— Publié le 23 septembre 2016 à 19h30
Fabrice Florent accusé par « d’ancien·nes employé·es »
Que se passe-t-il dans les bureaux de madmoiZelle.com ?
Depuis mercredi soir, un compte Twitter anonyme relaie les témoignages « d’ancien·nes employé·es » du site, à glacer le sang. Harcèlement moral, harcèlement sexuel, conditions de travail à la limite de l’exploitation, manipulations et promesses de grandeur, humiliations… N’en jetez plus.
D’autres comptes partagent ces extraits en masse, parfois accompagnés d’insultes à l’encontre de Fabrice Florent.
Bonne ambiance sur le réseau social (non), à tel point que nous avons décidé de ne plus consulter nos mentions (depuis déjà quelques temps, tant elles étaient pourries de tweets haineux en provenance de milieux extrémistes, notamment suite à notre article sur le harcèlement des cols blancs).
D’abord sous le choc face à la gravité de ces accusations, nous avions publié un premier message sur le topic du médiateur (sur le forum), en attendant de pouvoir revenir nous exprimer (d’abord pour avoir un conseil de notre avocat, puis parce qu’on a un site à faire tourner, c’est notre job).
Dans l’après-midi, nous avons accueilli en nos locaux une journaliste de Rue89, qui s’était emparée du sujet. Étant donné qu’il est désormais sur la place publique, nous avons décidé de publier également notre réaction face à ces accusations.
La rédaction s’exprime en premier, puis Fab prend la parole. Ces propos ont été rédigés puis mis en ligne le 22 septembre, soit le lendemain du jour où tout a commencé (les accusations sont tombées le 21 au soir).
La réponse de la rédaction aux accusations envers Fabrice Florent et à #Badmoizelle
Bonjour tout le monde.
À l’issue de cette longue et mouvementée journée, on a pris un bon moment pour vous répondre. Car c’est important de le faire bien, et car vous méritez ce temps.
Ces réponses ne s’adressent pas tant à celles qui croient sans concession aux rumeurs, qui condamnent plus vite que l’éclair, qu’à celles qui se questionnent, se retrouvent paumées, en étau entre leur envie de croire des plaignant·es, et un magazine qu’elles aiment, une communauté qu’elles estiment.
Beaucoup de choses ont été dites, tweetées, partagées, déduites sur la vie des rédactrices de madmoiZelle. En se basant sur quelques témoignages anonymes et très succints, certain·es ont cru pouvoir tracer un tableau complet de notre vie, à nous, les membres de la rédac, qui cinq jours sur sept venons au bureau, écrivons pour vous, vlogguons, tweetons, recherchons des infos et autres joyeusetés.
Mais ce tableau ne ressemble pas à notre vie.
En premier lieu, que ce soit bien clair : il est fort possible que certaines anciennes salariées gardent un mauvais souvenir de leur passage chez madmoiZelle. nous ne sommes pas là pour nier la souffrance des personnes ayant témoigné. C’est tout à fait possible que d’ancien·nes employé·es aient vécu chez madmoiZelle une expérience négative : aucune entreprise n’est à l’abri de cette situation. Nous en sommes, finalement, les premières désolées.
Fab est humain, avant d’être patron, et aucun humain ne peut avoir des expériences positives avec tout le monde. On peut comprendre que parfois, ça coince. Que les incompréhensions, les erreurs créent des expériences négatives, des souffrances. Loin de nous l’idée de taper sur les personnes ayant témoigné, donc.
C’est juste que leurs témoignages ne reflètent pas du tout notre réalité.
Ce portrait de rédactrices manipulées par un patron pervers, qui leur jette de la poudre aux yeux, promets monts et merveilles pour motiver ses troupes sous-payées à faire des heures sup, qui les menace de les virer, cache sous un « humour » malveillant des épées de Damoclès… ce portrait, ce n’est pas le nôtre.
La première chose qui est ressortie, dans l’entretien collectif ayant abouti à cette réponse (et s’étant mené entre nous, sans Fab), c’est : « bienveillance ». Bienveillance de Fab envers nous, bien sûr, mais aussi bienveillance globale chez madmoiZelle.
