Selon une enquête nationale « Cyberviolence et cyberharcèlement : état des lieux d’un phénomène répandu » de l’association Féministes contre le cyberharcèlement, plus de 4 français·e·s sur 10 ont déjà été victimes de cyberharcèlement. Même le gouvernement s’empare sérieusement du sujet depuis quelques années déjà, en mettant notamment en place des campagnes de sensibilisation ou encore des dispositifs de lutte, bien que ces derniers restent souvent à destination des collégiens et lycéens.
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Pourtant, la cyberviolence ne concerne pas uniquement les jeunes à l’école : des faits divers alarmants ne cessent de se multiplier dans la presse ces derniers mois, avec pour point commun de prendre pour cible des femmes. On pense particulièrement aux Airtags utilisés à des fins de stalking, ou encore aux caméras cachées dans les Airbnb, dont Madison a été victime au printemps dernier. Alors qu’elle séjournait dans un Airbnb près d’Annecy avec une amie pendant le week-end de l’ascension, Madison a en effet repéré une caméra cachée dans la salle de bain du logement, raconte-t-elle à Madmoizelle :
« Je m’en suis rendu compte dès le premier jour : j’ai vu un réveil posé en haut d’une pile de rouleaux de papier toilette. J’ai trouvé ça étrange, mais je suis vite passée à autre chose. Puis, le troisième jour, alors que j’étais en train de prendre ma douche, je me suis rendu compte que l’appareil était dirigé pile sur moi. J’ai regardé l’objet de plus près, puis j’ai découvert qu’il y avait à l’intérieur une carte mémoire et un objectif . Je n’avais plus aucun doute : on nous avait filmées nues à notre insu. »
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Quand cyberviolence et justice ne font pas (toujours) bon ménage
Suite à cette découverte, Madison et son amie ont immédiatement contacté Airbnb, puis sont allées porter plainte auprès de la gendarmerie la plus proche. Au commissariat, Madison rapporte avoir fait face à des policiers abasourdis. Pourtant, l’affaire n’a pas avancé depuis mai dernier :
« Le problème, c’est qu’avant d’être convoqué, le propriétaire du Airbnb a eu tout le loisir d’effacer les vidéos en sa possession, et donc de supprimer toute preuve. À l’heure actuelle, alors que l’histoire eu lieu il y a trois mois, il n’a toujours pas été entendu pour les faits qui lui sont reprochés, ni été placé en garde à vue. »
Pourtant, quand l’histoire de Madison a fait parler dans la presse, d’autres jeunes femmes ayant séjourné dans le même logement en février dernier l’ont contactée pour lui rapporter leurs expériences similaires. Mais, faute de preuve, leurs témoignages n’ont pas suffi à faire avancer les investigations. De son côté, Airbnb a pris les choses en main : l’auteur des faits est désormais banni de la plateforme.
Si l’affaire de Madison n’a pas progressé d’un point de vue juridique, la prise en charge par un psychologue légal traine également en longueur :
« J’attends toujours un rendez-vous pour qu’un professionnel puisse estimer le préjudice moral que j’ai subi. Cette démarche vient de moi : j’ai dû forcer les procédures pour pouvoir obtenir ce rendez-vous. De mon côté, j’ai entamé une thérapie à mes frais suite à cet événement traumatisant, lors duquel je me suis sentie violée. Pour la suite, je suis dans le flou total »
Alors, comment faire lorsque la justice ne suffit pas ? Aujourd’hui, des associations spécialisées tentent de prendre le relais pour épauler les victimes. C’est le cas notamment de Respect Zone, une ONG française fondée en 2014, spécialisée dans la lutte contre les cyber-violences. Elle réunit un groupe de juristes venant en aide bénévolement aux victimes, dont fait partie Eleonore Favero, avocate au barreau des Hauts-de-Seine, qui explique à Madmoizelle :
« Le procureur joue un grand rôle dans le déroulement d’une affaire car c’est lui qui va juger de la gravité d’une situation. Du coup, l’avancée d’un cas dépend beaucoup de ce dernier, ce qui engendre d’énormes disparités d’une affaire à l’autre. D’autant plus que la question des cyberviolences est très délicate, puisqu’il est souvent difficile d’apporter des preuves. Et en droit, il y a un principe juridique fondamental selon lequel ce qui ne peut pas être prouvé n’existe pas. »
Les femmes, premières victimes de cyberviolences, notamment dans le couple
