Je vais avoir vingt ans dans quelques mois, et je sais depuis presque aussi longtemps que j’ai été adoptée. Je suis née sous X, ce qui signifie que je n’ai aucune information concernant mes parents biologiques. Je sais où et quand je suis née, mais je ne sais pas de qui.
À la naissance, j’ai immédiatement été isolée et nommée provisoirement par les infirmières. (Je tiens d’ailleurs à les remercier. Non vraiment mesdames, merci. Si mes parents avaient conservé votre trouvaille, j’aurai porté un prénom digne d’une actrice porno élevée chez les Ingalls). Bref, quelques jours après, j’ai été recueillie par une association et placée chez une nourrice. La légende veut que ce soit une cigogne qui m’y a déposée. J’ai des doutes, mais après tout, pourquoi pas.
Je n’y ai manqué de rien, sinon d’attention : pas facile d’être un nourrisson au milieu d’une multitude d’enfants, compliqué de recevoir l’attention nécessaire à son éveil. Paraît que j’étais passée maître dans l’art des pleurs. Toujours est-il que j’ai eu la chance d’affronter mes premiers mois de solitude dans un univers relativement stable et sécurisant.
Allez les gars, s’ils vous plaît, venez me chercher ! On dirait pas comme ça, mais je suis sympa en vrai !
L’adoption, une nouvelle naissance
Mais très vite, j’ai eu la chance d’être adoptée. Je suis donc née une deuxième fois. (C’est mon côté Jésus, je suis tellement géniale que je renouvelle l’expérience histoire que l’humanité se rende compte de la chance qu’elle a de me compter parmi les siens).
Des gens que je ne connaissais pas ont décidé de me sauver. Des inconnus ont choisi de m’aimer, de me choyer, de m’élever. Et c’est ainsi qu’a commencé la plus belle histoire d’amour de ma vie. Je pense sincèrement que notre rencontre, fruit d’un hasard absolu, fut un coup de foudre. D’aucun diront que « ce fut comme un heurt en pleine poitrine ». Je n’en sais rien, j’étais bébé.
Mais je crois que nous nous sommes adoptés. L’amour qui nous unit est indescriptible. Je n’ai pas à le juger plus ou moins fort qu’un amour « biologique ». Je sais juste que nous nous complétons. Ma mère ne m’a certes pas portée dans son ventre pendant neuf mois mais cela ne change rien. Mes parents m’ont attendue encore plus longtemps et m’ont désirée peut-être plus fort que s’ils m’avaient eu naturellement. Nous sommes conscients de la chance que nous avons de vivre une aventure incroyable. Je me dis très souvent que le destin m’a offert une chance que je n’ai pas le droit de gâcher. Je suis condamnée – ô malheur ! – à profiter pleinement d’une vie qui aurait pû être tout autre, et certainement bien pire.
Et comme ça, j’ai une excuse toute trouvée pour faire la fête ! Pas folle la bête !!
Laissons X tranquille
Concernant mes parents biologiques, je ne ressens aucun besoin d’information. Je ne leur en veux aucunement. Au contraire, je trouve courageux qu’une femme ayant porté un enfant neuf mois dans son ventre ait l’honnêteté de le confier à d’autres pour lui offrir une vie meilleure. Je ne connais pas les raisons de son choix, je me garde de la juger et préfère me dire qu’elle a fait ce qui était le mieux pour tout le monde. Elle ignorait ce qui m’attendait, mais elle se savait incapable de me l’offrir et je l’en remercie. Je ne sais pas si à sa place j’aurais eu le courage de cet aveu de faiblesse.
