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Société

« J’ai besoin d’en parler, mais comment et à qui ? » — Delphine, 6 ans

Les agressions sexuelles entre enfants ne font que des victimes. Delphine s’est souvenue avoir attouché d’autres filles, étant petite. Et la culpabilité la ronge.

Agressions sexuelles entre enfants : notre dossier

En juillet 2017, nous publiions sur madmoiZelle un témoignage qui allait ouvrir une brèche : Le jour où l’un de mes élèves de maternelle a agressé sexuellement sa camarade.

Les commentaires de cet article semblaient indiquer que ce genre d’agressions est bien plus répandu que ce que l’on pouvait imaginer, et c’est pourquoi nous avons lancé un appel à témoignages.

Nous en avons reçu 70 et avons donc décidé de nous lancer dans l’édition d’un dossier complet sur la question.

L’intégralité de la démarche ainsi que le sommaire se trouvent dans Les agressions sexuelles entre enfants : notre dossier en 7 parties.

En cas d’attouchements sexuels, il y a une ou des victimes, des personnes qui subissent ces attouchements. Parmi les très nombreux témoignages reçus sur ce dossier, beaucoup parlaient de cela.

Cependant, pour que quelqu’un subisse, il faut aussi quelqu’un qui agisse.

J’ai reçu beaucoup moins de témoignages de cet autre côté de l’histoire; mais les autres récits permettent déjà de constater que les profils sont « variés » : certains ont clairement un profil d’agresseur, et mettent d’ailleurs en place une « stratégie de l’agresseur ».

Mais ce n’est pas le cas de tous les témoignages reçus. Certain·es semblent parfois agir par curiosité, ignorance.

C’est le cas de Delphine*, qui à 19 ans, a décidé de m’écrire pour me raconter son expérience d’enfant.

Toucher pour comprendre ?

Elle m’explique avoir agi comme cela par curiosité :

« Pendant mon enfance, j’ai cherché à comprendre ma sexualité, ou plutôt mon sexe.

J’ai traversé cette période comme beaucoup d’autres enfants qui se découvrent en se tripotant, en se frottant à un coussin. Mais à cet âge-là, on ne sait pas comment ça s’appelle, ce que c’est, pourquoi on veut faire certaines choses. »

Entre ses 6 et 10 ans, Delphine a « touché » trois personnes de son entourage, dans diverses circonstances.

« Il y a d’abord eu ma meilleure amie, il me semble à l’âge de 6/7 ans. C’était un jour, où on était chez elle pour jouer. On s’était posées faire une sieste, mais j’ai essayé de la toucher durant cette sieste.

Elle n’a pas réagi ou ouvert les yeux, c’est en tout cas ce que je pense. Je lui ai touché le sexe… et je lui ai ensuite, après un peu d’hésitation, enlevé sa culotte, puis je l’ai mise ou cachée un peu plus loin.

Après, quand elle s’est « réveillée » (entre guillemets car je ne sais pas vraiment), elle se demandait où elle était, ce qu’elle avait fait de sa culotte, mais je trouvais ça bizarre qu’elle ne se soit pas rappelée, souvenue, ou qu’elle n’ait pas été réveillée avant quand je la lui ai enlevée.

Elle ne criait pas ou n’avait pas peur quand elle s’est demandée où était passé sa culotte, d’après mes souvenirs. »

Certains de ces souvenirs sont plus ou moins précis. Delphine raconte avoir également touché une cousine au cours d’une sieste, mais il lui semble qu’elles se sont parlé à ce moment-là.

Elle détaille enfin une troisième anecdote, lorsqu’elle était chez sa nounou :

« Je devais être en CM2, et elle en maternelle ou début primaire. Je lui avais appris à passer sa main entre mes cuisses quand j’étais assise et à frotter mon sexe, mais je lui avais précisé que ce n’était qu’entre nous. »

La culpabilité de Delphine

Avec le recul, Delphine déplore son comportement de l’époque :

« Je ne sais pas pourquoi je faisais ça et je regrette beaucoup aujourd’hui, je me demande parfois si elle s’en souvient et si je l’ai traumatisée… »

Elle explique avoir beaucoup de remords, mais ne pas savoir comment agir aujourd’hui par rapport à sa meilleure amie, à sa cousine (elle n’a plus revu la petite fille qui a déménagé 2 ans après les faits).

« J’ai besoin d’en parler, mais comment parler de ça et à qui ? Je ne vais pas reparler de ça à ma meilleure amie de primaire ou à ma cousine après tant d’années. »

Faut-il en parler aux victimes, des années après ?

