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Steubenville : de nouvelles mises en examen

Retour sur l’affaire de Steubenville qui, entre culte du sport et slutshaming, illustre malheureusement parfaitement ce que vivent parfois les victimes de viol.

Mise à jour, le 26 novembre 2013 — L’affaire de Steubenville, qui était déjà absolument sordide, s’enfonce encore un peu plus dans le glauque. On apprenait il y a quelques heures que quatre membres du lycée ont été mis en examen :

  • Le directeur est accusé d’avoir fait obstruction à la justice et d’avoir manipulé des preuves
  • Un assistant-coach de 26 ans d’avoir fait boire des mineurs, de faux témoignage et d’avoir entravé l’affaire
  • Deux autres employés de l’école, pour ne pas avoir signalé une agression sur mineure.

L’un des directeurs avait déjà été inculpé le mois dernier pour parjure, obstruction à l’enquête, obstruction à la justice et falsification de preuve : jusqu’où certains membres de l’école sont-ils allés, non pas pour agir pour le bien de la victime, mais pour d’autres raisons (que ce soit pour protéger les lycéens jugés coupables de viol, préserver la réputation de l’établissement ou autre) ? J’ai bien peur qu’on ne soit pas au bout de nos surprises.

Le 18 mars 2013 — Ma’lik Richmond et Trent Mays ont respectivement 16 et 17 ans et sont lycéens à Steubenville, dans l’Ohio. Ils sont deux des stars de leur équipe de football et ont un avenir sportif devant eux. Hier, ils ont tous les deux été jugés coupables de viol sur une mineure de 16 et devront écoper respectivement de un an et trois ans en prison pour mineurs. Ils l’ont violée à plusieurs reprises devant des témoins qui ne seraient pas intervenus. Depuis quelques mois, ce crime fait largement parler de lui. Une vidéo dans laquelle un garçon faisait des plaisanteries sur le viol subi par l’adolescente avait été mise en ligne, avant d’être rapidement retirée. Une manifestation avait par ailleurs été organisée pour protester contre le supposé laxisme de certains membres des autorités et contre le caractère intouchable des sportifs de haut niveau dans les lycées.

Le jour du verdict, cette histoire sordide a été remise sur le devant de la scène après que la chaîne américaine CNN a décidé de la couvrir.

La dérive vers le slutshaming

Voir des gens essayer de reporter la culpabilité du crime sur la victime n’a rien de nouveau, mais il n’empêche que c’est chaque fois un peu plus difficile à avaler. L’adolescente qui a été violée est alors jugée (voulait-elle coucher avec eux, avait-elle une attitude provocante et puis sérieusement, comment ça se fait qu’elle n’est pas jugée pour avoir bu avant la date légale de consommation d’alcool ?). Fatigant de voir le crime commis par ces deux adolescents minimisé.

Sur Tumblr, certains utilisateurs ont recensé quelques-uns des pires tweets et déclarations qu’on peut trouver sur l’affaire. Au programme : du slutshaming, de la culpabilisation de la victime et de la défense des accusés. Des commentaires qui ont suivi la condamnation de Ma’lik Richmond et Trent Mays. Exemples :

  • Du slutshaming (« Elle l’avait bien demandé et elle le voulait. Ils lui ont juste donné ce qu’elle voulait. Pas de crime. Faites appel ! », « La salope a eu ce qu’elle voulait »)
  • Des violons (« Leurs vies sont ruinées » ou encore « Je me sens tellement désolé pour les deux garçons de 16 ans de Steubenville jugés coupables. Je me fiche de ce que les autres pensent, c’était TRISTE :’( »)
  • De la culpabilisation de la victime (« Je ne dis pas qu’elle l’a cherché mais, déjà, pourquoi boire autant d’alcool ? »).

Le quatrième jour du procès, l’adolescente a témoigné pour préciser qu’elle n’était pas à même de se souvenir de ce qu’il s’était passé la nuit des viols mais qu’elle s’était réveillée nue dans une maison après avoir bu pendant une soirée, comme on peut le lire sur Jezebel. Deux témoins, des ancien-ne-s ami-e-s de la jeune fille, ont alors raconté qu’elle buvait beaucoup et qu’elle était connue pour mentir.

Il est fort probable que les deux garçons soient à ce point défendus parce qu’ils sont sportifs, membres de l’équipe de football américain de leur lycée et promis à un bel avenir dans leur domaine de prédilection. Aux États-Unis, la culture du sport est bien différente de la nôtre. Là-bas, le sport est presque une religion et l’équipe de l’établissement scolaire local est bien souvent portée aux nues.

CNN et le coup de grâce

Et c’est là que l’affaire prend une toute autre ampleur : pendant le reportage qui relate la condamnation des deux garçons, la journaliste insiste massivement sur le fait qu’ils étaient footballeurs, qu’ils sont malheureux d’être jugés coupables avec force secouage de cheveux et yeux qui se baissent. J’aurais pas compris un peu l’anglais, j’aurais cru qu’elle racontait le pitch d’un épisode des Feux de l’amour. Le gros délire commence à 1mn :

« Présentatrice : Je n’arrive pas à m’imaginer avoir à regarder cela . Combien ça a dû être émouvant d’être assise dans cette cour.

