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Alice, 25 ans, animatrice et story-boardeuse – Portrait

Alice travaille dans le cinéma d’animation. Avec Léa, elle a parlé de ce milieu, de l’école des Gobelins et du principe de « métier-passion ».

Il y a quelques mois, à la lecture d’un article sur la timidité vue par la psychologie, Alice nous avait fait passer un lien vers un court-métrage, In-Between. Une histoire de deux minutes trente, derrière laquelle se cachaient cinq anciennes élèves de l’école d’animation des Gobelins. Dont Alice, que j’ai interrogée dans un café du coin, entre deux courants d’air, au son d’une radio qui crachotait de la variété. Alice était posée, attentive et soucieuse de m’expliquer au mieux son métier protéiforme.

À 25 ans, Alice est animatrice, story-boardeuse, mais peut aussi être réalisatrice, et même « faire des décors, mais je n’aime pas ça — en fait, je suis diplômée pour faire toute la pipeline du cinéma d’animation ». Aux yeux des gens, elle est soit artiste, soit technicienne.

Concrètement, ça donne ça :

« On me donne une séquence, avec ce qui s’appelle un lay-out, c’est-à-dire une mise à plat du plan. Par exemple, un personnage entre dans le plan, il a quatre secondes pour le traverser avec un air désespéré. Moi, je dois le faire bouger, le plus rapidement possible. Après, je dois le mettre au propre, le mettre en couleurs et le donner à quelqu’un. »

Ce qui lui a donné envie de faire de l’animation ? Elle ne le sait pas vraiment :

« Quand j’avais 4 ans, je décalquais Mufasa sur ma télé en faisant « pause » sur la cassette, je sais pas si c’est ça ? [Rire] En fait, j’ai toujours trouvé ça fou que tu puisses donner vie à un dessin, c’est pas vraiment jouer à Dieu, mais un peu quand même. T’as du papier, un crayon, tu peux faire ce que tu veux, encore plus avec la 3D maintenant, même un éléphant qui vole au-dessus de l’Everest, et c’est assez magique. »

Dessiner dans les marges des cahiers

Avant la magie, il y a la formation : un diplôme de concepteur et réalisateur de cinéma d’animation, qu’elle a obtenu à la prestigieuse école des Gobelins. Pourtant, il y a quelques années, Alice n’envisageait que de loin de se lancer dans l’animation :

« En seconde, j’aimais bien la bio et la physique, et je ne voulais pas me « fermer des portes ». J’ai fait un bac S, dans un lycée où tu finis soit ingénieur soit médecin. C’était plus par défaut qu’autre chose : je n’avais surtout pas envie de faire plein de philo, et l’économie ne m’intéressait pas du tout. Mais j’étais une quiche en maths ! »

En terminale, elle avait envie de faire de l’art, et a contacté sa prof d’arts plastiques du collège. Alice l’avoue, elle dessinait dans les marges de ses cahiers de lycéenne :

« J’avais des petits carnets de croquis, j’allais sur des forums de mangas, j’essayais de faire un peu de fanzinat aussi. J’imaginais des histoires, mais ça me faisait chier d’écrire, et j’avais envie de les faire bouger, mais pas avec des acteurs. Alors j’ai commencé à essayer de faire un peu d’animation sur Photoshop, un logiciel pas du tout fait pour ça ! C’était aussi l’époque où DeviantArt était très à la mode, je suivais plein de dessinateurs et j’essayais de faire pareil qu’eux, mais sans y arriver. »

Mais elle n’osait pas forcément avouer cette passion à ses parents, car toutes les écoles dites d’art ou d’animation qu’elle avait trouvées étaient très chères. Elle a découvert l’existence des Gobelins en discutant avec une dessinatrice rencontrée à la Japan Expo. Alice est allée aux journées Portes ouvertes, en est revenue emballée, tout en pensant qu’il était impossible d’y rentrer.