J’ai donc posé la question à différentes expertes en la matière. Christine Barois, pédopsychiatre, considère que briser le silence peut être bénéfique :

« On peut réparer, c’est d’abord aller s’excuser. Je pense qu’il y a une manière de faire, c’est au cas par cas… »

Laure Salmona, coordinatrice de l’enquête « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte

 » pour l’association Mémoire Traumatique, complète :

« Il y a une vraie difficulté à parler et à dire « je sais que je t’ai fait ça, je n’aurais jamais dû le faire ».

On a l’impression que ça va raviver quelque chose que l’autre a oublié. Mais en fait, avec la mémoire traumatique, la souffrance se ranime souvent toute seule.

Donc si c’est sincère – si ce n’est pas une stratégie d’agresseur pour manipuler – ça peut faire beaucoup de bien à la victime.

Souvent d’ailleurs, ce sont des agressions où il n’y avait pas l’intentionnalité de nuire et où ça a moins détruit la victime. »

Quel rôle pour l’éducation sexuelle ?

Dans son témoignage, Delphine regrette de ne pas avoir bénéficié d’une meilleure éducation sexuelle.

« En fait, je me demande ce qu’est vraiment un cours d’éducation sexuelle, pourquoi je n’en ai pas eu.

Je me rappelle d’un forum où il y a avait trois ateliers, mais c’était uniquement le temps d’un après-midi, j’en ai eu plusieurs étalés sur mes années de 4ème et 3ème ».

Cela n’a rien d’étonnant selon le baromètre mené auprès d’un échantillon représentatif de 3000 établissements scolaires (publics/privés) au cours de l’année scolaire 2014/2015 par le Haut Conseil à l’Égalité :

« Lorsque des séances ou actions d’éducation à la sexualité sont menées, cela ne concerne pas toutes les classes du CP à la Terminale, mais en priorité des classes de CM1 et de CM2 pour l’école, des classes de 4ème et 3ème pour le collège, et des classes de 2nde pour le lycée. »

Sachant que selon ce même baromètre, 25% des écoles sondées assument n’avoir mis en place aucune action relative à l’éducation sexuelle, malgré la loi qui devrait les y obliger, il n’est pas surprenant que Delphine n’ait pas bénéficié de ces actions.

« Je regarde des vidéos sur les différentes manière dont cela est enseigné aux enfants à travers l’Europe, et comment dans les pays scandinaves l’éducation sexuelle y est bien meilleur. J’aurai tellement voulu avoir une meilleure éducation sexuelle. »

Comment prendre en charge les enfants « agresseurs » ?

Une éducation sexuelle adaptée à chaque âge pourrait pourtant permettre de repérer de potentielles victimes ou « agresseurs ». Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, l’a d’ailleurs souvent constaté :

« Quand tu fais de la prévention, les enfants parlent. Quand je faisais de la prévention on faisait un signalement par classe ! »

Laure Salmona complète ces propos en apportant son éclairage sur les jeunes agresseurs ou agresseuses :

« Il faut les prendre en charge jeunes. Souvent, ce sont d’anciennes victimes qui font disjoncter leur mémoire traumatique et reproduisent ce qu’ils ont subi, mais on peut les soigner à ce moment-là.

En revanche, si on attend trop, c’est très difficile, la prise en charge des agresseurs adultes c’est beaucoup plus compliqué. »

Lorsque je demande à Emmanuelle Piet pourquoi, selon elle, la prévention n’est pas davantage développée, elle répond immédiatement :

« Quand les enfants parlent, il faut les protéger et ça coûte cher ! »

Un peu surprise que cela puisse être à la fois aussi simple et aussi cynique, j’insiste pour être sûre d’avoir bien compris :

« Bien sûr. Au fond c’est ça, faire un signalement par classe ça coûte cher !

Après, pourquoi est-ce que les écoles ne le font pas précisément, d’abord ce n’est pas vraiment au programme de leur point de vue, et s’ils ne se sentent pas à l’aise avec ça c’est d’autant plus compliqué, ils ont l’idée que ça va faire naître des problèmes… »

Un problème extrêmement grave qui dispose pourtant d’une solution relativement simple

L’origine de ces problèmes d’agressions sexuelles dans l’enfance (ou en tout cas, d’une partie d’entre eux) serait donc une question de budget d’une part, et de « tabou » de l’autre ?

Plus j’avance dans cette série d’articles, et plus je trouve incompréhensible que l’on se trouve face à un problème aussi grave, alors même qu’il dispose d’une solution au moins en partie « aussi simple ».

Ce témoignage est extrait des plus de 70 textes que nous avions reçus, après avoir lancé un appel à témoins, le 26 juillet 2017.

*Les prénoms ont été modifiés

Pour aller plus loin:

Agressions sexuelles dans l’enfance — Témoignages


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