Pendant mon adolescence, j’ai fait partie de ces gens qui détestent les gens. Ce n’était même pas vraiment de l’introversion, juste un mépris analytique et froid face à la nullité générale de l’espèce humaine.
J’allais seule au cinéma, j’allais seule me promener et dessiner au parc, j’allais seule partout ; pas par défaut (paradoxalement, les gens trouvaient mon comportement intriguant, et me suivaient volontiers), mais bien par choix.
Après avoir passé quelques années à montrer les dents à toute personne souhaitant engager la conversation alors que j’étais plongée dans un bouquin, j’ai fini par acheter un marque-page. J’avais du temps à rattraper, et je suis passée de la curiosité polie à l’enthousiasme contagieux : j’ai compensé en devenant progressivement une grosse hippie extravertie. Un peu comme si un poney m’était tombé dessus et avait piétiné tous mes préjugés avec ses sabots à paillettes tout en fredonnant des chansons sur le pouvoir de l’amitié.
J’ai donc passé toutes ces dernières années auprès de plein de monde, mon moral retombant comme celui d’un Sims si je ne discutais pas avec quelqu’un pendant un laps de temps trop long : à moi le côté sacrément éclairé de la Force, incapable de rester seule pendant plus d’une journée. Du coup, j’ai fait péter les mouchoirs Hello Kitty quand à la fin de mes études, une partie de mes potes et moi fûmes séparés par la vie (et le travail, et l’amûr, et dans un cas bien particulier, des yeux de mouton).
Hébétée devant mon ordinateur, je leur envoyais SMS et mails à foison, leur écrivais sur Skype, mais je ne les voyais que très rarement à cause du prix des trajets (à la SNCF de me faire préférer le train : j’attends toujours). J’ai dû réapprendre à ne pas être accompagnée 24h/24. Vivre seule, manger seule, et faire les choses seule.
Puisque j’avais un jour adoré ça, puis détesté ça, il était temps de trouver un juste milieu sain entre sociabilité et activités en solo. Alors j’ai pris mon esprit critique analytique et mon optimisme de poney, listé les choses que je fais seule ou accompagnée, et fait un petit bilan !
Aller au cinéma seule
La première fois que je suis allée seule au cinéma, j’avais 16 ans et un goût certain pour tout ce qui était ünterground. J’étais allée voir Ken Park dans un petit cinéma d’art et d’essai ; les gens qui s’obstinaient à se considérer comme mes amis n’avaient aucune envie de voir un film sans explosions ni Hobbits.
Je me suis donc retrouvée seule, dans une salle quasi-vide, à regarder des ados perdus qui niquent pendant une heure trente. Et j’ai trouvé ça vachement bien.
Ces temps-ci, retourner seule au cinéma me faisait paniquer : j’avais l’habitude du blabla pré-film, du blabla post-film, de la queue interminable à plusieurs. Mais avec le recul, aller au cinéma en groupe est assez con : la consommation d’un film s’apparente à celle d’un livre ou de n’importe quel support narratif. Si tu veux suivre, il faut la fermer et être avec des gens qui la ferment. Les personnes qui font du bruit au cinéma méritent de voir leurs orifices fourrés au pop-corn salé. Et je ne parle pas de la bouche.
Du coup, pourquoi forcément vivre une expérience personnelle en groupe ? La seule réponse qui puisse me satisfaire est celle de la conversation analytique post-film, un exercice que j’apprécie énormément. Seulement, on n’est pas forcément avec la bonne personne pour ça (ah, mes amis qui rigolaient comme des hyènes en sortant du Labyrinthe de Pan alors que je pleurais toutes les larmes de mon corps…), on peut le faire plus tard, et prolonger l’expérience en rêvassant est bien agréable aussi.
- Les plus : c’est une expérience personnelle et introspective, personne ne te fait chier en te parlant pendant le film, en recevant un SMS ou en posant des questions.
- Les moins : tu ne peux pas en discuter tout de suite en sortant de la salle.
