– Article initialement publié le 26 juillet
Agressée à cause de son bikini, titre le site L’Union, qui rapporte le déroulement du fait divers qui s’est produit au parc Léo Lagrange, mercredi 22 juillet, dans l’après-midi. Une Rémoise de 21 ans bronzait en maillot de bain avec ses amies, lorsqu’elle est prise à partie par un groupe de cinq filles, qui lui reprochent l’indécence de cette tenue.
N’étant pas disposée à se laisser dicter « la décence » en matière vestimentaire, la jeune femme répond sèchement, et l’altercation escalade en échange de coups. La victime a dû être transportée au CHU de Reims. Toujours selon L’Union, elle s’en sort avec 4 jours d’ITT. (Incapacité Temporaire de Travail).
Je dis « selon L’Union », car l’une des filles présentes a publié un message sur Facebook qui met en doute la version du journal. Je l’ai contactée par message privé pour lui proposer de me donner sa version des faits. Mais au fond, les circonstances précises de cette altercation importent peu.
Comme souvent avec les faits divers, c’est leur écho médiatique et politique qu’il est intéressant d’étudier. Et dans ce cas, j’ai trouvé une expression qui résume parfaitement l’analyse de la situation : la paille, la poutre, l’hôpital et la charité.
Le spectre de l’Islam, cette nouvelle menace fantôme…
L’Union rapporte les faits en évoquant « un discours aux relents de police religieuse », ce qui a suffi à faire un amalgame sur l’Islam, bien qu’on n’ait pas du tout parlé de la religion des jeunes femmes, ni de la victime, de ses amies, ni des agresseuses. Et pourtant, les réseaux sociaux dégueulent de tweets et de messages à caractère raciste et profondément ignorants, accusant l’Islam d’imposer en France des moeurs rigoureuses, contraires à notre culture.
Si seulement « vivre à la Française ! » voulait dire que je peux me balader en maillot de bain dans un parc public sans être agressée pour ça… Si seulement !
Pour commencer, le maire de Reims et la directrice départementale de la sécurité ont rapidement démenti tout motif religieux dans cette agression.
SOS Racisme a appelé à un rassemblement dans le parc Léo Lagrange dimanche après midi, en maillot de bain, pour « dire NON aux morales liberticides », et à poster les photos sur les réseaux sociaux sous le hashtag #JePorteMonMaillotAuParcLeo.
Coup de théâtre, en pleine manifestation républicaine, L’Union fait marche arrière, et publie ce rectificatif, citant le parquet de Reims : « ni la victime ni les auteures des coups n’ont fait état, lors des auditions, d’un mobile religieux ou d’un mobile moral qui aurait déclenché l’altercation ». Tout serait parti de l’invective de l’une des filles :
« Allez vous rhabiller, c’est pas l’été ! »
Allons bon. Rentrez chez vous, rangez vos maillots, tout va bien sous le soleil laïc et républicain !
…Non.
Attention à la poutre !
À lire les réactions de tous les braves gens, hommes et femmes confondues, qui défendent si ardemment la liberté de porter un maillot de bain dans un parc public, j’en aurais presque la larme à l’oeil.
C’est génial de vous voir tous aussi mobilisés pour la défense des droits des femmes, vraiment ! Ah non, pardon, vous c’est plutôt « la lutte contre l’islamisation de la société ». Celles et ceux qui montent au créneau « contre le voile » et contre « les jupes trop longues », on ne vous entend pas trop gueuler pour la liberté de porter « des jupes trop courtes ».
J’ai un scoop pour tous les auto-proclamés combattants des « morales liberticides » : attention à la poutre qui déforme votre jugement. Sachez que la France n’a pas attendu l’Islam pour découvrir les injonctions religieuses moralisatrices liberticides, on en a PLEIN dans notre belle culture de « tradition catholique », et en plus, c’est exactement les mêmes que dans l’Islam !
Sauf que chez nous, on ne dit pas que le corps de la femme est « impur », on dit qu’il est vulgaire. Dans la religion catholique, la femme est à l’origine de tous les maux de la Création (bah si, souvenez-vous de cette connasse d’Ève qui amène la tentation et fait chasser l’Homme du Paradis.)