La bienveillance qu’on cultive envers nous-mêmes, envers nos collègues, de la plus jeune stagiaire au plus chauve des patrons, mais aussi bienveillance envers nos lectrices.
Les membres de la rédac qui ont eu d’autres expériences professionnelles sont unanimes : une telle bienveillance, c’est rare et précieux. Là où certain·es ont lu « Fab nous oblige à faire de la vidéo, à nous mettre en avant, à parler de notre vie privée, au nom du profit, des heures sup », nous disons : « Chez madmoiZelle, on nous encourage à tester des choses, à sortir de notre zone de confort, à oser prendre des risques, on nous fait confiance ».
Et par « on », ce n’est pas que Fab qui est désigné : c’est une énergie globale, qu’il a insufflée, certes, et continue de nourrir, mais dont toute l’équipe s’est emparée.
Je vois ce portrait de rédactrices opprimées, manipulées, et je le compare à cette rédac vibrante, où les applaudissements fusent spontanément quand l’une d’entre nous réussit une nouveauté, est fière d’un article, a réussi à interviewer une star sans se démonter. Il y a un peu plus que sept différences…
Mais encourager, ce n’est pas forcer. Le « non », chez madmoiZelle, est toujours entendu — l’inverse serait quand même le comble, pour nous qui parlons si souvent de consentement.
Quelques exemples, en vrac :
- Quand une rédactrice a dit à Fab qu’elle ne voulait pas s’occuper de trier des propositions d’articles, et qu’il a dit ok
- Quand Fab nous encourage à participer au micro pendant les Nuits Originales, que beaucoup n’osent pas ou ne veulent pas, et que ça n’a pas de conséquences
- Quand la quasi-intégralité de la rédac décolle dans un nuage de poussière à 18h01, parce que la fin de la journée c’est 18h
- Quand une autre rédactrice a décidé de ne plus faire de vidéos car ça ne lui plaisait plus
« — Non, je ne veux pas trier. Non, je ne veux pas parler au micro. Non, je ne veux pas faire d’heures sup. Non je ne veux pas refaire une vidéo. — Ok. Alors ne le fais pas. »
Nous sommes la rédac de 2016. Nous bénéficions du madmoiZelle de 2016, du Fab de 2016 qui a appris, comme tout le monde, de ses erreurs. Qui a pu échouer. Qui a pu blesser. Mais ce n’est pas parce que c’est arrivé par le passé que ça nous arrive, à nous.
Parfois, à lire toutes ces conclusions hâtives, je suis en colère. En colère qu’on parte du principe que mes collègues et moi sommes soumises, éprises de Fab, au point d’en oublier notre libre-arbitre.
Nous ne sommes pas de « petites meufs impressionnables ». On a une vie, des opinions, une estime de nous-mêmes. Personne ne nous a demandé si on était opprimées avant de le décider… à notre place.
Comment pourrions-nous vous parler sincèrement de consentement, d’amour de soi, de lutte contre divers harcèlements, tout en étant des moutons de Panurge bêlant paisiblement devant un berger tout-puissant ?
Personne ne nous a demandé notre avis. Personne ne s’est enquis de notre vie.
Personne n’est venu se rendre compte que « Eh t’aimes bien ça, fais-en un article » c’est un gag interne à la rédac, dont on a même fait un visuel à la Stranger Things tellement ça nous fait marrer.
Personne n’est venu se rendre compte que quand on dit « Vas-y Fab, me vire pas s’il te plaît » c’est en riant (et généralement parce qu’on a fait une blague sur sa calvitie).
Personne ne nous a demandé de mettre des photos de nos seins sur madmoiZelle. Personne ne nous a demandé de faire le ménage — hors « vie en communauté », genre merci de pas laisser un Tupperware plein de fromage fondu sur la table.
Personne ne nous a fait miroiter un salaire plus élevé pour nous attirer, au contraire : le SMIC est systématiquement abordé en entretien d’embauche, pour que ça soit clair dès le début.
