Publié initialement par Mickael Mooby le 10 septembre 2011
Aux États-Unis, les geeks ont une sorte de divinité : Kevin Smith. Un monsieur nourri de pop-culture, travaillant dans le cinéma (on lui doit Dogma, Zak et Miri font un porno et Top Cops), le monde du comics, auteur de milliards de tweets, mais qui pose une véritable réflexion humaine dans certains de ses films.
En France, ça se bouscule pas au portillon… Cependant, les geeks français ont un représentant, un mec fascinant qui vit ancré dans notre époque 2.0 et qui est une sorte d’extraterrestre télévisuel tellement il se démarque de ses camarades de classe : je veux bien sur parler de son altesse royale Alexandre Astier.
« Vil félon où as-tu caché le Graal sacré ? », »Dans ton cul ! »
Kaamelott est bien évidemment le chef d’œuvre à ce jour d’Alexandre Astier. Série diffusée en access prime time sur M6, Kaamelott raconte la quête du Graal par le roi Arthur et les chevaliers de la table ronde. Pas de quoi crier au génie me direz-vous, cependant quand on regarde le PAF, Kaamelott se démarque à bien des égards.
Tout d’abord, Astier a réussi à imposer une série d’époque. Trop chère, ne parlant à personne, trop « cultivée », TF1 et ses sbires audiovisuels s’entêtent à rester sur les sacro-saintes valeurs que sont les séries familiales dirigées vers la fameuse ménagère de moins de cinquante ans.
Il faut du contemporain, du cliché, et surtout ne pas dépasser la ligne. Du coup, en s’aventurant sur ce terrain, Alexandre Astier a réveillé une sorte de curiosité que le spectateur n’avait plus (ou pas) l’habitude de voir. Et puis il est malin le monsieur Astier, car niveau décors, on reste sur du plan fixe et beaucoup d’intérieurs, du coup ça coûte moins cher à produire. Avec le temps, et une renommée grandissante, il se permettra de plus en plus d’extérieurs, de travellings, ce qui diversifiera la série et ne la laissera pas tomber dans une spirale de vus et revus.
La grande force de Kaamelott et d’Astier ? Son écriture. Du balai les belles phrases léchées, on rentre dans le gras du sujet : Astier est un champion toutes catégories des dialogues cinglants à base de barbarismes, d’insultes et d’autres joyeusetés. Choc pour la ménagère, joie pour le moins de 50 ans, car il entend enfin les mêmes mots qu’il prononce dans la journée.
Astier envoie bouler la bienséance pour se concentrer sur le concret, le réel. Il donne une réalité contemporaine à une légende ancestrale. Quoi de plus drôle (touchant ?) que d’entendre Arthur insulter ses sujets en les traitant de trous du cul ? Où peut-on trouver dans une autre série l’expression « trou du cul » ? Canal + s’est depuis mis à la page (Maison close, Braquo…), mais Kaamelott a été un choc dans le PAF.
— Petite vidéo qui fait plaisir sur M6bonus.fr
Multitâches
En France on aime bien les cases : toi t’es juste réal, toi t’es juste acteur, toi t’es juste auteur, etc. Astier, lui, fait tout : auteur, réalisateur, producteur, acteur, compositeur… À une époque où une œuvre télévisuelle française n’est qu’un gloubiboulga indigeste filmé par des réalisateurs intérimaires, notre bonhomme tient toutes les rênes, avec la certitude de voir à l’écran ce qu’il avait dans la tête.
Je trouve – mais c’est personnel – qu’Astier n’est pas forcément un grand metteur en scène, mais il excelle dans tous les autres domaines. Et ce Monsieur a décidé aussi de monter sur les planches afin d’y jouer ses propres sketchs. Bref, cet homme est un créatif jusqu’au bout des doigts, ce qui lui permet de mieux appréhender son métier, car ainsi il peut, par exemple, mettre les contraintes du métier d’acteur dans sa vision de réalisateur, etc.
Enfin un auteur !
Oui Astier est un auteur et ce n’est pas péjoratif. Qui en France connait le nom du scénariste de Plus belle la vie, de Joséphine Ange Gardien ? Aux États-Unis, on peut vendre une série rien qu’au nom de son scénariste (David Chase, Alan Ball, JJ Abrams…). En France, c’est le scénariste n’est pas autant considéré, c’est limite si on ne le considère pas comme une étape chiante mais obligatoire pour avancer dans le projet de film.
Astier raconte des choses dans Kaamelott, de vraies choses. Car si la série débute bon enfant avec de sacrées vannes, elle se termine sur des notes plus noires, voire tragiques. Car Kaamelott est avant tout l’histoire d’un homme qui n’a rien demandé à qui on confie une mission divine sans que rien ne lui soit épargné (y’en a même un qui a vécu la même histoire y’a 2000 ans et qui a fini cloué sur une croix).