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Les religieuses se couvrent aussi la tête, parce que c’est un signe d’humilité (exactement comme dans l’Islam). Parce que le corps de la femme n’est pas neutre, jamais ! On est des tentations sur pattes, tout le temps !
« Il faut prier pour elle, mais il faut aussi qu’elle dégage du lycée », cette salope qui couche avec tout le monde, qui le revendique, et qui s’habille comme une traînée !
Vous trouverez sans doute que j’exagère, « mais ça n’a rien à voir ! », et puis quand bien même j’aurais raison, nous, on est sorti de tout ça, alors que les Musulmans, ils en sont encore au Moyen Âge par rapport à nous ! Non ?
Non.
Regardez le harcèlement de rue, et comprenez que ce phénomène découle directement de ce présupposé que les femmes ne sont pas des individus libres à part entière. Que si elles s’habillent comme elles s’habillent, c’est pour attirer l’attention, pas pour elles-mêmes.
Ceci est un vrai commentaire, laissé par une vraie personne, vivant en France, en 2014, suite au récit de l’agression de Jack Parker dans le métro parisien.
J’ai dû récemment prendre la plume pour expliquer posément à un jeune homme la différence entre séduire et harceler. Son point de vue est très largement répandu dans la société (et peut-être que vous tomberez d’accord avec lui sur de nombreux points).
C’est quoi le rapport avec le maillot de bain ? J’y viens.
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L’hôpital de l’outrance, et la charité de la décence
Vous êtes choqués que des jeunes filles aient le cran de venir en interpeller une autre sur la décence de sa tenue ? Mais vous savez que je ne mets plus de robes ni de jupes ni de décolletés parce que je suis fatiguée, épuisée de subir ça sans arrêt ? Que des inconnus dans les transports, aux hôtesses d’accueil, des serveurs de cafés aux secrétaires médicales, de ma mère, ma grand-mère à mes frères, j’en ai marre que tous ces gens se sentent légitimes à juger de la décence de ma tenue ?
Oui, je vous parle de décence, de la longueur de la jupe, de la profondeur du décolleté. Et en plus, ce système de valeur n’a aucune logique. On m’a déjà reproché de « ne pas me mettre suffisamment en valeur » dans un cadre professionnel (j’étais auditrice, pas strip-teaseuse), comme on m’a déjà reproché d’être « pas très couverte là, tu crois pas ? » à une fête de camping (par 38°C).
Dites-moi, c’est laquelle, la longueur décente, sur cette photo ?
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Vous êtes où, les combattants contre « les morales liberticides » chaque fois qu’une fille se fait traiter de salope ou de pute, chaque fois que votre mère dit à votre soeur que « c’est un peu court ça, nan ? », que votre père lui dit « tu ne sortiras pas comme ça, c’est tout » ?
Est-ce que vous faites partie de ces mecs qui giffleraient leur meilleur pote s’il parlait de votre soeur comme vous parlez des filles en général ? Est-ce que vous faites partie des filles qui jugent le physique et la tenue de celles qui passent dans la rue devant votre terrasse, qui jugez les moeurs de vos collègues ou de vos camarades de classes, sur la base de leurs goûts vestimentaires ?
Globalement, est-ce que vous faites partie de ces gens qui jugent très régulièrement et assez sévèrement la décence de la tenue vestimentaire des gens ? Le paragraphe qui suit s’adresse à vous.
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Au bal des hypocrites, les pudibonds sont rois
On n’a pas attendu l’Islam en France pour voir débarquer des « morales liberticides ». Elles sont déjà là, si profondément ancrées dans notre culture que vous, hommes et femmes confondues, vous trouvez ça normal.
SOS Racisme, êtes-vous sérieux ? Ah oui, la belle morale des années 50, PAS DU TOUT liberticide envers les femmes, qui étaient totalement libres de faire ce qu’elles voulaient de leur corps, totalement libres de se mettre en bikini d’ailleurs, comme le montre bien cette photo… !
Si ça vous choque enfin, quelque part, c’est une bonne nouvelle.