Poppy Harlow : Je n’avais jamais vécu quelque chose comme ça, c’était incroyablement émouvant, incroyablement difficile, même pour quelqu’un de l’extérieur comme moi, de voir ce qu’il s’est passé alors que ces deux jeunes hommes avec un avenir tellement prometteur – des joueurs de football stars, de très bons étudiants – de les regarder alors qu’ils croyaient que leur vie s’écroulait. Un des deux hommes, Ma’lik Richmond, […] s’est évanoui. Il s’est évanoui dans les bras de son avocat et lui a dit : « Ma vie est finie, personne ne me voudra maintenant ». Il s’agit de crimes très sérieux, ils ont tous les deux été jugés coupables d’avoir violé cette jeune fille de 16 ans à une soirée qui s’est déroulée en août. Une soirée avec de l’alcool, l’alcool qui joue un rôle important ici. Mais Trent Mays a aussi été jugé coupable d’utilisation illégale de photographies montrant la nudité d’une mineure parce qu’il a pris des photos de la victime alors qu’elle était allongée par terre cette nuit-là. Trent devra faire deux ans en prison pour mineurs, Ma’lik Richmond servira un an. Je veux que vous écoutiez ce qui suit car pour la première fois depuis le début de ce procès, nous avons pu entendre les deux jeunes hommes. Trent Mays s’est levé et s’est excusé auprès de la famille de la victime, avant Ma’lik Richmond. Écoutez.

(Ils s’excusent, le premier expliquant qu’il n’aurait pas dû divulguer les photos et qu’elles n’auraient pas dû être prise, le second pleurant pour ce qu’il a fait).

J’étais assise à 3 pieds de Ma’lik quand il a fait cette déclaration. C’était très difficile à regarder, et vous savez quelque chose qu’il faut aborder c’est que le père de Ma’lik a parlé et quelque chose est ressorti de ce discours. Ma’lik a vécu chez des tuteurs légaux, son père est un ancien alcoolique qui a eu des ennuis avec la justice et qui a fait de la prison avant. Et il s’est tenu debout et il a parlé à la cour et a dit : « Je me sens responsable pour ça, j’ai le sentiment que je n’ai pas été là pour mon fils ». Et avant ça il s’est approché du banc où était son fils, il l’a pris dans ses bras et il lui a chuchoté dans l’oreille. Et l’avocat de Ma’lik a dit à la cour qu’il n’avait jamais entendu le père dire « Je t’aime » à son fils avant ça. Il ne dit jamais ça à son fils. Mais il l’a fait aujourd’hui. C’était une journée incroyablement émouvante. […] »

Tout y est, ou presque : on explique avec de l’émotion plein les yeux que les deux garçons étaient vraiment très tristes de devoir faire de la prison et qu’ils n’ont pas été aidés par la vie (son papa n’était pas présent, rendez-vous compte, il ne lui dit jamais « Je t’aime »). La journaliste justifie ce qu’ils ont fait, minimise presque leurs actions. À l’écouter, si on se laisse guider par son raisonnement, on pourrait presque se dire qu’il suffirait qu’ils s’excusent et qu’ils donnent un Carambar et deux Mars à la victime pour que tout soit oublié. Nous sommes dans un monde où on en viendrait presque à accepter les erreurs de deux « bons garçons » parce que c’est leur premier faux pas et que voyez, ils ont compris qu’ils avaient fait une bêtise. Un monde où certains relatent parfois les choses de façon à ce que l’opinion publique se range derrière eux. Mais un crime reste un crime, qu’il découle d’une erreur ou d’une habitude. Un non reste un non, l’incapacité de dire non est un non. Et une victime mérite beaucoup plus de considération que ce que doit être en train de vivre l’adolescente de 16 ans.

– Merci à Silver et Nine de nous avoir transmis l’information
à l’heure où blanchit la campagne !


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

130
Avatar de AxlR
23 juin 2016 à 14h06
AxlR
Petite précision concernant la fin de l'article ("l’incapacité de dire non est un non".

En droit français, l'incapacité de dire non, le fait de ne pas s'être pas opposée verbalement (lorsque tu es tétanisée par exemple) n'équivaut pas à un non... bien au contraire !

Malheureusement... "Qui ne dit mot consent", cette phrase a résonné dans ma tête mais dans ce domaine là, on a, je pense, pas mal de choses à changer... Il nous faut plus de précisons dans les lois et un travail plus approfondis en matière de féminisme. Enfin bon, ce n'est pas un secret.
En tout cas cette journaliste me fait mal au coeur. Elle parle des agresseurs comme des victimes, c'est incroyablement absurde, incroyablement déroutant.
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