Ainsi, la série se termine en abordant la dépression, le suicide et la fin de la confiance en soi. C’est ça que le bonhomme voulait : écrire une série sur un homme totalement dépassé par les événements, mais qui essaie coûte que coûte de tenir. De l’humain, en quelques sortes. On arrive sur cette planète sans rien avoir demandé et nous nous battons au quotidien pour nous y faire une place même minime.
Jamais je vous dis, jamais vous ne verrez Julie Lescaut se tailler les veines à cause de son travail de flic, jamais vous ne verrez Joséphine douter des intentions de Dieu en voyant la misère humaine. Vous verrez peut-être ce genre de choses dans Plus belle la vie, mais là bas ce ne sont que des outils narratifs, et non pas la continuité psychologique du personnage. Dans plus belle la vie, les drames arrivent à la pelle et sont vite résolus. Astier lui prend le temps d’écrire et va au plus profond des choses.
Mais c’est quoi ça ? Un cerveau !
Contrairement à la majorité des auteurs en France, Alexandre Astier part de deux principes tout bêtes mais essentiels :
- Le spectateur a un cerveau
- Il essaie tant que possible de fuir les clichés
Donc dans ses sketchs au théâtre, il se permet de prendre comme sujet Bach ou la physique quantique ! Il ne parle pas de sperme qui pend au bout de la bite comme Bigard, non, il parle de sujets sérieux, mais arrive à les mettre à la portée de tous, tout en les rendant immensément drôles.
Et ne vous méprenez pas : Astier ne veut pas donner des leçons, loin de là, mais tout simplement que grâce au véhicule média qu’il détient, il peut ouvrir des portes de curiosités que les gens n’ont jamais à la télé (Bon ok, Pernault peut vous faire intéresser à la construction du baril dans le Jura…)
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Il vit dans notre époque
Ben oui ! Il est geek, il a regardé Goldorak, il a deux iPad, il développe même en iPad etc… Il est jeune et curieux tout simplement ! Ce que le PAF ne comprend pas, c’est que le monde de demain est en train d’être construit dès aujourd’hui par les personnes de 20-40 ans. Il est donc normal que ce soit des auteurs de cet âge-là qui doivent écrire pour le public.
Aujourd’hui on devrait voir du Youtube dans les séries, entendre parler de Facebook, bref on devrait mettre les personnages dans un environnement contemporain. Ce que font très bien les séries américaines et anglaises (Skins, Misfits, etc.). Astier en tant que geek et connaisseur de ces contemporains est plus apte à avoir un propos qui parle. Regardez n’importe quelle série de TF1 et demandez vous à chaque instant si cette série aurait put être faite dans les années 70 voire 80. La réponse sera oui. Quoique maintenant ils ont le téléphone portable dans les séries de TF1…
Bonus track
Les deux anecdotes qui vous donneront envie de brûler un cierge à la gloire d’Alexandre Astier:
– La plus couillue : Alexandre Astier a envoyé chier Alain Delon ! Non mais dans quel monde vit-on ? Ne voulant pas foirer les trois films Kaamelott, Astier a décidé de tourner un long métrage histoire de savoir où il mettra les pieds. Le film devait s’appeler M.Karlsson et devait être joué par Alexandre Astier et Alain Delon dans le rôle titre. C’était sans compter sur Monsieur Delon, qui, à quinze jours du tournage, n’a pas « accepté les directives d’Alexandre Astier ». Dixit le Maestro himself : « Alain Delon a voulu changer les conditions de notre collaboration, quinze jours avant le premier jour de tournage et ce d’une manière que j’ai jugée inacceptable. J’ai refusé, il est parti ». Selon Wikipédia, Delon aurait demandé à Astier de choisir entre la casquette de réalisateur et d’acteur. Astier a donc changé son film en Mme Karlsonn, avec pour interprète Isabelle Adjani. Ca fait plaisir de voir un jeune fermer le clapet à un dinosaure du cinéma faisant sa diva. Comme rapperait OrelSan « C’EST NOUS L’FUTUR ! ».
– La plus belle : Il a envoyé balader Marie-Franche, la môman de Giuseppe, le fils à sa maman de Qui veut épouser mon fils… son intervention est magistrale et m’est d’avis que Marie-Franche n’a toujours pas compris ce qu’il signifiait.
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Les Commentaires
Je trouve que Kaamelot vers la fin ça devient un peu n'importe quoi et Mégalomane... Je ne sais pas, ça a dérivé dans un truc que j'ai pas trop compris, c'était trop dispersé en fait et pas assez "sérieux". Autant dans les livres c'est souvent (d'après moi) que les auteurs parviennent à mélanger les genres humour/drame/histoire/aventure/amour/délire et dans certains films aussi autant dans les séries c'est difficile de ne pas se perdre...
Après je vous avoue que voir ce cher Arthur habillé en jupette de Romain accroché torse nu prêt à se faire fouetter... Oui j'ai adoré.