Les Ig Nobel, pour les recherches à la con
Parfois, je sens bien que certaines études vous laissent dubitatives — fallait-il VRAIMENT une étude sur tel sujet, pour parvenir à telle conclusion ? Figurez-vous que vous n’êtes pas seules : parfois, ce sont les chercheurs-ses eux-mêmes qui restent pantois-es face à des recherches qui semblent absurdes.
Pour célébrer ces études-là, le magazine Annals of Improbable Research organise même des « Ig Nobel » Prizes et récompense annuellement les études les plus improbables, absurdes ou loufoques. La cérémonie est tout à fait sérieuse, les prix sont remis par des personnalités ayant reçu des vrais prix Nobels et tout cela se déroule à Harvard.
Le mot d’ordre : prendre du recul et sourire de nos recherches – en gardant toutefois à l’esprit que parfois, des recherches absurdes peuvent contribuer à des grandes avancées (le physicien Andre Geim a par exemple remporté un Ig Nobel en 2000… et un véritable prix Nobel en 2010).
En septembre, la cuvée 2013 a décerné 10 prix : des chercheurs-es ont par exemple gagné un Prix de la Probabilité en démontrant que « plus une vache reste couchée, plus il est probable qu’elle se relève bientôt » (allons bon), d’autres ont raflé un Prix de Médecine Vétérinaire pour avoir expliqué que les vaches ayant un prénom donnaient plus de lait que les vaches anonymes (ça a l’air absurde, mais pas tant que ça : la recherche montre ainsi que les fermiers entretenant une relation avec leurs animaux et ne les considérant pas comme de simples « outils » obtiennent un gain considérable de lait)… Si vous souhaitez connaître le palmarès entier de l’Ig Nobel 2013, rendez-vous ici !
J’ai bu, donc je me kiffe ?
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que cette année, une équipe de chercheurs français a remporté un Prix de Psychologie pour une étude intitulée « La beauté est dans les yeux du buveur de bière : les gens qui pensent être saouls pensent aussi être attirants » (British Journa of Psychology, 2012)… qui démontrerait, en d’autres termes, que croire que l’on est ivre mène à croire que l’on est plus sexy. Mouais ?
Pour parvenir à cette conclusion et analyser les effets de la consommation d’alcool sur la perception de sa propre attractivité, L. Bègue, B. Bushman, O. Zerhouni, B. Subra et M. Ourabah ont élaboré une expérience en plusieurs étapes.
Dans un premier temps, les chercheurs se sont rendus dans un bar et sont allés à la rencontre de 19 client-e-s. Les participant-e-s remplissaient alors un test d’auto-perception et se soumettaient à l’éthylomètre, afin d’enregistrer leur taux d’alcoolémie.
Reprends donc une bière en l’honneur de ta beauté
Selon l’hypothèse des chercheurs, les personnes alcoolisées se sentiraient plus attirantes que les personnes sobres
– d’après leurs analyses, ce fut le cas pour les participant-e-s. Malgré tout, cette étape exploratoire ne permet pas d’aller plus loin dans les interprétations : il est encore possible que les personnes se pensant attirantes boivent plus dans les bars, que les personnes se pensant plus attirantes soient réellement plus attirantes, ou qu’un autre facteur entre en compte…
Elle ne permet pas non plus de déterminer si la simple croyance de l’ivresse a un impact quelconque sur la perception de l’attractivité.
Effet placebo ou vraie action de l’alcool ?
L’équipe de recherche lance alors une seconde étape – cette fois, ils souhaitent tester l’effet « pharmacologique » et l’effet « imaginaire » de l’alcool dans l’auto-évaluation de l’attractivité : suffit-il que l’on pense être saoul pour avoir une autre perception de soi ?
Ici, les scientifiques recrutent 94 hommes via une annonce de presse et contre rémunération. Les participants sont là sous un faux prétexte : ils pensent tester une nouvelle boisson énergisante avant sa commercialisation.
