec ce policier qui avait donné des conseils aux victimes venant porter plainte.

Quant aux dossiers qui aboutissent, ils ne représentent que 8% des cas de violences conjugales. Le type de condamnation et le temps de la démarche peuvent être dissuasifs pour certaines femmes, car il arrive que les procédures s’éternisent, s’étendent sur plusieurs années pendant lesquelles elles n’ont pas toujours un moyen de protection légal contre leur agresseur.

Les ordonnances de protection existent, mais elles n’aboutissent pas systématiquement, la décision appartient à un juge des affaires familiales (JAF), seul habilité à accepter ou non la demande :

« En 2014, 2 481 décisions concernant une demande d’ordonnance de protection ont été prises par un JAF.

Dans 1 991 affaires, le JAF a statué sur le fond de la demande et 1 303 (soit 65,4%) ont été acceptées, totalement ou partiellement. »

Alors dans ces conditions, vraiment, porter plainte est loin d’être une démarche évidente.

La peur des représailles et l’humiliation répétée

La peur et l’humiliation sont également des facteurs qui peuvent réfréner les intentions de porter plainte pour violences conjugales.

Sachant que je porte encore la honte d’avoir été pointée du doigt il y a plus de dix ans pour avoir seulement osé sortir les jambes non épilées à l’air, sujet trivial s’il en est, imaginez un peu lorsque l’on vous force à répéter inlassablement les mêmes faits, graves cette fois-ci, en les remettant en question :

« Pourquoi vous ne vous êtes pas défendue, échappée ? Étrange que vous n’ayez qu’un bleu à la tête avec ce que vous nous racontez… »

Certes, il s’agit du travail d’investigation de la justice, mais il n’élimine pas l’humiliation que peut ressentir la victime devant ressasser son histoire.

Et si ce n’est pas la honte, ça peut aussi être la peur des représailles, du danger que représente l’agresseur, tant qu’aucune mesure de sauvegarde ne le tient à l’écart. Car s’il est capable d’être dépassé par sa colère dans l’intimité du foyer, dans quel état sera-t-il quand il sera informé qu’une plainte a été déposée contre lui ?

Une femme qui va porter plainte, c’est donc potentiellement une femme qui se met en danger, surtout dans le cas d’un domicile commun.

Alors, pourquoi les victimes de violences conjugales sont-elles si peu nombreuses à porter plainte ? Ce qui est étonnant, c’est qu’elles soient de plus en plus nombreuses à oser. Et plutôt que de remettre en doute la parole de celles qui témoignent publiquement, surtout sans avoir aucune espèce de preuve ou même idée de ce qui a pu se dérouler dans l’intimité de leur couple, on pourrait tous et toutes, arrêter de s’en mêler.

Surtout si c’est pour prendre la défense systématique de l’agresseur présumé, a fortiori en calomniant abondamment la victime.

À lire aussi : J’ai été victime de violences conjugales — Témoignage


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

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Avatar de Maudibouu
3 juin 2016 à 16h06
Maudibouu
MERCI pour cet article !

J'en avais marre de voir tous les médias, les gens prendre le parti de Johnny Depp, parce que de 1) nous ne sommes pas dans leur couple, alors nous n'avons pas à crier au scandale contre Amber Heard comme si son accusation était une aberration, on ne sait absolument pas ce qui se passe chez eux et de 2) si ces accusations s'avèrent vraies, j'imagine que l'actrice doit encore plus mal vivre sa situation actuelle, étant donné qu'en lisant la plupart des médias, on a l'impression que c'est ELLE la coupable : enfin bon, le monde à l'envers
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