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Le long chemin qui mène aux Gobelins

Après le bac, la future animatrice a été refusée aux deux facs de bio qu’elle avait demandées, mais a réussi le concours de Duperré, une école d’art publique de la ville de Paris, où elle a fait une mise à niveau en arts appliqués :

« Le concours s’était bien passé, sauf que je n’avais amené que ma trousse à dessin, et j’ai dû écrire ma rédaction avec des crayons de couleur… J’ai découvert le jour de la rentrée à Duperré que l’école était spécialisée en textile. J’ai aimé l’école, beaucoup moins les gens, mais ça dépend vraiment des expériences de chacun. »

À la fin de l’année, Alice a tenté une première fois, sans succès, d’intégrer l’école des Gobelins :

« Je n’étais absolument pas prête. Mais j’étais quand même très triste, parce qu’une part de moi y croyait. »

Elle a passé un entretien à LISAA, une école d’art privée, pour rentrer en première année de diplôme d’animation, avec toujours en tête l’objectif de repasser le concours :

« C’était cher, il fallait que mes parents prennent un prêt pour payer l’année. J’ai dû leur expliquer que c’était une passerelle et que je ne voulais pas rester. J’ai demandé à mon père d’aller voir les Gobelins, ça l’a convaincu, et il m’a dit : « je te laisse un an pour me prouver que tu peux y aller ». Moi non plus, je ne voulais pas tenter six ou sept fois. »

Elle se souvient d’avoir fait de belles rencontres, et a travaillé avec acharnement :

« Les exercices que je faisais, je me disais que c’était pour les Gobelins, parce qu’à l’école, ils ne te motivent pas, alors si tu ne veux rien faire, personne ne te forcera. Mes profs riaient à gorge déployée quand je disais que je voulais passer le concours. »

Pas le temps d’apprendre à dessiner

Alice s’est pourtant accrochée, et elle se rappelle que le concours qui s’est bien passé :

« Il y a une épreuve écrite, où tu dois amener un book, une épreuve de français et un QCM. Il y avait aussi une épreuve de story-board (avec un extrait d’un livre à story-boarder), une épreuve de perspective, et une épreuve de dessin de personnage. On te donne des model-sheets, c’est-à-dire une feuille technique, avec un plan du personnage vu de face, de profil, parfois des mises en situation, et on te demande de le mettre en mouvement. Ils veulent voir si tu as un peu la fibre cinématographique, un bon sens du mouvement et des lignes d’action »

Ces étapes peuvent sembler impressionnantes, et révèlent une exigence d’excellence :

« Ils disent que pour rentrer aux Gobelins, il faut savoir dessiner et avoir une très bonne connaissance anatomique et de la perspective. On ne va pas te l’enseigner, parce que c’est déjà trop long d’apprendre à quelqu’un à animer. J’ai réussi à leur faire croire que j’avais une très bonne connaissance en perspective, mais je ne l’ai toujours pas ! »

Après un premier écrémage des candidats, Alice a finalement accédé à l’analyse filmique et à l’entretien, qui sert aux jurys à composer une future équipe de 25 élèves :

« Ils te posent des questions plus ou moins improbables, comme pourquoi je n’avais pas voulu être écrivain. J’avais écrit dans mon CV que je faisais de la pâtisserie, ils m’ont demandé si je ferais des gâteaux tous les jours si j’étais prise : j’ai dit oui et [elle singe un ton pompeux] que c’était « un processus créatif comme un autre ». Ah, et j’ai menti, j’ai dit que j’avais un pass annuel à Beaubourg alors qu’il était périmé depuis deux ans ! »

L’apprentissage des techniques et du travail d’équipe

Alice insiste : les Gobelins est une école de techniciens, elle y a donc appris… la technique.

« La première année, on n’apprend que l’animation, avec des exercices très simples et de plus en plus sophistiqués. La deuxième année, on réalise, en équipe, un court-métrage de 30 secondes sur un thème imposé, commandité par le Festival d’animation d’Annecy, pour appliquer tout ce qu’on a appris : en animation, en story-board, en design et sur toute la chaîne de production. Les cinq génériques réalisés sont diffusés avant les projections du festival, et celui qui a le plus plu au public repasse en fin de semaine. »

Elle a apprécié l’effervescence et la motivation collective qui régnait dans la promo, même si l’ambiance n’a pas toujours été facile à gérer :

« En général, en deuxième année, la réalisation du court-métrage se passe très mal. C’est l’équipe pédagogique qui choisit les équipes. Tu peux donc te retrouver avec des gens aux égos surdimensionnés, pas faits pour le travail d’équipe, ou qui n’ont pas du tout le même point de vue artistique que toi… Mais on apprend plein de choses. »

