En 2019, après plusieurs mois de thérapie, j’ai enfin eu les déclics me permettant de porter plainte pour viol contre mon ancien entraîneur de handball. Celui qui m’a violée quand j’avais 14 ans, et de qui je pensais être amoureuse lorsque j’en avais 15 et lui 21.
Si à 14 ans, je pensais l’aimer, je me rends bien compte aujourd’hui que la situation n’avait rien de naturel : c’était une relation d’emprise. Il a tout fait pour que j’en arrive là…
Mon entraîneur avait une emprise sur moi
Je pensais qu’il était gentil. Il me regardait tout le temps et à l’époque, et pendant longtemps, sentir ce regard me faisait me sentir spéciale. J’avais l’impression d’être sa préférée. Un jour il m’a offert une petite broche, à une soirée où l’équipe était réunie…
Des détails, mais qui, mis bout à bout, me donnaient l’impression que mes sentiments amoureux étaient réciproques.
Un jour, je lui ai déclaré mon amour, et il m’a demandé de lui faire une fellation. Comment refuser? Il était mon entraîneur, il avait l’ascendant sur moi et j’étais complètement désarmée. Je n’ai pas compris ce changement de comportement soudain froid et prédateur ce jour-là. Ça ne cadrait pas avec l’image qu’il m’avait donnée de lui… Entre mes 14 et mes 15 ans, j’ai tenté d’avoir des explications sur cet événement, et n’en ai jamais eu. Il soufflait le chaud et le froid, me donnait l’impression que tout était de ma faute. Sans réponse, je me suis convaincue que tout ça n’était qu’un accident.
J’avais 15 ans, il en avait 21 : je ne pouvais pas consentir
À 15 ans, je me pensais amoureuse et fautive. Nous avons eu d’autres relations sexuelles, auxquelles je croyais consentir. Mais comment une jeune fille de 15 ans peut-elle consentir à des relations sexuelles avec un homme de 21 ans ? Ces actes n’étaient qu’une redite du viol de mes 14 ans…
Je voulais garder l’image du prince charmant que j’avais de lui, et je me suis aveuglée sur ce que je vivais. Aujourd’hui, je garde le souvenir de relations sexuelles adultes, bien au delà de ce qu’une jeune fille de 15 ans pouvait comprendre, et qu’elle n’aurait jamais dû vivre. Dans des positions bizarres, devant un film pornographique, sans aucune considération de ma personne ou de mon plaisir…
Pendant longtemps, il y a eu ce décalage bizarre entre ce qu’avaient réellement été les événements, et la manière dont je préférais m’en souvenir. J’avais tout mis sous cloche, mais parfois elle se rouvrait. Et j’en souffrais beaucoup.
Il m’a fallu du temps pour comprendre ce qui s’était passé
Cette impression d’avoir donné mon « accord » aux relations qui ont eu lieu à mes 15 ans m’empêchait d’appréhender ces évènements. Je n’arrivais pas à comprendre les faits, ou peut-être que je ne voulais pas les comprendre.
Quand j’essayais d’y voir plus clair, je contactais mon ex-entraîneur pour avoir des explications avec lui. Mais cette forme d’emprise, d’admiration que j’éprouvais envers lui n’avait pas disparu : quand nous en parlions, je m’efforçais d’accepter son point de vue. Je repoussais la petite voix en moi qui tentait de me dire que non, les choses ne s’étaient pas passées comme il le disait, que je n’avais rien désiré, rien voulu, et que non, tout cela n’était pas normal.
Pour porter plainte, il m’a fallu arrêter de me tourner vers lui pour comprendre, et chercher enfin en moi seule les explications et mes ressentis lors de ces événements.
J’ai fini par porter plainte
En 2019, donc, j’ai fini par avoir le déclic. Il faut savoir qu’il est possible, pour certaines plaintes, d’écrire directement au procureur plutôt que de déposer plainte au commissariat. C’est notamment possible pour les plaintes pour viol.
