Cette gueule de bois semble être devenue mon état permanent du Festival.
Et quand je vois mon programme de la journée, je me dis qu’il va falloir que je m’accroche. Trois projections m’attendent : l’une traite du suicide assisté, l’autre du harcèlement scolaire, et la troisième d’une jeune femme juive qui tente de devenir comédienne en pleine montée du nazisme.
Ô joie !
Tout s’est bien passé, de François Ozon
Alors que je m’élance sur cette Croisette que je connais désormais mieux que la ligne de métro 5, je tente de profiter du soleil de plomb du matin.
Le ventre rempli d’œufs brouillés et de jus détox pour contrer celle-dont-j’essaie-d’oublier-le-nom, j’escalade mon premier tapis rouge. Parce que oui, j’en ai monté des marches à Cannes, mais il s’agit ici de ma première projection dans le grand auditorium Louise Lumière, qui contient quelque 2000 places. Rien que ça.
La salle blindée d’un monde curieux de découvrir le nouveau film du réalisateur chouchou des Français se tait, et la séance commence.
Intemporelle, Sophie Marceau transperce l’écran dès sa première apparition en tant qu’Emmanuèle Bernheim, fille d’un père très malade interprété par André Dussolier, et autrice du roman dont Tout s’est bien passé est adapté.
La première partie du film s’annonce difficile. On reste longtemps à l’hôpital, dans un désarroi total face à ce père qui a perdu l’usage de tout son côté droit suite à un AVC. Jusqu’à ce qu’il demande à sa fille de « l’aider à en finir ».
Le film s’illumine alors et accompagne d’un humour léger et cynique la fin de vie désirée du père, aidé par Emmanuelle et sa sœur.
Les quelques flashbacks, malheureusement inutiles et inaboutis, n’entachent en rien les très justes performances des acteurs, avec une mention spéciale pour Hanna Schygulla, figure allégorique du dernier soupir mi-inquiétante, mi-rassurante.
Le film raconte une famille dysfonctionnelle (laquelle ne l’est pas ?) dans l’épreuve de la mort avec une douceur infinie. Jamais tire-larme, Ozon parvient tout de même ici à humecter mes pupilles, et me fait quitter la salle remplie d’une douce mélancolie
avec un film qui frappe encore une fois dans le mille.
Un monde, de Laura Wandel
Après un rapide plouf dans une Méditerranée déchaînée (j’ai pris une vague sur le genou !), je cours en direction de la seconde projection de la journée. Pourquoi ? Parce que je me suis trompée de salle, et que je dois me retaper toute la Croisette. Pendant mon sprint, une envie irrépressible d’hurler « Poussez-vous, cons de mimes ! » me prend. Je pouffe et m’étouffe avec ma salive. Est-ce que je vais y arriver à cette projo ?
La dernière arrivée dans la salle Debussy, c’est Alix Martineau, qui bouscule les jambes allongées confortablement sous les fauteuils et frappe du coude les crânes chauves sur son chemin pour se frayer une place au quatrième rang. Ouf ! Mes voisins me haïssent mais je verrai le début du film.
Un monde, présenté en sélection Un Certain Regard, est le premier film de la réalisatrice et scénariste belge Laura Wandel.
Elle a pénétré un monde, justement, un monde qu’on connaît tous parfaitement et qu’on ne représente pourtant que rarement : celui de la cour de récréation. Et pour ça, elle se met à hauteur de ses jeunes acteurs, Maya Vanderbeque et Günter Duret, pour raconter le harcèlement scolaire d’Abel, à travers les yeux de sa petite sœur Nora.
La caméra laisse de côté le monde des adultes, sauf quand, parfois, Karim Leklou (le père) se penche à leur hauteur.
Un an se déroule en plans serrés de l’impressionnante Nora, qui à huit ans à tout péter, crève déjà l’écran dans un rôle de composition exceptionnel. Aucun manichéisme n’est autorisé, on recherche simplement les origines de la violence dans un système qui la rend souvent notre seul moyen de défense.
Chapeau bas à cette prouesse artistique et technique, qui a réussi à me ramener dans les brouhahas de ma propre cour d’école, en faisant ainsi l’un de mes coups de cœur de ce festival.
Une jeune fille qui va bien, de Sandrine Kiberlain
Pas le temps de souffler, je trottine vers la salle Miramar avec une odeur flottante de transpiration. Cette Croisette est devenue mon couloir de course, et c’est possible que je remporte l’épreuve des 800 mètres haies en rentrant à Paris.
On m’a attribué une place à deux rangs de l’équipe du film. Ils débarquent tous pimpants, même sous leur masque. Sandrine Kiberlain présente son tout premier long-métrage à la Semaine de la critique, et l’émotion est palpable. Ses acteurs, Rebecca Marder, Anthony Bajon et India Hair — entre autres — ont répondu présents, et lui semblent très reconnaissants.
Le film s’ouvre sur Irène, une jeune adolescente au style vestimentaire vintage et au rire spontané. On suit les tribulations de sa préparation à l’entrée d’un conservatoire de théâtre, puisque son rêve, c’est de devenir comédienne.
Au fil de ses répétitions et de ses premiers émois amoureux à première vue naïfs, la caméra se desserre et on découvre un hors-champ surprenant : la montée du nazisme dans les années 30 en France.
Si le film garde ce même ton ingénu porté par Rebecca Marder, le spectateur change de regard. Un conte à la fois joli et glaçant qui a valu les larmes de Benjamin Lavernhe à la fin d’une projection encensée par la dizaine de minutes de standing ovation.
Je m’imagine un peu trop crevée par cette journée marathon pour ressentir autant d’émotions, bien que j’aie passé un agréable moment.
J’achète des Babybel à 5€ (bienvenu à Cannes), et je file me pieuter, exténuée et ravie par ma journée. J’espère que demain me réserve autant de bonnes surprises !
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