Pendant trois ans, Alice a passé beaucoup de temps dans un microcosme avec ses camarades. Elle souligne le respect mutuel, et l’absence de gros conflit entre eux, même si, comme partout, on ne peut pas s’entendre avec tout le monde  :

« Tout le monde se connaît. Tu les vois le week-end parce qu’il faut parler du projet ; une fois par semaine, on essaye d’aller tous ensemble au bar pour parler d’autre chose, mais le naturel revient au galop… Du coup, quand quelqu’un a un copain ou une copine extérieur à l’animation qui vient en soirée, tout le monde s’agglutine autour de lui/elle ! »

Au fur et à mesure de la formation, les profils s’affinent. Sa troisième année de diplôme s’est achevée sur un film de fin d’études, toujours réalisé en équipe, mais cette fois, les étudiants ont fait eux-mêmes les groupes.

In-Between, la petite bête qui monte

Le court-métrage de 3ème année, In-Between, reste un des plus beaux souvenirs de travail d’Alice. L’idée du film s’est construite en équipe, mais c’est elle qui a suggéré le concept : une petite bête qui suit partout un humain et représente sa névrose.

«  On cherchait des idées, j’avais pas trop le moral, j’étais dans un parc, en grosse introspection personnelle, je réfléchissais. Ce n’est absolument pas original, le concept a été vu mille fois, mais je me suis dit que c’était mignon et je l’ai proposé aux filles. De toute façon tout a déjà été fait, et avec Internet, tu t’inspires encore plus de tout, partout…»

Son équipe a d’abord envisagé de suivre plusieurs personnages, sous forme d’interviews où on les verrait discuter de leurs problèmes, avec des animaux plus ou moins gros derrière eux :

« C’était trop compliqué, parce qu’on a peu de temps pour réaliser le film, donc il faut être raisonnable sur sa durée. On voulait animer beaucoup, avec une animation « à la Disney », une de celles qui prend le plus de temps, du coup, on a restreint. On a décidé de se concentrer sur une seule personne, et comme il y avait trois timides dans l’équipe, on s’est dit qu’on allait faire quelque chose là-dessus. »

Selon Alice, il y a quelques années, la légende voulait que les étudiants des Gobelins ne sachent faire que des courses-poursuites, un exercice difficile techniquement, histoire de pouvoir ensuite les montrer dans leur bande-démo pour les employeurs. Son groupe ne voulait pas faire ça, et elle est ravie de voir que les promos suivantes se sont aussi détachées aussi de cette tendance.

La reconnaissance et la critique

Alice et ses camarades ont reçu beaucoup de messages et de mails d’internautes à propos de leur court-métrage, ce qui est assez rare. Elles sont ravies d’avoir touché le public qu’elles visaient :

« Des gens nous disaient qu’ils avaient beaucoup aimé le film, on a eu aussi des mails super émouvants de nanas qui disaient qu’elles se retrouvaient dedans, que ça les avait beaucoup touchées ! Mais c’est vrai qu’en général, les gens qui vont voir les films de fin d’étude des Gobelins sont ceux du milieu, ou d’autres école qui viennent juger. Il y a même des forums dédiés à ça, en général assez rudes sur la critique. »

La critique, Alice s’y est faite, et elle l’accepte volontiers si elle est constructive :

« Pour l’instant, j’ai quand même plus de réactions positives, et les réactions négatives viennent en général de personnes jalouses. Le problème, c’est que comme tu sors d’une école prestigieuse et reconnue, quoi que tu fasses, ce sera mal interprété. Si tu restes modeste, on te le reproche, et si tu le dis avec un peu de fierté, tu passes pour un connard prétentieux. »

Une prise de confiance progressive

Alice se marre en se remémorant ses ambitions post-bac :

« Quand j’y repense, maintenant, je parlais comme un héros de manga : « Un jour, j’y arriverai ! ». Ça devait être insupportable à écouter ! Je ne sais pas pourquoi j’étais aussi persuadée d’y arriver parce que je manque énormément de confiance en moi. Mais ça, je le voulais. »

Même une fois le concours réussi, elle a dû se remettre en question :

