Le 29 mars dernier, le Parisien et Envoyé Spécial révélaient dans une série d’enquêtes les agissements du célèbre chef de chœur Denis Dupays, accusé de viol, d’abus sexuels et de harcèlement moral sur une multitude d’enfants, tout au long de sa carrière. Malgré des signalements à répétition, ce dernier aurait surfé sur la complaisance et l’omerta qui gangrènent le milieu très verrouillé de la musique classique, pour voguer de poste en poste, jusqu’à être nommé à la tête de la prestigieuse Maîtrise de Radio France, où il restera pendant neuf ans.
Le 20 avril, 71 de ses anciens élèves, réunis au sein du collectif « Chœurs Brisés Agir » ont publié une tribune pour appeler à « briser le silence autour de la pédocriminalité, la maltraitance et les violences psychologiques dans l’apprentissage artistique et partout en France ». L’un des membres du collectif Chœurs Brisés, ancien élève de Denis Dupays, a répondu aux questions de Madmoizelle.
Rencontre avec Nicolas Simeha, membre du collectif « Chœurs Brisés Agir ».
Madmoizelle. Pourquoi avoir créé le collectif « Chœurs Brisés Agir » ?
Nicolas Simeha. Nous souhaitons mettre Denis Dupays et l’institution de Radio France face à leurs responsabilités dans cette affaire. Denis Dupays avait déjà été signalé pour des suspicions de pédocriminalité dans différents chœurs et a ensuite été recruté et nommé à la tête de la Maîtrise de Radio France, le Chœur d’enfants le plus prestigieux de France, qui dépend, en plus, d’une institution publique. Il a été maintenu neuf ans à son poste, en toute impunité.
Madmoizelle. S’agit-il d’un cas isolé ?
Non. La musique classique est l’un des derniers domaines qui résiste encore à l’évolution de la société par rapport à la reconnaissance de la parole des victimes de faits de viol. Le mouvement Me Too a beaucoup peiné (et peine toujours) à éclore dans ce milieu. On le voit bien : des stars, comme Placido Domingo, sont accusées de harcèlement et d’agressions sexuelles, mais continuent d’être programmées dans de nombreux festivals et salles de concert en France.
Et, si l’on parle spécifiquement de l’enseignement de la musique classique à des enfants, il s’agit d’un milieu encore plus verrouillé, fondé sur un système hérité de l’Église, des chœurs d’enfants, de maitrises religieuses. Avec tout ce que cela implique : des systèmes de silenciation, de hiérarchie…
Il y a un effet d’élitisme et de classes dominantes, socialement parlant, dans la musique classique, avec des structures très lourdes qui lient la tradition musicale à une tradition de violence.
Il y a vraiment une confusion totale, encore aujourd’hui, entre une recherche d’excellence, d’élitisme et un nécessaire recours à une forme de violence et d’objectification des enfants, qui banalise les abus.
Madmoizelle. Comment expliquer cette omerta qui perdure ?
Il y a un statut très trouble des enfants, toujours aujourd’hui, dans les maîtrises, et notamment à la maîtrise de Radio France, car c’est un parcours professionnalisant. Nous sommes employés de Radio France, mais sans l’être directement : nous ne sommes pas salariés, nous sommes indemnisés, et c’est dans cette zone grise que prennent place ces horreurs.
Dans le milieu, il y a des figures, des poids lourds qui dominent le paysage musical tout en étant visés par des plaintes pour violences sexuelles, et/ou de harcèlement moral. Pour beaucoup, ils parviennent à les faire étouffer. Face à eux, on a des jeunes artistes qui sont dépendants professionnellement de ces poids lourds, car ils sont à la tête des institutions les plus prestigieuses du domaine. Donc inévitablement, il y a une difficulté à libérer la parole, par peur de se griller et par obligation d’exercice de contrat de travail. Mais cela ne veut pas dire les gens ne sont pas au courant…
Madmoizelle. Quelles sont les prochaines étapes pour Chœurs Brisés Agir ?
Nous avons rendez-vous avec la direction de Radio France.
Nous espérons pouvoir collaborer pour endiguer réellement ces pratiques, qui sont, aujourd’hui encore, courantes. On pourrait imaginer l’écriture d’une charte, que l’on ferait remonter ensuite à différents ministères…
Nous poursuivons par ailleurs notre soutien aux victimes, en faisant converger les luttes, parce que ces faits ont eu lieu dans de nombreux chœurs différents. Et enfin, nous veillerons à ce que Denis Dupays réponde de ses actes devant la justice. Il fait actuellement l’objet d’une plainte pour agression sexuelle non prescrite. La personne a porté plainte il y a neuf ans, et Denis Dupays a reconnu les faits devant la police. Mais, le procès n’a toujours pas eu lieu. Comment expliquer que justice ne soit pas faite ?
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