Âgée de 16 ans – peut-être l’âge le plus intense de la vie – Bethan Gwyndaf a tout d’une ado typique. Plutôt du côté des outsiders que des populaires, la jeune galloise peut compter sur ses deux meilleurs amis, Lydia et Travis, pour zoner après le lycée et se prendre ses premières cuites en volant des chariots à la sortie du supermarché.
Regardez In My Skin sur Arte.tv
Au lycée, Beth affiche un caractère frondeur et mordant. Elle n’est jamais la dernière à répondre à un enseignant ou à envoyer paître une brute épaisse. Mais derrière cette façade, elle cache à tout le monde une situation familiale complexe : elle doit gérer Trina, sa mère bipolaire, et Dilwyn, son père alcoolique et abusif. Par peur du regard des autres, Beth ment, tout le temps, pour se justifier auprès de ses profs comme de ses amis. Le mensonge est devenu une seconde peau pour la jeune femme, jusqu’à ce qu’il craque…
Mise en ligne sur Arte.tv depuis le 24 janvier, In My Skin possède des points communs avec Shameless, autre série anglaise centrée sur une famille dysfonctionnelle issue de la classe populaire, qui a connu un remake américain à succès. Mais là où Shameless donne dans la surenchère de situations WTF et lorgne du côté de la comédie punk, In My Skin, comme son titre l’indique, reste dans la peau de sa jeune héroïne, pour nous dresser le portrait réaliste et sensible d’une ado forcée par les circonstances à devenir une adulte trop tôt.
Il faut dire que sa créatrice, Kayleigh Llewellyn, sait de quoi elle parle : elle a été cette adolescente. La série est basée sur sa vie, comme elle l’explique à The Guardian : « Je vivais dans la peur que mes camarades de lycée découvrent que ma mère était fréquemment internée. J’étais sûre qu’ils se moqueraient de moi, m’ostraciseraient – ou pire, se moqueraient de ma mère. ».
Une relation entre parents et enfants inversée
Incarnée par la prometteuse Gabrielle Creevy, Beth se trouve dans une situation qui a un nom : la parentification. Développé dans les années 70, ce concept a été défini en 1999 par le psychiatre Jean-François Le Goff comme « un processus relationnel interne à la vie familiale qui amène un enfant ou un adolescent à prendre des responsabilités plus importantes que ne le voudraient son âge et sa maturation dans un contexte socioculturel et historique précis et qui le conduit à devenir un parent pour ses (ou son) parents ».
Dès qu’elle s’absente de la maison, pour étudier ou passer du temps avec ses amis, Beth a une chance sur deux de devoir faire face à une situation désastreuse en rentrant chez elle : sa mère (jouée avec une grande justesse par Jo Hartley) a disparu ou son père a décidé d’inviter ses amis en pleine semaine pour une beuverie improvisée, où une adolescente n’a absolument pas sa place.
Avec une situation familiale pareille, In My Skin aurait pu donner dans le misérabilisme ou le sensationnalisme, mais Kayleigh Llewellyn évite cet écueil grâce à une écriture subtile, qui s’écarte de tout manichéisme. La relation mère-fille est traitée avec nuance et délicatesse. En dehors de ses épisodes maniaques, sur lesquels elle n’a pas de contrôle, Trina est une mère aimante. Les deux femmes prennent soin l’une de l’autre, chacune à sa façon. Et puis Beth trouve un peu de répit auprès de sa grand-mère paternelle, Nana (Di Botcher), seul repère familial stable dans sa vie.
Les plus jolis moments de la série sont ceux où ces trois générations de femmes passent du temps ensemble et parviennent à oublier les épreuves du quotidien. Ces dernières prennent autant le visage imprévisible des violentes crises de Trina que des brutalités de son père, Dilwyn, souvent là pour aggraver la situation. La série dépeint par la même occasion les méandres d’une relation de couple sous emprise, avec un mari violent. Naviguant avec lui entre peur, colère et légitime besoin d’amour et de reconnaissance, Beth traverse son adolescence en vigilance constante.
Compartimenter pour survivre
Dès qu’elle met le pied dehors ou au lycée, le monde de Beth s’agrandit. La réalisation prend des teintes plus solaires pour illustrer cette échappée belle. Le lycée représente à la fois un potentiel lieu d’oppression et un champ des possible pour la jeune femme, qui caresse le rêve de devenir écrivaine. Avec ses amis Lydia et Travis, Beth peut être elle-même, en partie, puisqu’elle refuse de se confier quant à sa situation familiale, dont elle a honte autant que de sa pauvreté, qu’elle cache aussi. Elle s’invente alors un foyer idéal : une mère “stricte” et trop protectrice, qui l’emmène à des ballets de danse, et un père banal qui possède un job stable.
La série ne résume pas pour autant Beth à ses parents dysfonctionnels. Tant bien que mal, la jeune femme vit son adolescence, et son premier crush pour Poppy, une fille populaire. Le mensonge parental se double d’un mensonge sur sa propre orientation sexuelle lesbienne, qu’elle a du mal à accepter dans un environnement lycéen homophobe.
Au fil des épisodes, des déconvenues et des victoires, Beth comprend qu’elle n’est jamais plus heureuse et appréciée de ses camarades que quand elle est elle-même. Alors petit à petit, elle fait tomber l’armure, avec sa mère, ses amis ou avec Cam, sa première petite amie officielle en saison 2. Son esprit rebelle et son sens de la répartie apporte à la série un ton espiègle irrésistible. « Comme beaucoup de gens qui ont été marginalisés ou qui ont quelque chose à cacher, elle détourne l’attention avec l’humour. J’ai fait ça toute ma vie. » confie la showrunneuse Kayleigh Llewellyn.
Récompensée d’un BAFTA de la meilleure série dramatique en 2022, à la suite de sa diffusion sur BBC One, In My Skin parvient en deux saisons de cinq épisodes, parfaites pour un binge-watching, à nous toucher au coeur, en racontant une adolescence particulière, qui résonne de façon universelle.
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