« Tout le monde passe par une grosse déprime en arrivant. Le truc, c’est un peu : « vous étiez chacun les champions de vos classes, vous vous la pétiez, et là, vous vous rendez compte que tout le monde est aussi fort que vous »… Au début, tu te dis que tu es une grosse daube et que tu n’y arriveras jamais. Il faut réussir à se sortir de ça, c’est pas forcément facile, mais au final tout le monde trouve sa place. »

Elle évoque la fierté de ses parents lorsque son nom apparaît dans un générique,

et son plaisir d’y lire celui de ses ami•e•s :

« Maintenant, que je vais au cinéma, je vois plein de noms que je connais. J’ai par exemple plein d’ami•e•s qui ont travaillé sur Astérix et le Domaine des Dieux, c’est rigolo, et je suis fière pour eux ! »

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Les animateurs, des « acteurs qui n’osent pas jouer »

Comme tous les professionnels du métier, Alice est sensible à la technique quand elle regarde un film d’animation :

« Si j’arrive à décrocher, c’est que le film est bien ! Mais au deuxième visionnage, je vais quand même tout analyser. Même quand ce n’est pas de l’animation, tu vois les faux raccords, les incrustations sur fond vert… En fait, c’est horrible pour les autres : mon frère ne supporte plus de regarder un film avec moi ! »

Mais elle refuse le snobisme, les gens qui n’aiment que « le cinéma d’animation de poupées russes entre les années 40 et 52 » :

 «  J’admire toujours, quand il y a une très belle technique que nous seul voyons. Mais je n’aime pas trop le côté prétentieux. C’est bien si on peut faire de la neige réaliste dans La Reine des Neiges, mais l’histoire raconte quoi ? Pour moi, c’est quand même ça le plus important ! »

Si elle anime, c’est pour le plus grand nombre, pour les autres, surtout pas pour elle tout seule :

« Si tu veux faire des films pour toi dans ta cave, c’est bien. Moi, ce n’est pas mon but. J’ai envie que les gens se disent que ce personnage qui n’est pas un véritable acteur « joue » vachement bien, qu’ils versent leur larmichette, qu’ils soient touchés… Et s’il faut parfois user des grosses ficelles pour ça, faisons-le. Il y a un adage, dans le milieu, qui dit que les animateurs sont des acteurs qui n’osent pas jouer eux-mêmes. Je pense qu’il y a une part de vrai. »

Le truc d’Alice, c’est les séquences d’émotion, pas les bagarres hyper rapides. Elle est spécialisée dans les séquences de dialogue, en animation traditionnelle « à la Disney », et elle sait que les studios l’appelleront pour ça :

« On me dit que j’ai un style assez sensible, ce qui ne veut pas dire grand-chose. J’aime animer des gens tristes, des gens en colère… D’ailleurs il paraît que je fais très bien les filles en colère, peut-être parce que c’est ce que je connais le plus ! Un membre du jury m’avait dit que j’étais monomaniaque envers les filles : je ne dessine quasiment que ça, parce que je trouve ça plus joli à dessiner.

En fait, c’est comme le dessin, tu dessines ce que tu connais, ce qui t’entoure. Et c’est un peu cliché de le dire, mais c’est vrai qu’en général, les femmes animent mieux les femmes et inversement. Ah oui, et les chiens obèses, je trouve ça drôle à dessiner. Mais je ne sais pas faire les chats du tout, je ne pourrais pas faire du LOLcat ! »

 « Mon père sait juste dessiner des requins »

Alice ne sait pas trop d’où lui vient la fibre artistique. Elle rit en me disant :

« Mon grand-père peint très bien, mais mes parents non. Ça a dû sauter une génération ! Mon père sait juste dessiner des requins, et c’est sa grande fierté. »

Les parents de l’animatrice ne sont pas du tout dans le même milieu professionnel qu’elle. Mais elle a pu compter sur leur soutien, de plus en plus affirmé avec les années :

« Ma mère, je pourrais faire n’importe quoi, elle trouve que c’est magnifique et que je dessine terriblement bien. Mon père était beaucoup plus circonspect au début de mes études, il voyait encore le côté saltimbanque.