Procéder ainsi m’a permis de prendre le temps de me poser et de décrire les faits, en m’appuyant sur les modèles trouvé sur Internet qui expliquaient comment s’y prendre et les détails importants. J’ai pu prendre des pauses quand c’était difficile.
Je savais que je serais obligée de passer par la case commissariat quoi qu’il arrive. Mais cette étape se faisant sur rendez-vous, j’ai fait ce choix en espérant rencontrer une personne formée à m’accueillir, et sachant déjà de quoi nous allions parler.
Une fois la lettre envoyée (en recommandé avec accusé de réception), il faut attendre… Le procureur a obligation de répondre dans les trois mois s’il compte donner suite, et s’il ne répond pas du tout c’est qu’il n’y aura pas de suite et que la plainte a été classée.
Ça, ce sont les textes. Dans la réalité les procureurs sont parfois débordés, ainsi que les commissariats, et les trois mois peuvent facilement déborder. Il faut être patient, ne pas hésiter à relancer pour savoir où ça en est et leur faire comprendre qu’on est là.
J’ai posté ma lettre, et j’ai attendu…
En 2020, la parole se libère dans le monde du sport
Mais le temps a passé. Quelques mois plus tard, Sarah Abitbol, avec son livre Un si long silence, a créé une révolution dans le monde du sport. Nous sommes en 2020. Ma colère gronde devant les témoignages qui se libèrent, alors qu’il ne se passe toujours rien du côté de ma plainte.
Sans avancées juridiques, je finis par contacter la Fédération française de handball, pour dénoncer mon agresseur
. Après tout, mon agresseur doit aussi rendre des comptes auprès d’eux. J’avais très peur que l’on mette en doute ma parole, mais ça n’est jamais arrivé : la fédération m’a accompagnée, s’est portée partie civile aux côté de ma plainte, a lancé un signalement au ministère des Sports, ainsi qu’une procédure disciplinaire à l’encontre de mon agresseur.
Ce sont donc trois types de procédures différentes : administratives (auprès du ministère des Sports), disciplinaires (au sein de la fédération), et judiciaires (auprès du procureur), qui ont été mises en marche.
À ce moment là, je contacte également L’Obs, qui fait un appel à témoignages pour de regrouper les violences sexuelles dans le sport… car tous les sports sont en cause. Après que la journaliste avec qui j’étais en contact ait pris contact avec le procureur pour savoir où en est mon affaire, la police me contacte enfin pour m’auditionner. Ensuite, le coronavirus est passé par là et tout a semblé fonctionner au ralenti.
Des enquêtes administratives et disciplinaires décevantes
En septembre 2020, je suis auditionnée par téléphone dans le cadre de la procédure disciplinaire de mon agresseur. L’appel dure neuf minutes, et l’essentiel se résume à « Mais tout ça, c’était pas un peu dans votre tête ?» . La personne qui instruit le dossier disciplinaire pense que je mens. Ça commence mal.
Quelques semaines plus tard, je suis reçue par la Direction départementale de cohésion sociale, entre autre en charge du sport, pour son enquête administrative. J’avais beaucoup d’espoir dans cette enquête : je pensais qu’elle pourrait être complémentaire à l’enquête de police et m’aider à trouver d’autres victimes, mais il n’en fût rien.
La DDCS s’est contentée d’interroger mon agresseur après moi, et de ne rien faire d’autre.
Début octobre, j’ai enfin une date pour la commission de discipline : elle se tiendra le 15 octobre en visioconférence. J’ai le choix d’y participer ou non, d’être seule ou non. Je décide de m’y présenter seule.
Des années plus tard, j’ai tenu tête à mon violeur
Pour cette réunion, j’ai accès au dossier disciplinaire. C’est comme ça que je découvre que mon agresseur s’est fait passer pour une victime. Il m’a fait passer, au yeux de tout le monde, pour une menteuse qui se « venge » de lui. Il y affirme même avoir porté plainte pour diffamation (je n’ai jamais eu de nouvelles de cette plainte).
