Bien le bonjour, vous. Cette semaine, attaquons-nous à un sujet qui passionne à peu près tous les membres de l’équipe madmoiZelle.com : l’alimentation, le graillon, la bouffe.
Les temps de l’alimentation – enquête Insee
En octobre dernier, l’Insee a publié une étude portant sur « Le temps de l’alimentation en France » : en 2010, comment les Français-es articulent-ils/elles leurs prises alimentaires ? Quand mangeons-nous ?
Selon leurs observations, nous passerions quotidiennement 2h22 (en moyenne) à nous nourrir. Autant dire que le sujet de l’alimentation n’est pas anodin – à tel point que les repas constituent l’un des moments les plus agréables pour les Français-es (c’est d’ailleurs très certainement pour ça que lorsque vous être attablé-e-s en bonne compagnie, en train de manger, la discussion pourra parfaitement tourner autour… de la nourriture – spécial big up à mon propre crew). Les repas pris en compagnie seraient d’ailleurs les plus appréciés (c’est meilleur quand on partage, non ?).
D’un point de vue pratique, en majorité, les Français-es obéiraient à un « rituel des trois repas », petit déjeuner-déjeuner-dîner, même si les jeunes tendraient à s’en désolidariser. Nous serions également drôlement synchros sur les horaires : à 13h, la moitié d’entre nous serait en train de casser la croûte et à 20h, nous serions près de 40% à nous mettre à table. Le petit déjeuner ne rassemblerait pas autant les foules et serait la prise alimentaire la moins synchronisée (même si un « pic horaire » est identifié aux alentours de 8h) ; 64% des moins de 25 ans et 90% des plus de 50 ans mangeraient entre 5 et 11h.
Si vous vivez en couple, il y a de bonnes probabilités pour que vous preniez votre petit déjeuner en solitaire, la faute aux boulots et aux études de chacun-e (perso, j’avale une brique de jus de fruits dans le bus, un vrai petit déj’ de gagnante).
L’heure du dîner est devenue plus tardive au fil du temps : lors de la dernière enquête menée par l’Insee, le repas du soir se situait un peu avant 20h, alors que nous nous attablerions aujourd’hui à 20h13 (ce qui, comme chacun sait, permet de se mettre bien pour le début de Plus Belle La Vie – ce qui m’amène à vous préciser à ce propos que 19% du temps consacré à l’alimentation serait passé devant la télévision).
Malgré ce rituel des trois repas, certains d’entre nous GRIGNOTENT – cette bande de petit-e-s révolutionnaires pourrait ainsi faire péter le Granola à 18h30 et les Monster Munch à 11h. On est bien ! Je vous le donne en mille, les plus grands adeptes du grignotage sont les jeunes : 41% des moins de 25 ans grignoteraient « parfois » et 29% « très souvent ».
Récapitulons. En somme :
- Nous consacrons en moyenne 2h22 de notre temps, chaque jour, à nous alimenter
- Ce temps dédié à l’alimentation reste structuré par trois temps de repas
- Bon nombre d’entre nous déclare grignoter allègrement entre les repas – en tête, les jeunes
- 1/5ème du temps passé à manger l’est devant la télévision
- Les repas sont perçus comme des moments aussi agréables que lire ou écouter de la musique
- Cette perception existe particulièrement chez les personnes les plus âgées
- Et moins chez les jeunes – qui d’ailleurs sautent plus souvent le petit déjeuner et prennent plus souvent leurs repas à l’extérieur
Est-on libre de choisir ce que l’on mange ?
Vous vous en doutez, nous appréhendons tous l’alimentation de différentes manières ; « manger », « faire à manger », « se nourrir » n’ont pas les mêmes significations et enjeux pour chacun-e d’entre nous.