Faire les courses seule
J’adore manger, et faire les courses est un préliminaire excitant à la consommation de nourriture ; c’est un peu comme choisir avec soin du porno en sachant qu’après, tu pourras baiser en vrai. Sélectionner les ingrédients, affûter tes couteaux et faire mijoter loooongtemps avant de se délecter de la première bouchée…
Bon, vous comprendrez que du coup, les courses, ça se fait avec des gens qui aiment la cuisine autant que vous, ou justement n’aiment pas la cuisine si vous n’aimez pas ça. Les pop-tarts et le Kiri c’est bon aussi, je ne vous juge pas.
Faire les courses avec quelqu’un, ça signifie ne pas forcément être d’accord sur telle ou telle huile d’olive, mais il faut mieux prendre 6 oeufs au lieu de 12, attends t’as vérifié le numéro pour voir si c’est des élevées en plein air, non mais le liquide vaisselle là il me fait de l’eczéma, mais t’avais dit qu’on mangerait des Knackiiiiis !
Ça a son charme, mais ça devient vite relou, quoi.
- Les plus : tu peux acheter les aliments tantriques que TU désires. Liberté alimentaire totale, FREEDOOOOOM, WOHO FREEDOM !
- Les moins : tu paies tout. C’est l’jeu.
Faire du shopping seule
Faire du shopping à plusieurs, c’est bien particulier, que dis-je, c’est une ambiance. Ambiance Cristina Cordula « ma chériiiiie tou es soublaïme », ambiance « file-moi le top que t’as essayé par-dessus la paroi comme ça je teste, il me plaît bien », voire ambiance cabine des copines (Pimkie, cet endroit magique où certaines cabines ont un rideau qui s’ouvre sur le côté pour faire une cabine géante).
Selon les personnes avec qui vous faites les magasins, vous pouvez avoir des avis objectifs, des avis connards ou des avis hypocrites. Ces derniers sont ceux que je crains le plus : c’est comme ça qu’on se retrouve avec une robe « qui tombe trop bien » alors qu’on fait 1m50 et qu’elle traîne sur 40 cm.
Faire du shopping accompagnée inclut également de rester dans une boutique qui ne nous plaît pas pour regarder notre pote essayer la chemise bleue, puis la grise, puis la bleue, puis en fait rouge ça changerait, non ?
- Les plus : tu gères ton temps et tes boutiques comme tu le sens.
- Les moins : l’avis extérieur sera celui du vendeur/de la vendeuse. Qui veut vendre. CQFD.
Manger seule
Manger en discutant, c’est associer l’utile à l’agréable (si on arrive à ne pas parler la bouche pleine). Parce que même si j’adore manger, je suis incapable de ne rien faire en même temps.
Seulement, parfois, on se retrouve seul-e pour manger ; soit parce qu’on arrive dans un nouvel endroit où on ne connaît encore personne, soit parce qu’on habite seule et qu’on mange chez soi, soit par choix. Si manger seule chez moi ne me pose pas beaucoup de problèmes (j’ai toujours une série à rattraper), manger seule à l’extérieur m’a longtemps fait stresser. Quand ça arrivait, je terminais le plus vite possible pour retourner à des occupations plus sociales et je ne prenais pas le temps de savourer mon repas.
J’ai fini par ouvrir les yeux sur les aspects positifs de l’exercice, et me suis mise à parfois manger seule de mon plein gré : pour lire un bouquin en même temps, pour prendre le temps de savourer le calme, pour griffonner des portraits de gens à la table d’à côté dans mon carnet ou écouter d’une oreille distraite leurs conversations…
Le repas est un moment d’échange où tout le monde se détend du slip, et être seul-e, c’est avoir les mêmes avantages que le serveur : personne ne fait attention à toi et du coup, tu peux entendre des trucs très intimes et/ou drôles.
- Les plus : tu es telle l’espionne undercover, et tu peux faire les choses que tu n’as jamais le temps de faire entre le plat et le dessert (dessiner, organiser le reste de ta journée…)
- Les moins : tu peux t’ennuyer s’il n’y a personne à écouter ou si tu n’as pas prévu de quoi t’occuper pendant les temps morts.
Se balader et voyager seule
Je n’ai jamais sauté le pas du voyage en solo ; une expérience à tenter, je n’en doute pas, quand j’aurai fini de réapprivoiser ma solitude. En attendant, j’apprends à apprécier les balades sans personne pour me tenir le bras.
