Depuis un peu plus d’un mois, j’ai 24 ans. Depuis deux ans et demi, j’ai un CDI. Depuis trois ans et demi, j’ai un emploi. Dans quelques semaines, j’aurai une mutuelle. Depuis six ans, je vis seule, je fais mes courses et mon ménage, je range mes fiches de paie dans ma pochette « papiers importants », entre mes quittances de loyer et mes RIB. Depuis, allez, disons quatre ans, je pense qu’on peut le dire : je suis adulte.
Depuis quelques mois, je traverse des trucs que je connaissais pas. Je lutte contre des phases de déprime qui n’ont apparemment aucune cause concrète (je les mettais sur le dos de mon dernier chagrin d’amour mais il commence à dater). J’ai des bouffées de stress, de panique face à la montagne de responsabilités qui m’attend, menaçante comme un sac de nœuds prêt à m’engloutir. J’ai parfois envie de ne voir personne, ce qui est habituel pour l’introvertie que je suis, mais au bout d’une heure seule je commence à étouffer et à fouiller mes contacts pour trouver quelqu’un de disponible.
Paraît que c’est normal. Paraît que c’est aussi ça être adulte. Mais alors pourquoi personne ne m’avait prévenue ?
Tu ne sais pas être adulte (mais tu connais le théorème de Pythagore)
Plein de cours manquent au programme de l’Éducation Nationale.
Plus ça va, et plus je me dis que plein de cours manquent au programme de l’Éducation Nationale. Pourquoi ne m’a-t-on jamais appris à classer des papiers ? Pourquoi ne m’a-t-on jamais dit combien de temps il faut garder ses fiches de paie, quand il est possible de jeter ses quittances de loyer, ce que les propriétaires et agences ont le droit ou non de demander aux futur•e•s locataires ? Pourquoi n’ai-je pas reçu quelques cours de « survie en milieu adulte » basiques — comment faire ses courses efficacement, comment se nourrir pour quelques euros, comment déboucher une canalisation ?
Alors heureusement, j’ai des parents qui ont le temps et l’envie, qui m’ont appris à cuisiner, à lire les petites lignes en bas des contrats, qui m’aident à déménager et me guident quand je dois changer une lampe halogène. Et pourtant je galère quand même. Mais quid des gens plus isolés, qui ont moins de liens familiaux, d’adultes « accompli•e•s » dans leur entourage ? Qui n’ont pas forcément un accès permanent à Internet pour, comme moi, chercher un mardi à 22h « utiliser ouvre-boîte » sur Google ?
« Maman c’est normal si ma soupe fait ça ? »
J’aimerais bien ajouter un module à l’année de première ou de terminale, un truc pas trop lourd vu qu’il y a déjà le bac, et pas noté. Une ou deux heures par semaine qui seraient dédiées à la vie d’adulte, avec un programme varié (pas besoin de passer 16 cours à parler fiches de paie) et desquelles on ressortirait muni•e•s de fiches résumant les points essentiels de cet enseignement, à dégainer deux ans plus tard quand on s’arrachera les cheveux devant notre premier contrat de location…
Tu improvises en permanence (comme tout le monde)
Je vous en parlais récemment : ma devise de jeune adulte et d’ancienne grosse timide, c’est « fake it ’til you make it », soit « fais semblant jusqu’à ce que ça devienne une réalité ».
Devenir adulte, ça implique pas mal d’improvisation. Déjà parce qu’il y a plein de choses qu’on a jamais apprises (cf. le point précédent). Ensuite parce qu’on a pas forcément dans son entourage des gens compétents pour nous aider, même si l’Internet aide à trouver des réponses à plein de questions. Et enfin parce qu’à force de se laisser limiter par ce qu’on ne connaît pas, on rate plein de choses.
Quand il s’agit de trucs importants d’adulte, on a moyen envie de se planter !
Au début, ça me pétrifiait. L’impro ça n’a jamais trop été mon truc, au contraire (bon maintenant ça l’est : à force de procrastiner je fais des podcasts à la zbeul et des chroniques pas du tout préparées) (bisou patron)… et quand on ne sait pas vraiment ce qu’on fait, facile de se tromper. Sauf que quand il s’agit de trucs importants d’adulte, on a moyen envie de se planter ! Et puis les trucs pas importants, aussi, ça compte : mon premier week-end seule chez moi, je l’ai passé à me demander ce que faisaient les adultes seul•e•s à la maison. Parce qu’en 48h, on a le temps de s’ennuyer.
Cette histoire d’improvisation, donc, ça me stressait à mort (c’est mon côté Hermione). Jusqu’à ce que je me rende compte que tout le monde est dans le même panier. Que tout le monde a déjà ruiné un pull en le lavant à la mauvaise température, confondu degrés Fahrenheit et Celsius dans une recette (la faute à Pinterest), accepté un truc gratuit sans lire les petites lignes indiquant que ça deviendra payant deux jours plus tard et mis un bas de bikini en guise de culotte par flemme de faire une lessive.