Tâchez de garder cette indignation à l’esprit la prochaine fois que vous serez tentés de juger une personne, homme ou femme confondues, sur la base de sa tenue. Que vous trouviez ça trop long, trop court, trop couvrant, pas assez couvert, trop vulgaire, abstenez-vous de commenter, et souvenez-vous : ce n’est pas à vous, ce n’est jamais à vous de juger de la décence d’une tenue vestimentaire.
C’est juste une tenue. Ce ne sont que des vêtements, une insuffisance ou une absence de vêtements, c’est tout. Ça vous plait pas ? Ça vous surprend, vous interpelle ? C’est VOTRE problème. Vous ne serez jamais en droit d’aller voir une personne avachie dans un parc public pour lui dire que sa tenue vous incommode.
Et si vous voulez vraiment lutter contre « les morales liberticides », rejoignez le féminisme, on a besoin de vous, le combat pour l’égalité ne se fera pas sans vous.
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Pour que plus aucun fait divers d’agression sexuelle n’inclut le descriptif de la tenue de la victime, pour qu’on ne soupçonne plus jamais un vêtement d’être une incitation à quoi que ce soit. Pour que les hommes puissent porter la jupe sans être moqués, voire bien pire, passés à tabac, juste pour ça.
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Pour qu’une femme torse nu ne surprenne pas davantage que de voir un homme torse nu, parce qu’il n’y a, au fond, aucune raison pour que l’un soit normal, et l’autre indécent. Attention, si vous êtes en train de penser « mais non, c’est pas la même chose, les femmes ont des seins, pas les hommes ! », je vous rappelle que c’est une autre « morale liberticide » qui décide au départ que les seins des femmes sont d’abord des attributs sexuels avant d’être quoi que ce soit d’autre.
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Dans un récent épisode de Last Week Tonight, John Oliver s’attaquait au problème de la violence misogyne sur Internet, ce lieu où des milliers, parfois des millions d’Internautes anonymes se sentent légitimes à insulter les femmes, les menacer de viol ou de mort, simplement parce qu’elles montrent trop de peau, parce qu’elles parlent de sexe ou de sexualité, simplement parce que ce sont des femmes et qu’elles ont l’outrecuidance de s’exprimer. 2015, mesdames et messieurs.
À propos, vous savez qu’une Femen a été condamnée pour exhibition sexuelle ? On ne va pas pouvoir continuer bien longtemps à se mettre en maillot contre « les morales liberticides », et asséner de l’autre côté que franchement, militer seins nus, c’est faire le jeu du patriarcat et ça sert pas la cause, sincèrement, c’est juste vulgaire. Il y a comme une contradiction dans ces beaux principes « laïcs et républicains »… Et cette contradiction, c’est l’instrumentalisation de la morale au profit du racisme et de l’intolérance.
Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec tout le monde, vous n’êtes pas obligés d’apprécier tous les gens, tout le temps (ce serait extrêmement fatigant). Mais rien ne vous autorise à juger les gens sur la base de leur apparence, de leurs vêtements, ou de ce qu’ils et elles veulent faire de leur corps.
Gardez vos commentaires et vos jugements pour vous !
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Je suis ravie que cette agression ait suscité une condamnation aussi vive et unanime de l’insupportable pudibonderie et des morales archaïques qui font un grand retour en force, à l’heure où le féminisme a permis de libérer bien des femmes, et bien des corps.
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Mais gardez cette indignation à l’esprit, la prochaine fois qu’une fille sera agressée dans le métro par un bon blanc quadra hétéro en costard, la prochaine fois qu’une voix s’élèvera pour condamner « la vulgarité » de telle ou telle popstar, bref, la prochaine fois que « les morales liberticides » prendront la forme d’un père-la-rigueur habillé de respectabilité, et non plus le grand méchant spectre de l’Islamisation… Sur ce sujet, allez lire cet excellent article de Slate, qui dénonce l’instrumentalisation du féminisme par l’extrême droite en France, qui n’a d’ailleurs aucune leçon à donner en la matière.
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La France est une République laïque, je vous assure qu’il y a consensus sur ce point. En revanche, la France est aussi une société patriarcale aux relents misogynes, et sur ce front, je me sens parfois un peu seule.
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Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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