Mais je pense qu’ils me faisaient confiance pour viser quelque chose de bien et de relativement sérieux. Ils ont vu que j’étais structurée dans ma pensée, et que mon but était de suivre la meilleure formation possible, pour pouvoir faire après quelque chose qui me plaisait vraiment. Au final, ils étaient très fiers quand j’ai eu le concours. Mais j’ai attendu la fin avant de dire à mon père que j’avais un statut d’intermittente du spectacle ! »

Contrats courts et bouche-à-oreilles

Entre les contrats antidatés et les multiples tests auxquels doivent se soumettre les animateurs avant emploi, tout n’est pas si simple. Aux yeux d’Alice, son statut d’intermittente du spectacle est une bénédiction, encore plus lorsqu’elle compare sa situation avec ses collègues du reste de l’Europe :

« Tous les Européens nous l’envient. Et c’est aussi pour ça que la France est la 3ème plus grande productrice de cinéma d’animation au monde. Je préfère être au chômage qu’accepter des choses terriblement sous-payées, sinon tu fais baisser les salaires de tout le monde… Parfois, je gagne plus avec mes Assedic ! »

Pour trouver du travail, Alice a pu compter sur le réseau des anciens élèves des Gobelins, et notamment leur page Facebook, où les nouveaux professionnels se font passer les offres d’emploi :

« Avoir fait les Gobelins, ça aide carrément, ça fait une belle dorure sur le CV et les gens se donnent au moins la peine de lire tes mails. Au niveau des tarifs aussi, on se fait un peu moins arnaquer que les autres. C’est payé à la tâche : un story-boarder devrait gagner environ 180€ bruts par jour, c’est plus souvent 160€, et un animateur gagne un peu moins. J’ai intérêt à finir dans les temps, parce qu’on ne me paye pas d’heures supplémentaires ! »

Les contrats sont relativement courts, et elle passe en général entre quatre et cinq mois sur chaque production :

«  Là, j’ai de la chance, je suis sur une production assez longue qui m’occupe pour un an normalement. Souvent, on est embauché pour une production, parfois juste pour un dépannage… C’est toujours bien de se faire un trou dans un studio en particulier. »

Les femmes dans l’animation

L’ambiance de travail est aussi très importante pour Alice, et elle a conscience que son diplôme lui donne la chance de pouvoir sélectionner – un peu – les productions sur lesquelles elle officie. Elle apprécie les petits studios où elle peut connaître tous ses collègues.

L’animation compte aussi de plus en plus de filles, y compris dans les promotions de son école, ce qui n’était pas encore le cas il y a quelque années :

« Et toutes ces femmes vont se retrouver sur le marché ! Par contre, c’est toujours un milieu sexiste, avec des blagues un peu lourdes, surtout venant des vieux de la vieille — quoiqu’il y ait peu de « vieux » animateurs. Parfois, il faut les ramener un peu sur Terre… J’ai eu droit à des remarques déplacées dans mes premiers boulots, mais là, je suis dans un studio équilibré. »

Malgré des femmes plus nombreuses dans le métier, Alice reconnaît que les personnages féminins sont encore très clichés :

« Je n’ai aucune impact là-dessus, parce que ça a été validé en amont. C’est encore très difficile d’imposer deux personnages féminins dans une série. Les producteurs vont dire qu’une une série dont le héros est une femme n’intéressera que les filles, ce qui n’est pas vrai ! Même s’il y a des exemples de série géniale comme The Legend of Korra, ils ne veulent pas prendre de risques. »

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Les séries, encore pleines de restrictions

La liberté d’Alice dans son travail est très variable selon les productions. Elle travaille par exemple sur des séries animées, qui sont souvent assez cadrées, quand elle ne sont pas sous-traitées à l’étranger :

« Tu ne peux pas trop t’épanouir en animation sur de la série. Mais pour tout ce qui est pré-production et story-board, c’est bien, parce qu’il faut apprendre à travailler très vite avec des quotas intenables, et c’est aussi un challenge. »

Alice regrette cependant que le contenu des histoires soit parfois très consensuel :