Même les adultes accompli•e•s, qui sont propriétaires, se lèvent à 8h30 même le dimanche et lavent leur salle de bain au vinaigre blanc, continuent à improviser. Ils et elles continuent à être confronté•e•s à de nouvelles choses qu’aucun•e prof ne leur a présentées en un PowerPoint éducatif plein d’animations funky (non). Ça peut carrément avoir un côté amusant, cette découverte permanente, surtout quand on peut improviser à plusieurs (et partager le seum quand on se plante) !
Parfois t’iras pas bien (mais c’est pas grave)
Depuis mes vingt ans environ, je suis d’une nature plutôt joyeuse et optimiste. J’essaie toujours de ne pas laisser les émotions négatives prendre une ampleur démesurée, sans pour autant les étouffer systématiquement ; je tente d’être la meilleure personne possible pour moi et mon entourage ; j’ai consciemment décidé de ne pas être aigrie, amère ou jalouse. Oui, je suis au courant que la vie c’est pas le monde des Bisounours, mais mon but est d’être aussi agréable à fréquenter et aussi sereine qu’un panda roux joueur.
Sauf que depuis quelques mois je me tape des coups de déprime aussi puissants qu’inexpliqués, des ascenseurs émotionnels imprévisibles et des bouffées de stress quand je pense au reste de ma vie — qui s’annonce pourtant plutôt cool. C’est principalement : chiant.
Je ne comprenais ni d’où venaient ces émotions ni leur gravité.
Chiant, et très flippant. Je ne comprenais ni d’où venaient ces émotions ni leur gravité. J’ai fini par en faire un article sur mon blog perso, entre l’appel au secours et l’écriture automatique, pour crier dans l’Internet et dans la nuit que je pigeais pas, que j’avais peur, que je me demandais si je n’étais pas sérieusement malade, qu’on m’avait pas prévenue, putain.
Comme une nuée de lucioles, les réponses se sont amassées en commentaires, sur Twitter, dans mes messages Facebook, par SMS. Des ami•e•s les plus proches aux inconnu•e•s tombé•e•s là par hasard en passant par ces vagues potes qu’on verra « un de ces quatre », plein de gens sont venus me dire :
« Je sais pas si c’est normal, mais en tout cas c’est pareil pour moi. Ne t’inquiète pas, ça va s’arranger. Ça m’a fait pareil quand j’ai quitté mon job, quand je suis rentré•e en France, quand je suis redevenu•e célibataire, quand j’ai signé mon CDI, quand je me suis réorienté•e… Et puis tu sais quoi, en attendant que ça passe, viens on le fait ce fort de couvertures, ou alors on va juste boire une bière. »
Tellement de gens avec qui ça résonnait, cette histoire de déprime inattendue. Tellement de jeunes adultes comme moi, aux parcours et aux univers différents, qui me disaient qu’à bien y réfléchir, oui, c’est la même chose de leur côté. Tellement d’anormaux et d’anormales qu’en fait, je crois bien que c’est normal, tout ça. Et bon sang, ça guérit pas mais ça rassure si fort.
Cet article aura probablement des suites car il y a vraiment plein de choses que les adultes, ces fieffés coquins, ne nous ont pas dit quand on a passé notre JAPD et atteint la majorité. Mais d’abord, à vous : qu’est-ce qui vous a surpris•es une fois sorti•e•s de l’adolescence ? Qu’est-ce que vous mettriez dans le module « vie d’adulte » ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Quand j'ai vu cet article de Mymy ET vos réactions je me suis immédiatement reconnue ! Je viens de finir ma licence et je suis actuellement en CDD dans une ville un peu éloignée de ma ville natale, ou mes potes et surtout ma meilleure amie sont restés pour faire un master. Depuis quelques mois j'ai une grosse boule de jalousie et de mal être au ventre, je leur en veux d'être tout le temps ensemble, de faire des soirées... J'essaie de prendre des nouvelles plusieurs fois par semaine et l'on me répond "on t'expliquera quand on se verra" ce qui fait que je me sens de plus en plus isolée et j'ai juste envie de me couper du monde. Je me sens dans "l'âge adulte" dans le sens où je dois me refaire des potes, une vie loin de chez moi, faire des activités et j'ai l'impression que tout ça ne sera qu'une distraction pour ne pas penser à mon groupe d'amis qui est bien loin... Quand on me demande "quoi de neuf" j'ai envie de répondre "rien de neuf ni d'intéressant, je vais au boulot, je dors, je mange, et rebelotte quoi..." Une Madz disait qu'elle culpabilisait car elle avait l'impression de ne pas avoir de VRAIS problèmes et c'est tout à fait ça !!! Je comprend aussi tout à fait cette notion de "quarter life crisis" ou l'on remet en cause tous les choix que l'on a fait ou pas fait... En tout cas j'espère m'être à peu près bien exprimée, si jamais vous êtes un peu dans le même état d'esprit je serais ravie d'en discuter