Souvent, quand je partage cette histoire avec des ami-e-s, la question la plus fréquente concerne mon désir d’informations. Je comprends qu’il soit difficile d’envisager qu’on puisse ne pas vouloir savoir. Mais c’est mon cas. Ma vie actuelle me satisfait pleinement et je n’ai pas besoin de la combler avec une quelconque vérité que je juge aussi inutile que potentiellement décevante. Alors voilà, je m’accorde parfois le droit de rêver à une ascendance royale (ça c’est en général après une chute un peu lamentable du genre oubli malencontreux de trois marches dans un escalier bondé. Je me ressaisis, lève la tête, et de mon port altier je méprise mes spectateurs en pensant au sang bleu d’un pays lointain et merveilleux qui coule dans mes veines) ou à des gènes de savant fou (besoin de reconnaissance intellectuelle, tout ça tout ça). Mais en vrai, j’aime ma vie, la vraie.
Je ne vis pas cette histoire comme un abandon. Il a eu lieu, c’est certain. Mais je ne veux pas de ce mot dans mon histoire. Je crois qu’il était un mal nécessaire qui m’a permis de vivre la vie qui m’appartient et que je n’échangerais contre rien au monde. J’ai la chance d’avoir des parents formidables, une famille incroyable et des amis fantastiques. Je refuse de tout gâcher avec un mythe fondateur douteux et illusoire.
Et puis, je suis sûre que moi aussi, c’était d’un ensemble « sweat-bordeaux-bandana-en-éponge-jaune-affreux » qu’on a voulu me protéger.
Let’s talk about happiness
Mon adoption n’a jamais été un tabou. Depuis mon arrivée, mes parents m’ont toujours dit la vérité. Ils ont suivi le conseil intelligent des psychologues qu’ils avaient consultés pendant la procédure d’agrément et je les en remercie. J’aurais certainement très mal vécu d’apprendre la nouvelle d’un seul coup. J’ai toujours connu mon histoire, elle a toujours fait partie de moi. Elle est une part de celle que je suis et j’en suis fière. Ainsi, je n’ai aucun mal à en parler. J’ai même tendance à être tellement à l’aise avec le sujet que mes interlocuteurs sont parfois décontenancés.
C’est ainsi que je me permets un petit conseil. Si parmi vous certain-e-s envisagent d’adopter, par pitié, parlez-en avec votre enfant. C’est son histoire tout autant que la vôtre et il a le droit, sinon le besoin, de savoir. Je peux vous promettre qu’il vous sera éternellement reconnaissant de cet aveu. Dans mon cas, je n’hésite jamais à parler de mes doutes ou à poser mes questions concernant l’adoption à mes parents. J’estime que je leur dois bien ça et que c’est une condition sine qua non à la relation de confiance qu’ils ont choisi d’instaurer au début de notre histoire.
Cependant, je suis tout à fait consciente que mon histoire n’est pas universelle. Non pas que toutes les autres adoptions se passent mal, au contraire (et heureusement !), mais des milliers de facteurs entrent en jeu. La loi encadre la procédure, mais rien n’assure l’osmose entre les différents acteurs. Oui, il est plus facile de vivre son adoption sans encombre quand on est de la même couleur de peau que ses parents. Ce n’est pas nous que ça dérange, mais les remarques pertinentes d’un gamin de sept ans qui pointe son index accusateur à la sortie de l’école avec un « Eh, mais c’est même pas ta mère ! Vous n’avez pas la même peau ! » ne sont pas toujours facile à vivre. De même, les fameuses questions existentielles qui apparaissent à l’adolescence peuvent aussi être une étape à franchir. On peut aussi avoir vécu une enfance si compliquée que le futur est un fardeau. C’est une histoire d’amour, elle ne répond donc à aucune règle.
Mais mon témoignage n’est pas un modèle. Je ne prétends aucunement m’exprimer au nom de tous les enfants adoptés. Fière de mon histoire, forte de mon expérience et portée par l’amour de mes parents, j’entends simplement affirmer que l’adoption reste une histoire incroyable. Oui, l’amour est partout et parfois il réserve d’excellentes surprises.
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Les Commentaires
En tout cas c'est une très belle aventure à vivre des deux côtés je pense !