Quand j’étais jeune (comprenez le collège/lycée), je voulais être journaliste/rédactrice dans des magazines pour enfants. Les études aidant, je me suis retrouvée à faire une licence de communication/journalisme en Belgique, suivie d’un master 2 en alternance en communication/marketing à Lille.
C’était décidé, la communication, ça me plaisait bien. Je l’avais découverte durant mes nombreux stages et durant mes deux années d’alternance. Adieu le journalisme (t’façon, le secteur est bouché), et bonjour la communication interne ! C’était ça que je voulais faire et j’aimais ce métier.
À la fin de mon master 2, j’ai été embauchée dans l’entreprise qui m’avait prise en alternance. J’avais 23 ans, j’étais diplômée d’un master 2 et j’avais un CDI en contrat cadre dans une agence Web start up, avec un boss génial, qui croyait en moi et des collègues sympas. Pouvais-je rêver mieux ? A priori non. Et pourtant…
La désillusion
J’avais vraiment bien aimé mon année d’alternance dans cette start up : les missions qu’on me confiait me plaisaient, et je travaillais avec envie et entrain. Bon, comme dans tous les boulots, il y avait une part de tâches ingrates que je n’aimais pas faire, mais j’arrivais à passer outre.
Au début de mon CDI, avec mon boss, on a revu mon poste et je me suis vue assigner des missions de commerciale avec des objectifs chiffrés et des primes, chose pour laquelle je ne suis absolument pas faite et que je n’aime pas faire. C’était intéressant en matière de rémunération mais pas en matière de développement personnel. Ça me gonflait, clairement.
C’est à partir du CDI que ma motivation s’est dégradée. Mon boss l’a bien compris, on a revu mon poste à la baisse. Je ne faisais plus du commercial mais du suivi client. À chaque entretien avec le patron, je reprenais du poil de la bête et me remettais au travail avec ardeur.
Mais un jour, après un énième entretien, impossible de me remettre à la tâche. C’était fini, je n’aimais plus mon travail, j’attendais les fins de journée avec impatience, je ne parlais plus de mon taf avec enthousiasme. Je voulais quitter cet emploi même si c’était ce dont tous les jeunes de mon âge pouvaient rêver.
Il faut que je quitte cet endroit. Je pense que je vais devenir fou.
Que faire, alors ?
Je me souviens qu’après la licence, j’avais postulé dans une école privée pour y faire un master de communication ; lors d’un entretien oral, j’avais dû faire une espèce de book qui me décrivait. Dans mes projets, j’y avais noté « CAP coiffure ». Lors de l’entretien, le jury m’avait demandé des explications. J’avais répondu que j’avais toujours aimé la coiffure et qu’un jour, je passerais un CAP pour pouvoir coiffer et couper les cheveux de mes proches, plus comme un passe-temps que comme un emploi.
Durant mon année de CDI, ce projet a pris de l’ampleur dans ma tête : je voulais quitter la communication pour aller vers le secteur de la coiffure. Je savais que si je ne le faisais pas, je le regretterais à 50 ans, même si je finirais peut-être par me rendre compte que la coiffure non plus, ce n’était pas mon truc.
Le début du parcours du combattant
On était en juin, et la rentrée
était en septembre. Je ne supportais plus mon taf et il fallait que je le quitte. Mais j’avais l’énorme trouille de le dire à mon boss, de demander une rupture conventionnelle. Je ne savais pas comment lui dire sans le décevoir. Au final, ça s’est plutôt bien passé pour moi puisque c’est lui qui me l’a proposée. J’étais soulagée qu’il y ait pensé et j’ai vu aussi le soulagement dans ses yeux lorsque j’ai accepté sa proposition.
Mon départ s’est fait facilement et rapidement. Le 23 août, je quittais officiellement mon emploi et je devais solder mes congés avant cette date. Ça m’a permis de partir en vacances et surtout, de chercher une école et un salon de coiffure qui m’embaucherait en alternance.
La transition
J’ai eu de la chance de rencontrer des personnes compétentes à la chambre des métiers de Lille, qui m’ont expliqué comment ça marchait, ce que je devais faire pour obtenir un contrat, etc. Sur un site, j’avais trouvé quelques établissements dans mon coin qui cherchaient des contrats en CAP coiffure, dont un salon lillois assez réputé.
J’ai déposé quatre CV et lettres de motivation dans les salons que j’avais trouvés sur le site, en indiquant que j’avais un parcours atypique, et je suis partie en vacances avec des amies. Je savais qu’en rentrant, je devrais retourner voir les responsables et demander à faire des jours d’essais. Ça n’allait pas être facile.
Ce qui était encore plus difficile dans ma démarche, c’est quand j’ai appris à ma famille, non sans fierté, que je quittais mon emploi pour me lancer dans un CAP coiffure. Jusqu’alors, j’avais toujours été soutenue dans mes choix. Ce jour-là, j’ai eu droit à des regards dubitatifs, et… déçus. Déçus que je quitte un CDI en contrat cadre dans une start up à l’avenir prometteur, déçus que je « régresse » dans un niveau BAC-3 alors que j’avais un niveau BAC+5, déçus que je ne persévère pas dans la communication.