Comme c’est le cas pour toutes les autres formes de violences, les cyberviolences touchent en grande majorité les plus vulnérables d’entre nous. Toujours selon l’enquête nationale « Cyberviolence et cyberharcèlement : état des lieux d’un phénomène répandu » de l’association Féministes contre le cyberharcèlement, les cyberviolences touchent plus précisément 48 % de personnes LGBTQIA+, 22 % de personnes en situation de handicap, ou encore 84 % des femmes. Pour le cas de ces dernières, on parle alors de cyberviolences sexistes, et on les retrouve quasi systématiquement dans les couples où les violences conjugales sont déjà présentes. On parle alors de cyberviolences conjugales, un phénomène aujourd’hui encore trop peu connu selon Léa Arguel, coordinatrice de l’Union Régionale Solidarité Femmes, qui accompagne des femmes victimes de violences conjugales. Elle décrypte ainsi pour Madmoizelle :
« Les cyberviolences conjugales sont très larges : elles vont du harcèlement par SMS à l’installation de logiciels espions dans le téléphone des victimes. Pour nous, les cyberviolences conjugales sont des violences à part entière, qui nécessitent une technique spécifique pour les repérer et pour stratégiser contre. »
Pour pouvoir repérer les cyberviolences conjugales, il s’agit avant tout d’avoir en tête les signaux alarmants. Le Centre Hubertine Auclert, qui lutte contre les discriminations et les inégalités fondées sur le genre, nous rappelle qu’une personne n’a pas le droit d’exiger de son/sa conjoint·e d’avoir accès à tous ses messages, de surveiller ses déplacements, d’exiger de pouvoir le/la joindre à tout moment, ou encore de savoir constamment où il/elle se trouve et avec qui, entre autres.
Si rares sont les personnes qui peuvent précisément définir ce qui relève des cyberviolences conjugales, cela ne veut pas pour autant dire que le phénomène est peu répandu. Bien au contraire : 9 femmes sur 10 victimes de violences conjugales vivent également des cyberviolences au sein de leur couple, rajoute l’experte Léa Arguel :
« Il existe une forte imbrication entre violences conjugales et cyberviolences. Les cyberviolences commencent souvent en même temps que les autres formes de violences conjugales. Les outils numériques sont en effet des outils supplémentaires pour permettre aux auteurs d’exercer davantage de violences. Le véritable problème, ce n’est pas le numérique, ce sont les agresseurs. Quoi qu’il se passe dans le monde, les auteurs trouveront toujours des stratégies pour continuer de faire subir ces violences »
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Pourquoi il est urgent de politiser les cyberviolences
Si internet n’est qu’un outil supplémentaire pour les auteurs de violences d’exercer leur domination, alors les violences qui s’exercent sur la toile ne seraient-elles que le reflet de ce qui se joue au sein de notre société ? C’est en tout cas le propos de Ketsia Mutombo et Laure Salmona, cofondatrices de Féministes contre le cyberharcèlement et autrices d’un ouvrage sorti le 14 septembre 2023 intitulé Politiser les cyberviolences. Selon elles, l’espace numérique est une toile de dominations au même titre que le reste de notre société :
« Dans cet ouvrage, nous avons voulu rassembler les conclusions que nous avons tirées pendant ces huit dernières années de luttes et d’engagements. Et en effet, nous avons pu observer que les cyberviolences ne sont pas de simples violences isolées. Internet est bel et bien le théâtre des oppressions que nous pouvons observer dans le monde tangible, et les cyberviolences sont un projet politique à part entière visant à perpétuer ces oppressions. »
D’ailleurs, comme nous l’avons déjà vu, les femmes ne sont pas les seules victimes de ces violences. Les personnes non blanches et les personnes LGBTQIA+ sont elles aussi surexposées à ces violences, conclut auprès de Madmoizelle Ketsia Motumbo, co-autrice du livre :
« Nous préférons parler de cyberviolences de genre pour aborder le sujet de manière intersectionnelle. Pour nous, il est important de politiser les cyberviolences de genre, et d’insister sur le fait que ce n’est qu’en changeant l’organisation de la société qu’elles pourront disparaître. Mais, au cours de ces huit dernières années, nous avons aussi pu dresser un constat très positif : Internet a été et est toujours un outil incroyable qui sert nos luttes. Il y a eu de véritables mouvements et des discussions de fond qui nous ont permis de progresser. Aujourd’hui, lorsqu’un homme publie un nude d’une femme pour se venger, c’est très mal vu, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. C’était très important pour nous de souligner nos avancées et d’inviter tout le monde à continuer dans cette voie. »
Si vous êtes victime de cyberviolences de genre, ces associations peuvent peut-être vous aider :
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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