Personne ne nous a opprimées, en fait. Alors ne le faites pas pour nous. Venez nous voir, venez voir comme on est opprimées.
Nos portes sont ouvertes, vous savez, du lundi au vendredi, de midi à 14h. Venez avec votre Tupperware de bouffe ou un des délicieux bagels du bas de la rue, posez-vous avec nous. Écoutez-nous rire, brainstormer, taquiner Fab, faire la sieste, repartir bosser.
Et venez nous dire, après ça, qu’on est opprimées.
— L’ensemble de la rédaction de madmoiZelle.com
La réponse de Fabrice Florent à #Badmoizelle
Bonjour à tou·tes (salut Twitter, hein !). J’ai pris connaissance des messages postés hier soir vers 22h30. Ça m’a mis une grosse claque dans la gueule. Je me suis demandé ce que j’ai bien pu faire pour mériter un tel déferlement de haine. Des erreurs, sans doute.
Mais s’il y a bien un endroit où en tant que patron, j’ai des comptes à rendre pour des erreurs d’ordre social, c’est au conseil des Prud’Hommes, et certainement pas dans un tribunal virtuel, sur Twitter.
Il existe en France des lois, que tout chef d’entreprise se doit de respecter, et le droit du travail français étant bien fait, n’importe quel·le salarié·e a le droit de venir réclamer des comptes s’il ou elle estime que ses droits ont été bafoués.
En bientôt 11 ans, madmoiZelle a embauché plus de 80 personnes, en CDD ou en CDI, a eu des relations contractuelles avec des freelances, a formé des stagiaires, a payé ses charges sociales, et jusqu’alors, je n’ai JAMAIS eu à me présenter devant les Prud’Hommes.
En 11 ans, il y a eu naturellement des départs plus compliqués que d’autres, mais qui ont toujours été effectués dans le respect de la loi.
Chaque salarié·e dispose d’un délai fixé par le code du travail pour contester ce départ, il/elle peut alors le faire sans aucune forme de pression, étant déjà sorti·e de l’entreprise, voire après avoir déjà retrouvé un autre poste. (Exemple : délai de 12 mois pour revenir sur une rupture conventionnelle).
Je ne nie pas du tout le ressenti de ces anciennes employées, le problème à mon sens avec cette forme de call out étant plutôt que ça m’oblige à me défendre, et la tentation est grande de contredire, démonter ces témoignages.
Or il est tout à fait possible que ces personnes aient mal vécu leur passage ou leur départ de madmoiZelle, sans pour autant qu’aux yeux de la loi, l’entreprise ou son dirigeant ait commis une faute.
Et c’est bien là tout le dilemme : je me retrouve aujourd’hui face à des accusations graves, portées par des personnes anonymes, reposant uniquement sur des témoignages, donc sans autre moyen de me défendre que d’attaquer lesdits témoignages.
Ils contiennent des erreurs factuelles facilement démontables (le processus de négociation d’une rupture conventionnelle, l’organisation de la rédaction, les relations contractuelles, pour ne citer que celles-ci). Ils transmettent aussi des ressentis, qui ne peuvent pas légitimer la diffamation et les injures dont je fais l’objet depuis hier soir.
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de porter plainte à l’encontre des propos les plus gravement préjudiciables à l’honneur de madmoiZelle et ses équipes, sur le conseil de mon avocat.
De la même façon que je ne compte pas me défendre en place publique, je ne compte pas plus attaquer de la sorte, c’est pourquoi la suite de cette affaire se déroulera entre les auteur·es des tweets concernés, nos conseils respectifs et moi.
Pour être complet sur le sujet, une journaliste de Rue89 nous a sollicité·es ce midi. Nous lui avons proposé de venir à la rédac, afin de répondre à ses questions.
J’en profite pour faire un grand appel à toutes celles qui doutent de l’ambiance à la rédac ou qui peuvent imaginer que je suis le despote pervers que ces comptes Twitter dépeignent : nos portes sont ouvertes TOUS les jours de la semaine, de 12h à 14h, ramenez votre dej, et venez passer ce moment avec nous. J’ose espérer que cette expérience achèvera de lever vos doutes.
