Ce 20 janvier, une marche anti-IVG rassemblait quelques 7000 personnes à Paris.
Parmi elles, il y avait des adultes, mais pas seulement. Plusieurs adolescents étaient présents, comme le montre ce tweet qui a généré beaucoup de réactions :
Aux ados qui ont marché contre l’avortement
Salut, « Théophile 13 ans » — tu t’appelles peut-être Maxence, tu as peut-être 14 ans, mais je vais garder cette terminologie ça sera plus simple.
Salut, donc, Théophile, 13 ans. Avec ta pancarte anti-IVG, un dimanche, dans les rues de Paris.
Je te demande pas si ça va : ton sourire indique que tu as l’air plutôt en forme, revigoré par la manifestation, ou peut-être juste par l’air frisquet de ce mois de janvier.
Je ne peux pas te demander grand-chose, comme tu ne peux pas me répondre, mais je peux te parler, par contre.
Pourquoi être anti-IVG à 13 ans ?
Je ne sais pas pourquoi tu es sorti marcher, ce dimanche. Je ne sais pas si tu étais mû par tes convictions personnelles, ou encouragé par ta famille.
Je ne sais pas si tu as bondi dehors ou si tu es allé défiler en traînant des pieds, en regrettant peut-être de faire partie de ce cortège, de porter ces convictions.
Je ne sais pas, je te l’avoue, comment on peut être anti-IVG à 13 ans ; comment on peut lutter contre un droit ancré dans la loi depuis avant sa naissance (et avant la mienne).
Je ne sais pas si tu sais exactement ce que tu défends, « Théophile », je ne peux qu’espérer qu’un jour, tu sois de l’autre côté de la barrière.
Connaître l’IVG, avant de le dénoncer
Une des pancartes indique IVG : Dire la vérité, c’est dissuader. Quelle est cette vérité que tu voudrais dire, « Théophile » ?
Le fait que toutes les 9 minutes, dans le monde, une femme meurt à cause d’un avortement clandestin
?
Le fait que 33% des femmes de France ont besoin, au moins une fois dans leur vie, d’avoir recours à l’IVG ?
Le fait qu’aucune contraception n’est à 100% fiable, que le risque zéro de grossesse non désirée n’existe pas ?
Le fait qu’une IVG n’est pas forcément un traumatisme, qu’il est possible de vivre un avortement sans séquelles ?
Être anti-IVG avant d’y être confronté
Tu sais, « Théophile », tu ne seras jamais confronté directement au sujet de l’IVG. Tu n’auras jamais, dans ta chair, dans ton ventre, une grossesse que tu n’as pas désirée, que tu ne peux ou veux pas mener à son terme.
Mais tu côtoieras probablement l’IVG. Ce sera peut-être ta petite amie, ta sœur, ta cousine ou ta meilleure pote qui te dira un jour « j’ai fait un test, c’est positif, je peux pas le garder ».
Ce sera peut-être toi qui a causé cette grossesse, toi qui a insisté pour ne pas mettre de préservatif, toi qui a estimé que la pilule du lendemain pouvait attendre encore un peu.
Ce sera peut-être, aussi, la faute à personne, un accident, une contraception défectueuse, une maladresse. La faute à pas de chance.
Et toi, « Théophile », tu seras prêt, à 16, 18, 20, 22 ans, puis tout au long de ta vie, à affronter une grossesse non désirée ?
À dissuader une femme, avec laquelle tu as fait l’amour, de disposer librement de son corps ?
Être anti-IVG, c’est has been, quand même
Je connais pas ta vie, « Théophile ». Je sais pas ce qui te mène, avec ta bonne tête d’ado, à battre le pavé en tenant une pancarte anti-IVG, en DEUX MILLE DIX-NEUF.
Mais il est temps de vivre avec ton époque. Cette époque qui donne à tous et toutes le droit de disposer de leur corps. Cette époque qui sait qu’un embryon n’est pas une vie, qu’un avortement n’est pas un meurtre.
Ça fera 44 ans cette année que des Françaises, Simone Veil en tête, se sont battues pour qu’une grossesse non désirée ne soit plus une sentence.
Pour que les cintres et les aiguilles à tricoter redeviennent des objets du quotidien, et non des instruments de torture parfois meurtriers.
Tu vis dans une chouette époque, « Théophile ». Tu peux devenir qui tu veux. Les femmes que tu aimeras, dans ta vie, pourront être qui elles veulent.
Peut-être décideront-elles de s’engager pour faire du monde un endroit encore meilleur. Pour aider les victimes de viol, ou de violences conjugales par exemple.
Ne va pas leur mettre des bâtons dans les roues en essayant de leur ôter des droits : ce temps-là est révolu. Le monde a avancé, Théophile, tu devrais le savoir : tu es né dans le futur. Le futur de Simone Veil.
Compte sur moi, et sur tant d’autres, pour rester vigilantes et tenter de faire de toi un homme non pro-IVG, mais pro-choix. Car c’est tout ce qui compte, là-dedans : le choix.
Je ne sais pas si tu l’as eu, le choix, ce 20 janvier. Moi, quand il s’agit de mon corps, je l’ai. Et je compte bien le garder.
À lire aussi : Mon « IVG de confort » a été un parcours de combattante
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires
Sur l’ambiguïté du statut de l’embryon/fœtus en droit, il y a une différence entre exister et avoir la personnalité juridique (qui est un peu la traduction de la différence « être humain »/« personne humaine »). L’existence commence au moment de la conception, tandis que la personnalité juridique suppose de naître vivant et viable. La reconnaissance d’une « existence » en droit a des conséquences, puisqu’elle induit qu’avoir été un fœtus ou un embryon au moment d’un événement peut nous rendre titulaire de droits (à chaque fois que ça nous est favorable, c’est le principe infans conceptus du droit civil). C’est notamment le cas dans le domaine des successions ( art. 725 + art. 311 code civil ). Ces droits ne pourront cependant être revendiqués qu’une fois qu’on aura acquis la personnalité.