On donne à certains une boisson sans alcool, à d’autres une boisson alcoolisée. Dans chacun de ces deux groupes, on dit à la moitié des participants que la boisson est alcoolisée et à l’autre moitié qu’elle ne contient aucun alcool (et qu’elle en a juste le goût) — autrement dit, certains boivent de l’alcool sans le savoir, d’autres boivent une boisson neutre en pensant boire de l’alcool (c’est le bordel).
Ensuite, les chercheurs demandent aux participants d’inventer et de déclamer un court-message publicitaire devant une caméra, en expliquant que ce message pourra être utilisé dans les futures campagnes de la boisson énergisante.
Enfin, ils remplissent également un questionnaire sur la perception de soi (ils indiquent ainsi combien ils se trouvent attirants, brillants, originaux…). Dans cette seconde étape, Laurent Bègue et son équipe s’attendent à ce que la consommation d’alcool augmente la perception de l’attractivité… Mais à ce moment-là, ils ne savent pas si l’on peut attendre un effet similaire avec une simple croyance de consommation d’alcool.
En parallèle, afin d’évaluer l’attractivité des participants de façon relativement « objective » (relativement), on demande à d’autres personnes, qui font office de juges et qui ne connaissent ni le but de la recherche ni ces histoires d’alcool, d’évaluer l’attractivité des participants. Vous vous en doutez, les résultats de leurs évaluations ne sont pas le moins du monde liés à la consommation d’alcool des participants !
Ce qui est surprenant, en revanche, c’est que les participants qui pensent avoir bu de l’alcool expriment une perception de soi plus positive que lorsqu’ils croient ne pas en avoir consommé – sans véritable lien avec la quantité réellement bue. En réalité, ce ne serait donc pas l’alcool réellement absorbé qui aurait un impact… mais l’alcool que l’on imagine avoir absorbé, ce qui pourrait être un pur effet placebo !
En fin de compte, malgré son Ig Nobel, même si le nombre des participants est faible, même s’il ne se centre que sur la perception d’hommes, la recherche amorce une véritable réflexion : selon les mots de Laurent Bègue (pour Libération), « cela peut sembler anecdotique mais ça soulève en réalité de vraies questions de recherche. Tout le monde croit que l’alcool désinhibe, augmente l’assurance ». Et si ce n’était pas dû à un effet pharmacologique ?
Pour la petite histoire, Laurent Bègue s’est rendu à la cérémonie des Ig Nobel et a reçu son prix de bonne grâce – en poussant même une petite chansonnette !
Pour aller plus loin…
- Le site de la Recherche Improbable
- Un article de France TV Info sur les Ig Nobel
- La recherche de L. Bègue, B. Bushman, O. Zerhouni, B. Subra et M. Ourabah
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Les Commentaires
- je crois que la part psychologique est importante dans cette situation. Par exemple : je suis à une soirée ennuyante et peu animée où on ne trouve que des bières. Je bois donc des bières, sauf que trois ne suffisent pas pour être pompette. Vu que c'est une soirée ennuyante (pas d'ambiance et des gens pas intéressants), j'essaie de me convaincre que je suis pompette, et ça marche. Quand j'essaie de me convaincre que je suis sobre, ça marche aussi. Et quand je réessaye de me convaincre que je suis pompette, ça marche encore ! Tout ça pour dire que je pense qu'on peut avoir l'impression de ressentir les effets de l'alcool en s'en convainquant, même si ce n'est qu'à moitié vrai. Donc oui, on peut imaginer être bien pompette et agir comme telle (de manière naturelle, sans jouer la comédie :happy alors que c'est faux.
Bon mon raisonnement n'est pas très logique mais en conclusion, ça ne m'étonne pas vraiment de lire que la perception que les gens ont d'eux-mêmes a changée alors qu'ils n'ont pas bu. Peut-être que notre cerveau "enregistre" les réactions du corps à l'alcool et les "ressort" lorsqu'il pense qu'on boit (hypothèse très farfelue haha :rire.
- Comme quoi, on a vraiment l'impression que tout va mieux sous alcool, puisque même les gens qui n'ont pas bu mais croient l'avoir fait changent de comportement / attitude / perception.
Haha c'est pas très clair ce commentaire, désolée