Ça fait quelques mois que l’affaire Cahuzac fait largement parler d’elle dans les médias. Le 4 décembre 2012, dans un article publié sur Mediapart, le journaliste Fabrice Arfi nous apprenait que Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, a longtemps possédé jusqu’en 2010 un compte chez UBS, en Suisse. Un compte non déclaré au fisc (il n’y a rien d’illégal à détenir un compte à l’étranger, tant qu’il est déclaré).
Le ministre choisit alors de nier en bloc et dépose une plainte contre Mediapart, qu’il accuse de ne pas avoir de preuves – le journal en ligne fera alors face à de nombreuses critiques sur ce supposé manque de preuves. Le lendemain, un article est publié sur le site qui retranscrit l’enregistrement où on entendrait Cahuzac dire :
« Moi, ce qui m’embête, c’est que j’ai toujours un compte ouvert à l’UBS, mais il n’y a plus rien là-bas, non ? La seule façon de le fermer, c’est d’y aller ? »
Ou encore :
« Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques. »
(À noter que la plainte de Jérôme Cahuzac ne porte pas sur l’article qui reprend cet enregistrement.)
Le 8 janvier dernier, une enquête préliminaire est ouverte pour « blanchiment de fraude fiscale » par le parquet de Paris qui lance à la mi-mars l’ouverture d’une information judiciaire contre X. Lors de l’enquête préliminaire, il a été vérifié que l’enregistrement mentionné ci-dessus n’avait pas été modifié. En outre, un rapport de la police scientifique « renforce l’hypothèse que Jérôme Cahuzac est le locuteur inconnu ». Ce 19 mars, Jérôme Cahuzac démissionne du gouvernement. Il réitère pourtant alors ses déclarations d’innocence. Mais le 2 avril dernier, il finit par avouer et c’est sur son site qu’il choisit de le faire ; il se dit « dévasté par le remords » et s’excuse, parle de « spirale du mensonge » :
« J’ai rencontré les deux juges aujourd’hui. Je leur ai confirmé l’existence de ce compte et je les ai informés de ce que j’avais d’ores et déjà donné les instructions nécessaires pour que l’intégralité des actifs déposés sur ce compte, qui n’a pas été abondé depuis une douzaine d’années, soit environ 600 000 €, soient rapatriés sur mon compte bancaire à Paris. »
Jérôme Cahuzac est alors mis en examen pour « blanchiment de perception par un membre d’une profession médicale d’avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale » comme le rapporte l’AFP. Ce sur quoi l’enquête porte, c’est donc de savoir si l’argent que l’ancien ministre a voulu masquer provenait d’avantages qu’il aurait pu toucher par des laboratoires pharmaceutiques. En d’autres termes, la question c’est : son activité de consultant était légale, mais les rémunérations qu’il touchait l’étaient-elles toutes ? Il faut savoir qu’avant de devenir Président de la commission des finances à l’Assemblée nationale (2010-2012) puis ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, ancien chirurgien esthétique, a monté une société de conseil de laboratoires pharmaceutiques. Une société qui a engendré plusieurs millions d’euros qui auraient partiellement été reversés sur des comptes à l’étranger, selon Le Canard Enchaîné
dans un article publié hier. Mais Mediapart s’interroge : avant d’ouvrir sa société de conseil, Jérôme Cahuzac était conseiller du ministre de la Santé. Le journal se demande alors : « La question est donc aujourd’hui ouvertement posée : des labos pharmaceutiques ont-ils monnayé à cette période certaines faveurs ministérielles via Jérôme Cahuzac ? ». Quoiqu’il en soit, c’est très certainement ce poste qu’il a occupé de 1988 à 1991 qui lui a permis de se faire un carnet d’adresses avec les directions de nombreux laboratoires pharmaceutiques.
Le compte chez UBS a été ouvert en Suisse au début des années 1990 avant d’être fermé à la fin des années 2000. L’argent aurait alors été transféré dans une autre banque suisse, Reyl & Cie, et aurait ensuite été envoyé dans la succursale à Singapour de cette dernière. Me Jean Veil, l’avocat de Jérôme Cahuzac, a toutefois fait une précision à l’AFP :
« Ce compte n’a pas été abondé depuis 2001 et l’essentiel de ses revenus provenait de son activité de chirurgien et accessoirement de son activité de consultant. »
François Hollande n’a pas tardé à réagir, dans un communiqué de l’Élysée le jour même et dans une allocution filmée hier. Le président a affirmé que Jérôme Cahuzac n’a pas été protégé par l’État et qu’il devait être jugé par une justice indépendante (une indépendance qu’il veut voir renforcée grâce à la réforme sur le Conseil supérieur de la magistrature qui sera votée cet été, comme il le précise).
Mais la réaction qui a le plus fait parler d’elle, c’est celle de Gérard Filoche, membre du bureau national du Parti Socialiste. Le 2 avril, alors qu’il était invité par le 17/20 de LCI, émission présentée par Michel Field, pour débattre sur l’accord sur la sécurisation de l’emploi, il s’est vu demander en arrivant dans les coulisses s’il pouvait prendre la parole sur les aveux tout frais de l’ancien ministre du Budget. Et la parole, il l’a prise : sans concession, sans tabou, il a dit ce qu’il avait sur le coeur. C’est poignant, vraiment très touchant – et beaucoup pourraient s’y retrouver, je suis sûre. Bizarrement, ça fait presque du bien de voir une personnalité politique réagir à vif, de manière purement spontanée sans media training autour :
http://www.youtube.com/watch?v=82lvYqPPBx8
L’affaire Cahuzac entache sévèrement la réputation d’un président à la cote de popularité en baisse. Une cote de popularité qui ne devrait pas remonter suite à une information du Monde qui nous apprend que Jean-Jacques Augier, le trésorier de la campagne de 2012 de François Hollande, est actionnaire de deux sociétés offshore basées dans un paradis fiscal : les îles Caïmans. Deux sociétés qui auraient été créées suite à la demande de partenaires en affaire. Des opérations qu’il affirme « légales et déclarées ». « Mais comment le vérifier s’agissant d’entités qui ne publient pas leurs comptes ? », écrivent Anne Michel et Raphaëlle Bacqué pour Le Monde avant d’ajouter : « même si ces opérations sont légales, fallait-il qu’un inspecteur des finances, membre de l’un des grands corps de l’Etat, et porteur des valeurs de la République, participe à de tels montages, cautionnant ainsi l’opacité financière des territoires offshore ? »
Les lois des affaires sont impénétrables et creusent peut-être un peu plus le fossé entre le pouvoir et les citoyens…
Pour en savoir plus sur l’Affaire Cahuzac
- Un récapitulatif du Monde qui reprend tout depuis le début, aussi clair que complet,
- Une explication des faits qui sont reprochés à Jérôme Cahuzac et ce qu’il risque sur Europe 1,
- L’interview du journaliste Fabrice Arfi dans les Inrocks,
- Et bien sûr, le dossier de Mediapart !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Cela fait du bien de voir quelqu'un qui croit encore à la politique, qui est attaché à des valeurs et qui les défend avec ses tripes et tout son coeur. Bravo Monsieur
Enfin quel que soit le bord politique, c'est malheureux qu'il n'y ait pas davantage de gens comme lui qui soient au moins droits dans leur bottes et honnêtes surtout, dans TOUS les sens du terme.