Techniquement, être un aidant naturel, cékoidon ? Cela consiste simplement à aider dans sa vie quotidienne un conjoint ou un membre de sa famille atteint de handicap. De temps en temps, on voit à la télévision des adultes ou des gens âgés s’occupant de leur moitié ou d’un de leur parents, atteint d’Alzheimer ou de Parkinson. Ou alors, notamment au moment du Téléthon, des parents chargés d’un enfant atteint d’une maladie génétique.
Mais les cas comme le miens, on n’en voit pas dans les médias, ce qui explique que j’ouvre aujourd’hui ma grande bouche.
Aidant naturel : un job à temps plein
J’ai 32 ans, mon père 65 et je m’occupe de lui tous les jours, sauf environ une semaine par an, quand j’arrive à aller me cacher quelque part. Mon père n’a ni Alzheimer, ni Parkinson. Il souffre en vrac de séquelles de poliomyélite, d’apnée du sommeil, de problèmes intestinaux, de problèmes de peau, j’en passe et des meilleures. Certes, la polio, on se vaccine. Mais dans les années 60, ce n’était pas évident pour tout le monde, même quand on partait en vacances à l’étranger. D’où les conséquences.
Ma mère est décédée en 2005 d’un cancer, j’ai un frère marié et père d’une petite fille de six ans, donc il ne reste que moi pour m’occuper du paternel
. Voici en quoi ça consiste. Le matin, je le lève. Je lui fais sa toilette, je l’habille. Je m’occupe des repas, des courses, je l’aide à faire du rangement, je lui donne ce dont il a besoin. S’il veut faire pipi, je l’aide à se lever, il s’appuie contre la table de la salle à manger et fait sa petite affaire dans une sorte de pot prévu à cet effet qu’il faut ensuite vider et rincer. Le soir, je le déshabille, je l’aide à s’assoir sur les toilettes, je l’aide à se coucher et j’allume la télé. Avant de dormir, je lui mets son assistance respiratoire pour l’apnée du sommeil. Et le lendemain, on recommence.
Il arrive parfois que ce soit plus compliqué. Comme dit, mon père a des problèmes d’intestins. Donc entre les laxatifs et les problèmes de diarrhée, j’entends régulièrement parler caca quand je ne dois pas nettoyer les toilettes ou l’aider à y aller à quatre heures du matin (ce qui reste assez rare, soyons honnêtes).
Adieu ami-e-s, vacances, autonomie…
Avec tout ça, disons que je n’ai pas vraiment de vie. Il vaut mieux que je reste à la maison en cas de pépin. De fait, je ne travaille pas (j’ai fait un CDD en compta l’année dernière et gérer les deux était carrément épuisant), je vois rarement mes ami-e-s, je ne sors pas le soir, je n’ai aucune vie sentimentale et si je peux partir en vacances, c’est jamais plus de cinq jours de suite (c’est mon frère qui prend le relais à ce moment-là). Bien sûr, il existe des « aides » mais elles sont insuffisantes sur le plan financier. Nous aurions besoin de quelqu’un tout le temps et nous n’en avons pas les moyens. Par ailleurs, les aidants naturels ne bénéficient d’aucun soutien. Du moins pas dans mon cas. Pour les Alzheimer et les gamins polyhandicapés, ça existe. Pour les gens comme moi, qui aimeraient bien avoir une vie, un boulot, une maison, un chéri, ben… il n’y a rien.
Je pense ne pas être la seule, ma situation n’a rien de catastrophique mais parfois, c’est très pesant. Et vous savez quoi ? J’attends impatiemment mes prochaines vacances. Au printemps prochain. Alors va falloir tenir.
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Les Commentaires
C'est moi qui avais écrit cet article l'année dernière. Bon sang, j'avais suivi les commentaires sur le site, sur Facebook, et ça, plus mes copines qui ont partagé l'article en disant des tas de choses gentilles, je me suis positivement déshydratée à force de pleurer… un grand moment de "motion", comme on dit.
Je vous remercie toutes pour vos petits mots. Vraiment. Parce qu'en fait, c'est ce genre de réactions dont j'avais besoin à ce moment-là, et dont j'ai encore besoin à intervalles réguliers : que ce que je fais quotidiennement soit reconnu, même par des anonymes.
Concernant un éventuel changement de situation pour moi, c'est… compliqué. Il y a le tabou de la famille et du médecin. Le médecin, il n'en parle jamais, ou il dit qu'il va parler à mon père quand je viens le voir pour faire renouveler mes cachets qui font rire et il oublie systématiquement de le faire. Dans ma famille — j'entends par là mes oncles et tantes — personne n'ose dire à mon père qu'il faut décharger pauvre Lise-Bête, qu'elle trouve du travail et surtout qu'elle se case (à quelques rares exceptions près, sont tous obsédés par ça). Quant à mon père lui-même… il fond un plomb dès que j'évoque le sujet et me fait une belle crise emo, ce que je trouve encore plus insupportable que tout le reste.
Mais bon, sorti de ça, du ras-le-bol, etc., je tiens, faut pas croire…
Aux Madz qui ont demandé pour ma retraite : mes petits boulots m'en assurent un peu… et j'ai eu la chance, à chaque fois, d'avoir eu un salaire assez chouette (la dernière fois, près de 1500 euros juste pour rester le popotin derrière un bureau à faire de la paperasserie). Sinon, si je dois bosser jusqu'à soixante-dix ans, b'in on verra… et aussi, j'ai un héritage. Quinze mille euros de ma grand-mère. Techniquement, ce sont les sous de ma défunte mère mais mon père dit qu'ils seront pour moi. Il suffit juste de prendre les jours comme ils viennent… et de regarder le ciel.
Vous remercie encore beaucoup et encore plus *essuie petite larme*