En 2018, le jour de son vingtième anniversaire, l’étudiante Sophie Le Tan part visiter un appartement au nord de Strasbourg, qu’elle a trouvé sur Leboncoin. L’annonce a été postée par un certain Jean-Marc Reiser. L’homme, décrit comme étant d’une violence inouïe par ses ex-compagnes, a déjà été condamné à 15 ans de réclusion criminelle au début des années 2000 pour viol et agression sexuelle. À l’issue de la visite, la jeune étudiante ne donnera plus signe de vie. Son corps démembré sera finalement retrouvé un an plus tard dans une forêt des environs.
Le 27 juin 2022, le procès de Jean-Marc Reiser s’ouvre devant les assises du Bas-Rhin. Il écope de la peine maximale, soit la perpétuité assortie de 22 ans de sûreté, mais fait aussitôt appel. Car s’il reconnaît avoir tué l’étudiante dans son appartement, il nie avoir prémédité son acte, plaidant plutôt une crise soudaine « de frustration, de colère et de rage ».
La thèse de l’accident est pourtant très peu crédible, estime Élise Costa, journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires, qui a couvert ce premier procès dans une série de chroniques pour le média en ligne Slate. En février 2023, l’autrice a publié Les Nuits que l’on choisit (éditions Marchialy, 2023), où elle dissèque avec brio les rouages de la justice et raconte les affaires qui l’ont marquée. Le meurtre de Sophie Le Tan en fait partie. Alors que s’est ouvert mardi 20 juin 2023 le procès en appel de Jean-Marc Reiser, Madmoizelle est allée sonder l’experte, qui ne retournera pas à la cour d’assises cette fois-ci. Éclairage.
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Trois questions à Élise Costa, chroniqueuse judiciaire et autrice de l’ouvrage « Les Nuits que l’on choisit »
Madmoizelle. Que peut-on attendre de ce nouveau procès en appel, alors que Jean-Marc Reiser a avoué, et que toutes les preuves sont contre lui ?
Élise Costa. Jean-Marc Reiser attend vraisemblablement que la préméditation tombe. Dans sa version de l’histoire, il s’agit d’un accès de colère, de quelque chose qui lui a échappé. Il a déjà été condamné à la peine maximale, il n’a donc rien à perdre en faisant appel. La famille de Sophie Le Tan, à l’inverse, attend certainement que cette peine soit confirmée en appel, et que Jean-Marc Reiser aille plus loin dans ses aveux, qu’il reconnaisse sa participation active dans le meurtre de Sophie. Ces procès en appel sont toujours très douloureux pour les familles, car ils signifient repasser à la barre, reparler de la tragédie, du deuil, de la souffrance… Cela remue énormément de choses.
Qu’avez-vous retenu de l’affaire Sophie Le Tan et du premier procès de son meurtrier ?
Dans l’affaire Sophie Le Tan, ce qui m’intéressait particulièrement, ce n’était pas tant la personnalité de l’accusé, car il ne baissait pas la garde et parlait très peu de son enfance. C’était difficile de capter ses moments de faiblesse, d’aller au fond des choses, de creuser sa psyché… Ce qui m’intéressait davantage, c’était la famille de la victime, très soudée. Sophie Le Tan les aidait, les soutenait énormément. Ils l’ont beaucoup expliqué à la barre. Elle faisait le lien entre eux, leur communauté, leur langue [les parents ne parlaient pas français, NDLR], et les autres. Sa disparition représentait un vide énorme parce qu’en plus du deuil et de l’horreur de perdre un enfant, il n’y avait plus ce pont avec l’extérieur. Sa perte signifiait qu’ils se retrouvaient encore plus isolés du monde.
Comment vous préparez-vous lorsque vous chroniquez des procès aux assises ?
Avant de couvrir le procès de Jean-Marc Reiser, je connaissais très peu l’affaire, à part ce que j’avais pu voir dans les gros titres des journaux. Lorsque je chronique une affaire, je préfère en savoir le moins possible et arriver avec les yeux d’un juré. Au fil des audiences, le puzzle commence à se mettre en place… Je suis très attentive à la posture de la famille lorsque l’accusé parle, à leur attitude lorsqu’ils sont amenés à déposer à la barre. Beaucoup de choses se passent dans les silences. Certains parlent extrêmement vite à cause du stress et de l’angoisse. D’autres, au contraire, sont tellement tétanisés par la douleur qu’ils vont souvent se taire ou parler lentement. Je trouve que c’est dans ces moments-là, parfois même dans l’absence de réponse à une question, que le silence est intéressant.
Le procès en appel de Jean-Marc Reiser se déroule du 20 au 29 juin 2023 à Colmar.
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