« On essaye de faire bouger les choses petit à petit. Mais en France, on travaille beaucoup pour les chaînes publiques, donc le carcan est assez raide. Le problème, c’est que les « gros bonnets » sont les mêmes qu’il y a 30 ans, donc ils ont toujours les mêmes exigences. Voire pire, parce qu’on a tendance à sécuriser les enfants : il faut que ce soit éducatif, écologique, drôle, que ça ne fasse pas peur, que les garçons ne se touchent pas les uns les autres… Et encore, par rapport au reste de l’Europe, on est parmi les plus libres. »

« Il n’y a pas de films pour enfants »

Si dans les séries sont plutôt destinées aux enfants (« les adultes sont plus sur la japanimation ») Alice déplore l’idée selon laquelle les films animés seraient dédiés aux plus jeunes :

 « En France, cette tendance est encore forte. Un adulte ira voir un documentaire d’animation comme Valse avec Bachir ou Persepolis parce qu’il est vanté dans Télérama. Mais ceux qui vont voir un Disney « pour faire plaisir aux gamins » accrochent quand même bien… »

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Elle estime qu’il ne faudrait pas faire la distinction entre un public d’enfants et d’adultes :

« Les premiers sont des adultes en devenir, et les seconds sont toujours des enfants dans leur tête ! J’ai envie de faire des films pour les adultes que les enfants puissent regarder, qu’il y ait toujours plusieurs niveaux de lecture. Je pense vraiment qu’il ne faut pas infantiliser les films d’animation. J’ai des amis qui ont travaillé sur Song of the Sea, un film magnifique. Ce n’est pas parce que ça raconte l’histoire d’une petite fille que c’est uniquement pour les petites filles. Sinon tous ceux qui ne sont pas militaires ne doivent pas aller voir American Sniper ! »

Les longs-métrages, de Disney à Miyazaki

Alice attend avec impatience la sortie de The Prophet, un long-métrage sur lequel elle a adoré travailler :

 « Le réalisateur a un parti pris artistique que j’adore, il est humainement très intéressant, et il a un style de dessin superbe. L’histoire était très belle, l’équipe excellent et il y avait des exigences assez hautes en terme d’animation. En plus, j’étais contente parce que mon copain a travaillé sur une autre partie du film, donc on sera tous les deux sur le générique. »

Les longs-métrages permettent souvent plus de liberté et de créativité aux animateurs et animatrices :

« Par exemple, à Disney, le story-boardeur va juste faire une case avec la composition du plan, l’ambiance et montrer ce qui se passe. Après on te dit de donner de l’émotion, et tu es libre, tant que tu restes cohérent•e avec ce qui doit se passer dans le plan. Tu as aussi plus de temps. »

Alice aimerait bien aller travailler sur un long-métrage aux États-Unis. Même si sa visite des studios Disney, à Los Angeles, lui a permis de découvrir que là encore, il y a des restrictions :

« Quand tu vois leurs recherches, tu te dis que le film va être magnifique : il y aura l’aspect sentimental, artistique, ça plaira aux enfants… Et puis les producteurs arrivent et décident de prendre le truc le plus attendu et le plus classique. Du coup, le film est bien mais sans plus. »

Elle sait aussi que les États-Unis disposent de très bonnes écoles d’animation, et que si les professionnels américains adorent venir admirer les travaux des Gobelins, il leur est beaucoup plus difficile d’embaucher des Français. Si tous les films d’animation font plus ou moins rêver Alice, y compris les oeuvres expérimentales qui se rapprochent plus de l’art, elle en voit aussi les limites :

« Les films de Ghibli, ça peut me plaire, mais jamais je ne voudrais aller travailler là-bas. Miyazaki, c’est connu qu’il est très dur, et j’ai pas envie de me faire crier dessus. J’aime mon travail, mais je n’ai pas envie de mourir sur ma table, il faut que ça reste un plaisir et une passion. »

Travail et passion

L’animation peut facilement devenir un métier très envahissant, alors Alice a pour l’instant décidé de bien poser les barrières entre vie professionnelle et vie privée. Si elle a passé des nuits blanches sur son film de fin d’études ou fait beaucoup d’heures supplémentaires sur un long-métrage qui lui plaisait, ce temps-là est terminé :

« Ça reste un travail, ce n’est pas ma vie. Je veux pas travailler les week-ends, et je peux rester jusqu’à 23 heures le soir si on est en rush, mais pas tout le temps. Quand je rentre, j’ai envie de pouvoir voir mon copain, d’aller boire des pots avec des amis, je veux aussi continuer le sport…

