Je m’appelle Camille, j’ai 21 ans et après des études en communication digitale, il y a un an, je suis devenue mannequin plus-size — je fais une taille 44, ou du XL.
Je n’avais jamais envisagé d’être modèle, mais c’est un métier que j’idéalisais beaucoup. J’enviais les mannequins que je voyais sur les réseaux sociaux, me disant qu’elles avaient beaucoup de chance de faire ce métier et que moi, je ne pourrais jamais parce que je ne faisais pas le bon poids, que je n’avais pas le bon profil… Bref, que je ne correspondais pas aux standards nécessaires. Mon corps a toujours été un complexe pour moi, et j’ai passé mon adolescence à me trouver trop grosse, à être la seule qui ne correspondait pas à la norme dans un groupe de copines très minces, à y penser sans cesse.
Pourtant, à mes 18 ans, une agence parisienne m’a repérée sur Instagram. Elle m’a contactée pour me proposer de me représenter, j’ai passé un entretien à distance (Covid oblige), et ils m’ont signée ! L’agence n’avait jamais travaillé avec des personnes qui ne faisaient pas les tailles standard de l’industrie, et finalement, ce contrat n’a rien donné du tout. Après un an et demi, je n’avais toujours pas de book ou passé le moindre casting.
Comment je suis devenue mannequin plus-size
Ce premier pas m’a quand même permis de prendre confiance en moi. Mon apparence n’avait jamais été valorisée, et d’un coup, je me suis dit « Si ça a pu marcher une fois, pourquoi pas deux ? ». À l’époque (et aujourd’hui encore), je suivais la mannequin plus-size Leslie Sidora sur les réseaux sociaux. J’ai trouvé l’agence qui la représentait, et j’ai tenté le coup en les contactant.
Cette agence, qui se trouve aux États-Unis, me répond qu’ils aimeraient beaucoup travailler avec moi, mais me renvoie d’abord vers une autre firme Londonienne pour que je commence par développer ma carrière en Europe. Moi, j’étais tout simplement surexcitée : l’agence de mon mannequin préférée voulait travailler avec moi ! Et en même temps, j’étais méfiante, je me demandais si tout ça allait mener quelque part.
Une première expérience violente
J’étais à la fin de ma deuxième année d’études quand cette agence m’a demandé de venir passer un mois à Londres pour essayer de me lancer. Je n’avais rien pour me représenter à part des photos prises avec mon téléphone, et ils ont donc planifié plusieurs shootings avec des photographes pour constituer mon book. Des shootings que je devais payer de ma poche, en plus du trajet et de l’hébergement, et c’était un investissement énorme pour moi de devoir mettre toutes mes petites économies dans un mois à Londres !
Ma toute première séance photo a été un grand moment de doute, et ma pire expérience : je suis tombée sur une photographe qui a été horrible avec moi. Elle semblait n’avoir travaillé qu’avec des modèles très minces jusqu’ici, et s’est moquée de mon physique, de la taille de mes bras. Quand je suis sortie, j’ai appelé ma mère en lui disant « Est-ce que c’est ça que je veux faire de ma vie ? Est-ce que je veux accepter d’être traitée comme ça, qu’on me renvoie cette image de moi en permanence ? ». J’ai eu l’impression que je n’avais rien à faire là.
Je suis quand même restée un mois à Londres, pendant lequel je n’ai décroché aucun job, et je suis rentrée pleine de doute.
Mon premier job en tant que mannequin (et les suivants)
J’ai repris mes études à la rentrée suivante, jusqu’au jour où j’ai reçu un mail de mon agent pour m’annoncer qu’il était possible que je travaille sur la campagne de la collaboration Fendi et Skims. C’était la toute première fois qu’on me contactait, et je partais pour Rome, pour une grande marque ! Je garde aujourd’hui un très beau souvenir de ce premier contrat : j’avais l’impression d’être traitée comme une princesse.
Mais dès mon retour, mes études ont repris et pour moi, la priorité était d’arriver au bout de mon diplôme. Pendant quelques mois, je n’ai pas eu d’autres opportunités.
C’est au moment où cette campagne est sortie qu‘on a commencé à me prendre au sérieux quand je parlais de mannequinat. Jusqu’ici, quand j’en parlais, les réactions étaient souvent mitigées.
En France, être mannequin n’est pas un métier très bien vu : on s’imagine que tu n’as qu’à être belle, prendre des photos et rentrer chez toi, on part du principe que tu n’as pas de compétences. On me répète aussi souvent qu’il faut que j’aie un plan B, que je ne pourrais pas faire ce métier-là très longtemps. Et puis, les mannequin grande taille, ce n’est pas courant non plus.
Mais depuis que j’ai terminé mes études, il y a quelques mois, je me suis lancée et je suis officiellement mannequin à plein temps : j’arrive à en vivre, je voyage, et je crée du contenu sur les réseaux sociaux à partir de ces expériences. Je fais ce qui m’anime, et j’en suis très heureuse.