Un dernier point, très important à mes yeux, car il est constitutif de tout l’objectif du projet madmoiZelle : je n’ai JAMAIS passé un coup de fil ou envoyé un mail pour « griller » qui que ce soit dans mon réseau. Bien au contraire.
Je me réjouis de pouvoir systématiquement ouvrir mon carnet d’adresses et recommander qui le souhaite en cas de besoin, faciliter les entrées de qui le souhaite selon ses envies.
C’est pour ça que je bataille à faire grandir mad depuis 11 ans.
— Jeudi 22 septembre
#Badmoizelle, et après ?
Une action judiciaire est en cours de notre côté. Devant le déferlement dont nous avons fait l’objet, nous sommes contraint·es de saisir la justice, à l’encontre au moins de certains de nos détracteurs, parmi les plus virulents.
En attendant, the show must go on, et on va continuer à produire des articles, des vidéos, des vlogs, du LOL, des témoignages… Pour vous faire kiffer, parce que ça nous fait kiffer, et aussi parce que c’est notre job, et que tant que madmoiZelle continuera à tourner, on va continuer à faire notre job !
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Les Commentaires
Et franchement cet article a pas mal influencé ma manière de concevoir mon futur: j'ai expérimenté la différence d'ambition et de salaire, bilan je me suis retrouvée avec la charge mentale. Pour mon compagnon actuel, c'était un point positif que jamais il ne gagnerai plus que moi (même s'il a de l'ambition), au moins quand on discute de notre avenir professionnel à tous les deux, on réfléchit vraiment. Par contre mes copines dont le mari gagne 2 à 3 fois leur salaire, je suis convaincue qu'avec les enfants elles vont travailler à mi-temps et qu'elle continueront donc à gagner encore moins et qu'elles auront moins de poids sur les décisions pro du couple.
Quand elle parle de représentation de ce qu'est une carrière féminine réussie, c'est vrai qu'à chaque fois on parle d'avoir réussi à concilier sa vie de famille et sa vie pro. Alors que pour un homme, une carrière réussie c'est d'avoir un poste à responsabilité, d'avoir un secrétariat formidable qui lui arrange pas mal de problème, d'avoir des primes, des relations. Alors oui ces représentations sont capitalistes. La grosse voiture, le chauffeur, la montre, les horaires à pas d'heures et le personnel de ménage, c'est de la représentation capitaliste. Mais vouloir que les femmes aient ces mêmes représentations quand elles parlent de leur carrière, plutôt que d'avoir une bonne nounou et de faire ses courses au drive pour avoir le temps de tout faire, c'est féministe.
Par contre elle s'est bien gourée sur le plafond de verre en disant qu'on peut le péter si on le veut. On a même inventé la falaise de verre pour les femmes qui arrivent à péter le plafond.
Mais ce que je reproche au podcast, c'est qu'ils connaissent bien le travail de Maia vu qu'ils le conchient. Ca m'aurait plus intéressé de connaître leur opinion sur ce qu'elle fait maintenant. Si elle a fait évoluer son discours ou si elle est toujours dans la même rhétorique.
Comme tu dis, on évolues dans une époque donnée, les courants de pensée maturent doucement, on ne les intellectualise pas tous en même temps. C'est pas mauvais de penser un truc à un moment de sa vie si ensuite on évolue et qu'on se rend compte que nos précédentes convictions n'étaient pas recevables.
Je me suis aussi fait une réflexion: Si Madmoizelle était the place to be à un moment pour le féminisme de masse (donc pas un féminisme poussé) alors que rétrospectivement il y avait plein de trucs pétés dans les articles, c'est que le reste de la presse française devait être tellement au ras des paquerettes niveau féminisme... (si je me souviens bien Causette était dans la tourmente à ce moment là, et à part Mad et Causette, il n'y avait rien d'autres qui parlait au moins un peu de féminisme)