Le sujet est marqué par une multitude de facteurs : nos positions sociales, nos statuts, nos revenus, le lieu où l’on vit, celui d’où l’on vient, nos histoires familiales…
Ce que l’on mange n’est pas neutre – il y a par exemple fort à parier qu’une personne d’origine rurale n’a pas tout à fait les mêmes consommations alimentaires que quelqu’un d’origine urbaine. Cela ne signifie pas que l’une des ces consommations est plus positive que l’autre – nos « groupes », nos « classes » sont composées de différents segments et font appel à des « modes de vie » nuancés.
Le sociologue Pierre Bourdieu parle ainsi « d’habitus alimentaire » : notre consommation alimentaire (dans sa quantité, sa qualité, dans nos modes de consommer) n’aurait pas grand-chose à voir avec des goûts personnels, mais serait plutôt déterminée socialement. Pour lui, les goûts seraient issus d’un héritage socio-culturel
; une vision qui a parfois été qualifiée de « déterministe ».
Dans un article pour la revue SociologieS, Nicolas Belorgey revient sur le sujet de l’alimentation et mentionne les propos de Maurice Halbwachs : « Il y a des aliments qu’on ne mange pas parce qu’ils sont considérés comme inférieurs et d’autres qu’on recherche non seulement parce qu’ils apportent une satisfaction à l’organisme, mais parce qu’ils font honneur. On est rehaussés à ses propres yeux comme à ceux des autres parce qu’on a une table bien garnie ».
Car on ne mange pas seulement pour se nourrir… On mange pour créer un lien, pour partager, pour se consoler, pour se cacher, pour profiter, pour transmettre, pour faire plaisir (une cuillère pour maman, une cuillère pour papa). On adopte certains aliments presque inconsciemment, parce que nos familles nous les ont transmis, parce qu’un phénomène de mode est apparu (bonjour les macarons), puis un autre (bonjour les burgers), parce qu’ils peuvent faire office de moyen de socialisation (on va bruncher ?).
Et ailleurs, comment ça se passe ?
Dans un ouvrage collectif, le sociologue Claude Fischler et la psychologue Estelle Masson présentent les résultats d’une enquête comparative sur les attitudes vis-à-vis de l’alimentation, du corps et de la santé, menée dans 6 pays « occidentaux » : France, Allemagne, Italie, Suisse, Angleterre, États-Unis. Quels sont les points communs et différences des pratiques alimentaires de leurs citoyen-ne-s respecti-fs-ves ?
Selon les observations de l’enquête, l’alimentation ne voudrait pas dire la même chose partout.
En France, la notion renverrait à l’authenticité, à la qualité des produits, au goût, à l’identité, au terroir. La Suisse semble rejoindre cette vision, en y ajoutant une préoccupation pour les ressources naturelles, l’environnement, la responsabilité envers les prochaines générations. En Italie, l’aliment apporterait la joie de vivre (et en sus, la santé) et serait sain lorsqu’il est bon au goût (ce qui est important, c’est le produit de qualité, le produit frais, naturel et de saison).
En France, en Italie, en Suisse, les conceptions de l’alimentation se rejoignent plus ou moins : le moment du repas serait associé à la sociabilité, au plaisir partagé, on s’attable avec des gens, des proches, des amis, on prend son temps… La convivialité serait également une dimension importante pour les Allemand-e-s – même si des nuances existent entre l’Est (où la préoccupation du budget prendrait le pas) et l’Ouest.
À l’inverse, pour les Étatsunien-ne-s, l’alimentation serait plutôt perçue par son côté « nutrition » et évoquerait la sphère privée, l’intime, la liberté et la responsabilité de chacun-e envers son corps et sa santé. Chacun-e serait ainsi libre de « faire les bons choix » alimentaires… et donc responsable des conséquences de ces choix.
Pour schématiser les choses, disons qu’en Italie et en France, l’alimentation serait liée au culinaire, tandis qu’aux États-Unis, elle serait associée à la diététique. Dans une interview, Claude Fischler illustre : « un Français qui grignote un sandwich à midi considère qu’il n’a pas « mangé », formule qui paraîtrait mensongère à un Américain ».