J’avais même l’intention de l’annoncer publiquement lors d’une grande réunion de famille, mais je me suis vite ravisée quand ma tante, à qui je m’étais confiée en avant-première, m’a dit que ce n’était « pas un métier enrichissant ». Ma mère a été jusqu’à me demander si je ne voulais pas voir un psy pour en parler. Eh non, je ne voulais pas m’assoir en face de quelqu’un pour lui raconter ma vie, je voulais AGIR et partir en CAP coiffure ! Soutien familial : zéro.
Heureusement, j’avais un autre genre de soutien : mes amis et mon mec de l’époque. Ils étaient tous à fond derrière moi, me demandaient où j’en étais dans mes recherches, et trouvaient que j’avais un sacré courage pour repartir dans des études. Ils croyaient en moi. Quand ma famille me cassait mon projet, mes amis étaient là pour me remettre en selle et me forçaient à croire en mon projet de vie.
L’embauche
J’étais plutôt partie dans le secteur avec quelques belles casseroles : j’avais 24 ans et un master, et je voulais faire mon CAP en un an au lieu de deux. Cela signifiait que j’allais coûter plus cher qu’un candidat de 15 ans qui sortait de 3ème et qui serait embauché pour deux années. À l’inverse, je pouvais mettre en avant ma maturité (je sais ce que c’est de travailler) et ma reconversion était empreinte de volonté, de courage et de motivation.
Je crois qu’en terme d’embauche, j’ai toujours eu le cul bordé de nouilles car je n’ai jamais galéré à trouver un stage, un contrat en alternance ou un emploi. Et ma bonne étoile m’a encore suivie pour mon CAP coiffure puisqu’en vacances, le fameux salon de coiffure réputé de Lille m’a appelée pour que je fasse un jour d’essai chez eux à mon retour de vacances. Joie et hystérie !
Le samedi matin suivant mon retour de vacances, j’étais en essai chez eux. Ce n’était pas le jour le plus évident mais peu importait, je n’allais pas commencer à cracher dans la soupe. J’ai passé cette première journée à accueillir les clients, à les installer, leur apporter un peu de lecture et du café. Pas très folichon en soi, mais c’était pour me faire embaucher.
À midi, la boss en charge des apprentis m’a dit qu’elle n’avait entendu que du bien de moi parmi les coiffeurs et que j’étais engagée à partir de septembre. J’avais trouvé un contrat d’apprentissage pour mon CAP coiffure, et pas dans n’importe quel salon en plus !
L’envers du décor
On pourrait croire qu’un salon de coiffure, ça envoie de la paillette, de la beauté et de la fraîcheur. Si cela est vrai pour le client, ça n’est pas forcément la même chose pour les coiffeurs et surtout pour les apprentis.
Dans le salon haut de gamme où je travaillais, mon travail consistait à accueillir le client, faire son shampoing, lui apporter de la lecture, du café, à balayer le salon et à laver, sécher et plier les serviettes. Pour l’enrichissement professionnel, on repassera.
Je me souviens d’un moment au début de mon CAP, quand j’étais en train de passer le balai, me demandant ce que je foutais ici, à ramasser des cheveux coupés avec un master en poche… Puis je me suis ravisée en me disant que si je commençais à penser comme ça, j’étais mal barrée. Dans tous les boulots, on commence par faire des trucs peu reluisants. Je me suis donc accrochée.
J’ai aussi dû batailler pour apprendre à couper les cheveux. Dans mon salon, les coiffeurs n’avaient pas de temps à m’accorder pour m’expliquer comment faire un simple dégradé long par exemple. J’ai dû les embêter et leur prendre du temps pour qu’ils m’expliquent, les mettre à la bourre dans leurs journées, essuyer des refus et des engueulades. J’ai travaillé quasiment six jours sur sept, en ramenant des modèles sur mon jour de repos en début de semaine pour apprendre à couper.
Mes petits camarades de classe
À l’école, je savais à quoi m’attendre en terme de population. Malheureusement, le secteur de la coiffure en France souffre de préjugés et n’est pas très bien considéré. Je me suis donc retrouvée en classe avec des ados de 15/16 ans, qui n’avaient visiblement pas la même motivation que moi. J’ai quand même eu la chance de faire partie de la classe des CAP coiffure qui se faisaient en un an (au lieu de deux, donc) avec des personnes en reconversion comme moi ou des redoublants. J’avais donc des potes de 30 ans dans ma classe.
Je savais aussi que le niveau scolaire du CAP coiffure risquait de me lasser, mais j’ai eu la bonne surprise d’apprendre de nouvelles choses, bien que le niveau soit plutôt « lycée ». En faisant mon CAP en un an, j’échappais aux cours de français, anglais, maths, histoire/géo, qui, pour le coup, m’auraient vraiment déprimée. Les cours professionnels que je suivais étaient relativement intéressants puisque j’apprenais la biologie du cheveu et de la peau, la technologie de la coiffure, le dessin et les cours pratiques bien entendu.
