« Il y a eu Lise, attouchée par son grand-père à 11 ans.
Il y a eu Sophie, agressée par son ex-petit ami soûl.
Il y a eu Aude, agressée par son conjoint.
Il y a eu Aïcha, violée par son père durant toute son adolescence.
Et il y a eu moi. »
C’est par ces mots que commence le poignant témoignage de Zoé de Soyres, 16 ans, délivré sur scène devant 3000 personnes lors du concours de plaidoiries des lycées de Caen.
Zoé de Soyres, 16 ans, parle de l’agression sexuelle qu’elle a subie
La voix parfois un peu tremblante, mais claire et portant loin, Zoé se tient campée fermement face à l’auditoire, et raconte l’agression sexuelle qu’elle a subie.
Il y a plusieurs mois, une fête — de l’alcool, de la drogue circulaient. Zoé y était.
« Un de mes amis m’a emmenée loin des consciences, des lumières chaudes, des éclats de rire. Je l’ai vu se transformer en prédateur sexuel.
De personne, je suis devenue chose. Le monde s’est réduit à lui, l’agresseur ; aux quatre murs de la pièce qui faisaient de moi la victime de gestes non consentis, et de coups lorsque j’ai résisté. »
Zoé était vierge lorsqu’elle a été agressée.
« Penser qu’il fut le premier me dégoûte, autant de lui que de moi. »
La jeune femme parle de la difficulté de soigner son esprit, un processus bien plus long que celui qui a permis de guérir les blessures physiques que l’agresseur lui a infligées.
« La honte, la dépression, l’anorexie m’ont anéantie, et tout cela est resté scellé dans une carapace de silence. […] Chaque nuit, le cauchemar me guette. »
Les chiffres du viol en France, une réalité terrifiante
Zoé sait qu’elle n’est pas une anomalie statistique, un cas particulier. C’est ce qui donne à son témoignage un poids encore plus lourd.
« En France, 20% des femmes ont été ou seront victimes de violences sexuelles. Soit, dans cette assemblée, 150 d’entre vous, mesdames.
150 de trop. »
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L’adolescente a rappelé, en début de plaidoiries, les idées reçues sur le viol. Ce crime qui n’arrive qu’aux « filles vulgaires », qui fait l’objet d’exagérations.
Mais #BalanceTonPorc et #MeToo (#MoiAussi), qu’elle cite, sont des mouvements qui ont contribué à lutter contre ces idées fausses.
Il n’y a pas de « victime-type » de viol. Par contre, il y a trop, bien trop de victimes.
Il n’y a pas non plus d’« agresseur-type ». Zoé n’a pas peur des chiffres :
« Dans 75% des cas, l’agresseur est un proche voire un membre de sa famille. Alors comment trouver la force de porter plainte ? Contre son grand-père, son meilleur ami ? »
La loi du silence qui étouffe les victimes de viol
Le viol, en France comme ailleurs, fait rarement l’objet de plaintes, et encore plus rarement de condamnations. Zoé cite des chiffres qui restent effarants :
« 11% des victimes portent plainte. […]
Parmi ces femmes, 30% se sont senties reconnues comme victimes. […]
Les procédures durent en moyenne 6 ans, comment tourner la page ? […]
2% des victimes verront leur agresseur condamné. »
Diverses raisons expliquent ce silence des victimes.
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Premièrement il y a, comme l’exprime très bien Zoé, le fait que « la honte, le déni de soi sont destructeurs, l’emportent sur la raison ». C’est une chose de scander « la honte doit changer de camp », une autre d’avoir la force d’agir.
Ensuite, il y a l’entourage qui peut retenir la victime, exiger son silence.
Et même en cas de plainte, il faut tomber dans le bon commissariat, la bonne gendarmerie. Là où on verra sa parole écoutée, respectée.
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Comment faire changer les mentalités concernant le viol ?
« La société autorise, tacitement, la prédation sexuelle. »
C’est la conclusion de Zoé au vu du nombre de condamnations extrêmement faible. Mais l’adolescente n’est pas vaincue d’avance. Elle appelle, dans la seconde partie de sa plaidoirie, à un changement des mentalités via des actions concrètes.
Il faut voir la réalité du viol en face, assène-t-elle.
« Les violences sexuelles ne sont pas des contes visant à effrayer les jeunes filles, ce sont des histoires qu’il faut avoir le courage de raconter. »
Pour cela, Zoé appelle à une action gouvernementale de grande ampleur, un plan d’urgence pour mettre fin aux violences sexuelles.
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Elle réclame une meilleure prise en charge des victimes, la formation de tou·tes les professionnel·les en contact avec ces dernières, des campagnes de sensibilisation en entreprise, le renforcement des cours d’éducation sexuelle au collège/lycée…
De l’importance de prendre la parole au sujet des agressions sexuelles
« Parler, c’est agir, parce qu’encore aujourd’hui, les violences sexuelles demeurent tabou. »
Je ne peux que m’incliner devant le courage de Zoé. Il en faut, des tripes, pour monter sur scène devant une telle assemblée et parler de l’agression sexuelle dont on a été victime.
À 16 ans, je n’avais pas la moitié des connaissances de cette jeune femme concernant des problématiques sociétales aussi complexes que la culture du viol.
Alors son témoignage, bien que poignant, me donne confiance en l’avenir. Je me dis que pour une Zoé qui s’exprime, beaucoup œuvrent dans l’ombre pour faire qu’un jour, sa plaidoirie ne soit que le reflet d’une époque disparue.
J’ai envie d’envoyer une tonne de soutien à Zoé, et de lui souhaiter un avenir radieux. Je terminerai par quelques mots, qui sont les siens :
« Si je peux me reconstruire aujourd’hui, c’est grâce à la parole. Faire le choix de ne plus se taire, c’est faire le choix de la vie. »
Entretien avec Zoé, 16 ans, auteure d’une bouleversante plaidoirie sur les violences sexuelles
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Les Commentaires
C'est important que la parole se libère aussi, de l'encourager mais ça ne doit pas devenir une injonction non plus. C'est le point central de mon précèdent message, ce qui ne m'empêche pas d'admirer le courage de Zoé et de comprendre et encourager sa démarche. Je pense simplement qu'en faire un "devoir" est une très mauvaise idée. Ça ne pourra qu'engendrer plus de culpabilité et de souffrance pour celleux qui ne s'en sentent pas capable alors qu'iels ont besoin de plus de bienveillance et d'empathie.