Le mannequinat change, mais pas tant que ça
On dit souvent que les choses ont changé ces dernières années, que la manière dont on choisi les mannequins et dont on représente les femmes a évolué : plus jeune, je n’aurais jamais pu imaginer avoir ma place dans ce milieu.
Pourtant, dans l’absolu, elles n’ont pas tant changé que ça. La société évolue et les gens veulent se sentir représentés, donc les marques sont forcées de montrer qu’elles sont plus inclusives… Mais sur les shootings, la majorité des mannequins restent blanches et très minces. Sur certaines campagnes, il y a un côté « caution » : on voit quatre profils classiques et un profil plus atypique à côté. Pourquoi ne pas plutôt prendre une modèle de chaque taille, par exemple ? C’est bien la preuve que l’industrie a encore du mal à lâcher ses standards.
Quand j’arrive sur un shooting, je suis la plupart du temps la seule modèle plus-size. Et pour certains clients, il faut répondre à des critères hyper définis : ok, tu es plus-size, mais tu dois faire 1m80 pour « compenser » tes formes, tu es plus-size, mais tu dois avoir une taille fine avec de la poitrine et des fesses… Ce profil reste très ancré, et au cours de mes expériences, je n’ai jamais travaillé avec quelqu’un qui n’y correspondait pas. Je sais que certaines marques éthiques essaient de changer la donne, et ont à cœur de faire autrement.
En France, cette réticence se ressent particulièrement. Depuis que j’ai commencé à travailler, j’ai eu quelques castings à Paris alors qu’à Londres ou en Allemagne, j’ai du boulot tous les jours. On a encore cette image du mannequin très mince, longiligne aux yeux bleus, cette vision très perfectionniste de la mode. D’ailleurs, l’une des plus grosses agences parisiennes m’avait proposé de travailler avec elle alors qu’elle n’avait jamais travaillé avec des mannequins plus-size, et elle m’avait dit qu’elle voulait que je sois « un test ».
Il n’y a pas que la taille, d’ailleurs : quand j’arrive sur un set avec mon afro, j’ai toujours une appréhension quand je sais que la coiffeuse n’est pas noire. Parce que je sais que les cheveux texturés ne sont pas au programme des formations de coiffure en France, et que souvent, on ne sait pas comment gérer mes cheveux. Je n’ose rien dire quand je les vois faire de leur mieux, mais je finis toujours par aller dans les toilettes me recoiffer moi-même.
Le travail de mannequin, entre Instagram et réalité
Le métier de mannequin est très idéalisé, et finalement assez mal connu. Avant de le faire, j’imaginais que j’allais porter des vêtements incroyables que j’aurais choisis, collaborer avec des marques qui me faisaient rêver… La réalité, c’est plutôt l’impossibilité de s’asseoir pendant une journée pour ne pas froisser des vêtements, d’une marque qui dans la majeure partie des cas ne me dit rien de spécial.
Mais au-delà de ne pas choisir ce que l’on porte, on ne choisit pas non plus la manière dont on est montrée. L’image de soi dans le miroir, et l’image que l’on voit une fois les photos prises sont des choses très différentes, et c’est une partie difficile du métier pour moi. Ce n’est pas parce que je suis mannequin qu’il n’y a pas des aspects de mon physique qui me complexent, sur lesquelles je suis très focalisée, et je n’ai aucun contrôle sur la manière dont ces aspects vont être montrés au public.
C’est mon métier, et je suis payée pour ça, donc je le fais. Mais je crois que c’est important de pouvoir dire aussi qu’on a des complexes, que c’est une position de vulnérabilité, parfois renforcée par le fait d’être traitée comme un objet.
Rentrer d’un shooting et pleurer parce que je me sens mal, c’est aussi quelque chose qui m’arrive régulièrement dans le cadre de mon travail. Mais cette sensation est tempérée par le fait de savoir que je peux représenter d’autres personnes : même si je ne me sens pas bien, je sais que mon image en tant que femme « curvy » peut aider celles qui me ressemblent à se sentir mieux, à se sentir valorisées là où pendant longtemps, elles étaient moquées et invisibilisées. Être bien entourée m’aide beaucoup à surmonter tout ça.
C’est aussi pour ça que je me suis lancée sur TikTok, parce qu’adolescente, j’aurais aimé voir des meufs comme moi sur les réseaux sociaux (d’ailleurs, aujourd’hui encore, il n’y a pas tellement d’influenceurs ou d’influenceuses plus-size) et entendre parler des dessous du mannequinat. Il y a beaucoup de choses à savoir sur ce métier qui fait rêver, et j’ai envie de les partager !
À lire aussi : Y a-t-il véritablement un marché pour les mannequins grande taille en France ?
Crédit photo : fournie par Camille Mbaye
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