Forêt, ville, parcs… errer sans but paraît encore stressant à beaucoup de gens, ou semble être une perte de temps. Mais finalement, se retrouver seule avec soi-même dans un joli cadre, ça ne fait pas de mal !
C’est propice à la détente et à l’introspection, on peut en profiter pour faire un peu de sport (marche, jogging, vélo, rollers, patin à glace si tu habites vers Winterfell), et il faut avouer que si on pousse un peu l’effort, c’est chiant de causer en même temps. C’est aussi le moment idéal pour écouter de la musique ou des podcasts.
- Les plus : idéal si tu veux te détendre ou faire un petit bilan sur toi-même.
- Les moins : il vaut mieux prévenir des gens si tu vas faire du BMX seule dans un canyon.
Aller à un concert seule
Ayant bossé, dans des temps immémoriaux, pour un magazine musical, je chroniquais de nombreux concerts où je devais souvent me rendre seule : la magie des accreds qui me font entrer gratos, mais sans ami-e ayant envie de claquer sa thune dans un billet pour m’accompagner à un truc qui ne l’intéresse pas forcément (je suis allée voir Johnny, personne n’a voulu venir, bizarrement).
Le concert étant grosso modo l’endroit où je supporte le moins d’être seule, je n’ai jamais pleinement apprécié l’expérience, malgré mon amour de la musique. Beaucoup de gens qui sont là pour faire la fête, profiter, bref, swagger leur swag, et dans un coin, toi, avec tes lunettes et ton carnet, en train de noter la setlist. La lose.
Je n’ai commencé à sentir le confort potentiel de la situation qu’au dernier festival que j’ai fait : ayant accompagné deux amis photographes qui devaient régulièrement se barrer en accès presse, je me retrouvais souvent seule pendant les concerts. M’est alors apparue la logique même du festival, dont je n’avais jusqu’alors jamais profité car j’étais toujours occupée à parler à mes amis : parler aux inconnu-e-s !
De concerts en concerts, je n’ai finalement jamais pu expérimenter la solitude en milieu de fête, l’ultime, celle qui coince : j’avais toujours quelqu’un avec moi, que ce soit un accordéoniste, une fille aux jolis yeux bleus croisée dans la queue des toilettes, un gang de militants queer ou un couple fan de metal. L’ambiance festive se prête de toute façon au dialogue. Mais techniquement, j’y suis allée seule hein !
- Les plus : tu vas rencontrer de nouvelles personnes dans un cadre qui s’y prête.
- Les moins : pour l’introspection, le calme et un foie en bonne santé, c’est pas le top.
Alors, les activités en solo, c’est un grand oui ?
Ne pas être accompagnée dans ses activités a ses avantages et ses inconvénients, et vous l’aurez compris, ce qui fait qu’on kiffe ou pas, c’est de vouloir faire ces choses-là seule. La solitude par contrainte, c’est pas marrant, mais la solitude ponctuelle et choisie a de très bons côtés ! Dans tout ce qui a été listé, j’apprécie autant la version solo que la version à plusieurs (à part les courses).
Reste à passer deux blocages, qui ne sont pas des moindres. En premier lieu, il faudra convaincre vos ami-e-s et votre famille que parfois, vous préférez faire quelque chose seule. Ce n’est pas que vous ne les aimez pas, bien sûr, mais ils sont des kiwis alors que là tout de suite, vous avez envie de fraises. Mais c’est quand même très bien les kiwis hein, demain par exemple ?
Et il faudra ensuite passer le cap du maudit regard des autres, qui lancent parfois un regard lourd de mépris sur ces « losers » qui déjeunent en solitaire au restaurant. Mais si vous appréciez le moment que vous passez en votre propre compagnie, celui qui aura l’air d’un con, c’est celui qui vous jugera pour ça. Il est temps que les activités en solo soient revalorisées !
Et toi, pour quelles activités préfères-tu être seule ?
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
Pour le resto, je vous rassure personne ne vous dévisage quand vous mangez seule hein! Par contre les réservations pour UNE personne oui c'est ridicule haha