Aux États-Unis, donc, la santé serait l’objectif principal de l’alimentation ; en Europe continentale, la santé ne serait qu’un des effets annexes du « bien manger ».
Et donc ?
Nous le voyons bien, les manières d’envisager l’alimentation sont plurielles – nous avons à peine effleuré le sujet. L’acte de manger est complexe, chargé, à la fois concret et symbolique – le mangeur rationnel n’existe pas vraiment et l’alimentation n’a pas que des enjeux individuels. Évidemment, tout ce que nous avons vu au cours de cet article « généralise » et ne propose pas d’analyse plus « socio-économique », plus « structurelle » – qui serait d’autant plus importante que l’alimentation semble profondément liée aux contextes géographiques, économiques et sociaux dans lesquels nous évoluons.
Dans leur livre, Claude Fischler et Estelle Masson alertent sur les dangers et l’inefficacité de pousser individuellement vers un regard trop « médicalisé » sur les aliments, vers une injonction au diététique et appellent à favoriser une « connaissance alimentaire positive et globale ». Les auteurs souhaitent plutôt cultiver les usages sociaux de la cuisine, former les consommateurs à être discriminants, attentifs aux qualités des produits, à leurs modes de productions… Passer par des politiques publiques et éducatives, plutôt que par un appel à la responsabilité individuelle. L’ouvrage se termine d’ailleurs sur ces mots : « Plutôt que de faire déchanter les mangeurs, il faut ré-enchanter l’alimentation ».
Hey madmoiZelle ! N’hésite pas à partager ton rapport à la nourriture dans les commentaires, et à m’alpaguer si tu as envie qu’on creuse le sujet, qu’on aborde un autre aspect, etc. !
Pour aller plus loin :
- Etude Insee – le temps de l’alimentation
- Nicolas Belorgey, « Sociologie de l’alimentation : les cinq portes de l’entrée par les familles », SociologieS, premiers textes, mis en ligne le 06 juillet 2011, consulté le 18 novembre 2012.
- Enquête du CREDOC sur l’Evolution de la consommation de viande en France
- Quelques extraits de l’ouvrage de Fischler et Masson
- Une interview de C. Fischler et E. Masson
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Pour nous, les repas (surtout le diner en fait), c'est hyper important.
c'est le moment en famille, ou l'on partage et on discute autour d'un bon plat.
je suis au Japon en ce moment (environ depuis 2 ans), et mon homme lui n'a pas du tout ce sens la.
pour lui, manger c'est plus un "acte obligatoire", plus une facon de se nourrir pour survivre, il ne prend pas le temps d'apprecier un repas et veut terminer vite.
j'arrive maintenant a lui faire accepter un peu mon mode de vie aussi (bouffer en 15 minutes franchement ca reste sur l'estomac !!!)
et puis surtout j'adore cuisiner !
aussi bien des pllats francais, italiens, mais aussi japonais et recemment coreens.
c'est surtout la recherche de saveurs, avoir de belles assiettes colorees et savoureuses, et surtout des choses bonnes pour la sante que je recherche !
et puis, j'adore vraiment manger, j'adore prendre plus de temps qu'il ne faut pour un seul repas (je suis heureuse pour les fetes).
Ici au Japon, ils mangent des choses tres saines. Bien que les fasts foods sont de plus en plus presents, les pats traditionnels (je parle pas des sushis hein !) sont peu gras, et egalement tres varies. Aussi, cuisiner japonais est assez simple (si on a les ingredients), je pense que c'est surtout ca qui doit souler les gens, la cuisine francaise prend quand meme pas mal de temps a preparer...
les japonais aussi mangent dehors tres frequemment (il y a pleins de chaines de restaurants ou l'on peut manger tres rapidement pour quelques sous) et pareil, c'est pas super gras.
Mais c'est bien plus agreable de manger chez soi !