Je n’ai pas envie de m’intoxiquer avec mon travail, parce que c’est comme ça que tu t’en dégoûtes, tu deviens aigrie et tu travailles moins bien. C’est le problème des métiers-passions, il ne faut pas se laisser arnaquer. »

En tout cas, Alice a l’air d’avoir trouvé son équilibre, puisque, comme elle me l’explique, elle n’est jamais lasse de son boulot :

« Je suis quelqu’un de terriblement impatient, mais ça, j’aime le faire. Je suis aussi terriblement fainéante, mais je peux m’obstiner très longtemps jusqu’à ce que ça marche. Il y a forcément des moments où tu en marre, mais tu as envie que le film soit fini, que les gens le voient et tu vas jusqu’au bout. À la fin, c’est gratifiant. »

Vers un projet personnel

Après ses études, et en parallèle de ses contrats, Alice a suivi le programme Animation sans frontières, des modules de deux semaines de formation organisés par quatre écoles d’animation européennes :

« On apprend à développer des projets persos, comment trouver un producteur, des financements, comment pitcher un projet à quelqu’un de manière professionnelle et efficace… C’est très intéressant ! »

Elle rêve maintenant de monter son propre projet :

« Je voudrais faire un long-métrage documentaire de 52 minutes. J’ai un dossier que j’essaye de présenter à des pré-producteurs, pour trouver un producteur et de l’argent. Mon copain, qui est dans le milieu, m’aide, et aussi un ami qui est dans une boîte de production. J’essaye de trouver petit à petit une équipe. Il faut aussi payer les licences sur des logiciels sur lesquels tu travailles, louer les caméras pour interviewer les gens… Ça peut vite monter très haut ! »

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Un métier toujours vivant, comme la 2D

Alice a appris essentiellement l’animation 2D, pour laquelle le gros du travail se fait après l’animation :

« Pour que ce soit beau et cohérent, il faut remettre au modèle de dessin, parce qu’en général quand tu te laisses aller à animer, les proportions du personnage changent. Ça se fait à la main, parfois avec une tablette graphique, mais c’est très fastidieux et très long. Il faut tout numériser, regommer, découper, scotcher. C’est beaucoup moins facile que de faire CTRL+Z quand tu fais des erreurs, mais c’est rigolo. »

Evolution du métier oblige, on lui a aussi enseigné les bases de la 3D :

« En 3D, je sais animer un personnage, mais c’est tout. Il faut que quelqu’un fasse une modélisation 3D, quelqu’un d’autre le squelette à l’intérieur, et tous les trucs de rendu auxquels je ne comprends rien. »

Mais Alice croit encore à fond à l’animation sur papier, et encourage celles qui voudraient se lancer dans le métier à s’y intéresser :

« Ne croyez pas ce que disent les médias, l’animation 2D n’est pas morte, continuez à animer en 2D si c’est ce qui vous passionne et n’oubliez pas que le cinéma d’animation n’est pas un genre, mais un format. »

Alice insiste aussi : avoir fait les Gobelins n’est pas une fin en soi, et beaucoup de ses collègues s’en sortent très bien sans. Beaucoup, comme elle, arrivent à en vivre, loin de l’image de saltimbanque que peuvent se coltiner les professions artistiques :

« C’est un métier formidable, où tu rencontres énormément de gens et où tu as l’opportunité de voyager beaucoup. Comme tes contrats sont assez courts, tu ne t’ennuies jamais. Et ça apporte tellement de plaisir de pouvoir raconter des histoires et de les voir un jour sur grand écran ! C’est assez émouvant… »


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Les Commentaires

22
Avatar de Affie
16 avril 2015 à 19h04
Affie
@blopOoOo Je travaille dans un studio irlandais, et le milieu de l'animation est vraiment petit en Irlande, donc pour moi c'est d'autant plus etonnant de voir autant de femmes representees au sein du studio. Apres, cela reste un studio de taille relativement moyenne, je ne sais pas si la mixite est aussi importante dans les studios de plus grande importance, genre Brown Bag a Dublin.
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Voir les 22 commentaires

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