Je comprends que cette réunion risque de tourner au vinaigre : ce sera mon procès, pas le sien, et j’ai une semaine pour me préparer. J’envoie à la commission de discipline quelques pièces supplémentaires pour prouver ma bonne foi et faire face aux mensonges de mon entraîneur, et me prépare mentalement à lui faire face.
Pour moi, cette visioconférence est un entraînement à lui faire face, plus tard, avec la police ou dans un tribunal. Je voulais être capable de lui tenir tête, d’assurer.
Et j’ai assuré… J’ai tenu tout du long de cette réunion sans craquer, en affirmant mes positions, mes vérités, pendant que lui s’emmêlait dans ses mensonges. Finalement, la commission de discipline a décidé de ne pas statuer, et d’attendre des nouvelles de la justice.
Ma plainte a été classée, mais je n’ai plus peur
Quelques mois plus tard, je finis par avoir des nouvelles de mon dossier pénal. On me dit que l’enquête est en cours, mais quand j’appelle le commissariat en charge, je découvre qu’elle n’a pas encore commencé. La journaliste de l’Obs, qui me soutien depuis mon premier témoignage, me conseille un appel à témoins sur Facebook afin de retrouver d’autres victimes.
J’ai reçu hier l’avis de classement de ma plainte. Il y a prescription : j’ai porté plainte à 38 ans et 8 mois, ça fait sans doute quelques mois de trop pour la justice.
J’ai réussi à accepter ce classement car j’ai le sentiment d’avoir vraiment repris le pouvoir sur ma vie lors de la commission disciplinaire d’octobre. J’avais toujours eu peur de mon agresseur. Peur de le dénoncer, peur de lui faire face… Mais ce jour-là, il s’est passé quelque chose : je l’ai affronté. J’ai dénoncé ce qu’il m’avait fait, et je lui ai fait face.
J’accepte aussi ce classement pour la simple raison que je suis épuisée. Je sors d’un an et demi de combat acharné pour faire apparaître la vérité. Mais j’ai relancé mon appel à témoins, car je ne désespère pas et que je suis très inquiète : mon agresseur a pu faire d’autres victimes ailleurs que dans le hand, parce qu’il est éducateur spécialisé.
C’est donc un nouveau combat qui commence pour moi… Mais cette fois, je n’ai plus peur, ni de lui ni de personne. Et surtout, je n’ai plus peur de vivre. J’ai aujourd’hui 40 ans, et il était temps, enfin.
À lire aussi : J’ai été victime de stealthing, et j’ai choisi de porter plainte pour viol
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Les Commentaires
Je suis membre d'un groupe de parole nommée ESPAS en Suisse. Espace de Soutient et de Prévention-Abus Sexuels. Quand je suis allée pour la première fois, c'était pour savoir si je pouvais porter plainte pour mon agression et mes 2 viols. Malheureusement, on m'a déconseillé parce qu'il n'y avait aucune preuve et que mon agression s'est passé au Japon, mon premier viol au Philippine donc en dehors de la Suisse. Et mon deuxième viol, bien qu'en Suisse, j'avais 17 ans et je ne me rappelle que d'un seul nom et je n'étais même pas sur que ce soit lui. Du coup, j'ai dû faire un croix sur l'idée de justice.
Par contre, je continue d'en parler dans le groupe de parole. Je me sens comprise avec toutes ces autres femmes qui ont vécu la même chose que moi. On essaie d'avancer chacun de son côté mais en parler dans le groupe ça aide. On parle de comment surmonter les cauchemars, les flash-back ou les ressentis. La paranoïa quand on marche seule la nuit. De légitimer auprès de la famille. Parfois c'est dur d'entendre mais il faut passer par-là pour passer du statut de victime à celle de survivante.