Au bout du compte…
Au final, j’ai passé une année profondément enrichissante et je ne regrette pour rien au monde de m’être reconvertie. Ce CAP m’a épanouie professionnellement ; je me suis rendue compte que c’est dans ce secteur que je veux travailler et que plus jamais je ne repartirai dans un métier purement de communication, derrière un écran du lundi au vendredi de 9h à 19h.
Je préfère largement travailler le samedi, être debout toute la journée, me confronter à des clients pas toujours sympas, m’abîmer les mains au contact de l’eau et des produits de coiffure, mais surtout travailler le cheveu, passer du temps à apprendre à couper, à donner une forme, une texture et globalement… à rendre les gens beaux !
Cette reconversion et ce secteur me conviennent tellement que j’ai décidé de me faire tatouer un peigne et une paire de ciseaux sur les poignets. J’ai aussi créé une page Facebook pour y poster toutes les coupes que je fais sur mes modèles ainsi que les coiffures que je fais sur moi ou mes amies, et je n’ai jamais autant donné mon numéro en soirée pour couper des tifs !
Et surtout, malgré la mauvaise image du métier de coiffeur en France, je n’ai jamais été aussi fière de ma profession !
Le regard des membres de ma famille a changé également. Il leur a fallu un peu de temps pour comprendre que ma motivation était forte, que ça n’était pas une lubie et que j’aimais vraiment ce que je faisais, en me donnant à fond dans ces nouvelles études.
Je me suis confrontée à des difficultés que je n’imaginais pas, et je me suis pris quelques claques. La première fois que j’ai essayé de faire un brushing souple (comprenez : avec des boucles), j’ai vraiment galéré ! Prendre des mèches de cheveux et leur donner une forme de boucle grâce à la brosse ronde était un geste vraiment compliqué pour moi.
J’ai aussi appris que mon poste d’apprentie coiffeuse dans un gros salon réputé était bien plus complexe que faire des shampoings et du café, et que mon rôle était d’être coordinatrice du salon : faire en sorte que les clients n’attendent pas avant d’être pris en charge, que les coiffeurs ne courent pas après leurs clients, représenter le salon de coiffure en étant toujours impeccable, etc.
J’ai compris que le métier de coiffeur ne s’apprend pas en quelques mois, ni en une année, ni même en cinq ans, mais qu’il faut bouffer du cheveu pour être à l’aise avec une coupe, un diagnostic pour une couleur ou un beau chignon, et que, de ce fait, je n’étais pas au bout de mes peines.
Au bout du compte, j’ai obtenu mon CAP coiffure. Je n’en suis pas peu fière ! Ce diplôme n’est pas une fin en soi mais plutôt une clé pour ouvrir la porte suivante de mon avenir professionnel : le Brevet Professionnel. Le CAP (certificat d’aptitude professionnel) permet d’exercer la profession de coiffeuse en tant qu’employée dans un salon ou à domicile, et le BP (brevet professionnel) se fait en deux ans et permet d’ouvrir un salon.
Aujourd’hui, je me suis de nouveau lancée dans un parcours du combattant pour trouver un salon qui m’embauchera pendant deux ans pour mon BP. Et en ayant (bientôt) 25 ans, je me trimballe les mêmes casseroles que quand je cherchais un contrat CAP.
Je pourrais ne pas passer mon BP mais je préfère aller jusqu’au bout de la formation pour avoir un maximum de possibilités, et je ressens le besoin de me former davantage ; je ne suis pas encore assez à l’aise avec le métier de coiffeuse pour postuler à un vrai job. Concernant les avantages que je présente, ma motivation est encore plus forte et ma volonté de continuer dans ce secteur est renforcée !
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Les Commentaires
Aujourd'hui, je suis dans un autre super salon de Lille pour mon BP (que j'ai obtenu non sans mal à cause de mon âge et ma rémunération). J'y ai plus d'importance que lors de mon CAP, je fais des couleurs, des coiffures, des brushings, j'adore tellement mon taff depuis cette année !
Je me rends compte aussi que le CAP est vraiment un passage ingrat dans la coiffure. Un ancien collègue (et mon maître vénéré en coiffure) m'avait dit que le CAP était toujours une mauvaise expérience. Comme il avait raison !!
En tout cas, je souhaite vraiment que mon article booste les Madz qui songent à la reconversion. Foncez ! Votre vie n'appartient qu'à vous et votre épanouissement professionnel aussi ! On passe assez de temps au travail pour rentrer chez soi déprimée ! Les contraintes liées à la reconversion sont tellement peu de choses par rapport au bonheur de faire ce qu'on aime. Je n'ai pas hésité une seconde pour passer d'un salaire de 1400 à 900, je n'ai pas hésité une seconde de passer d'un statut cadre à un statut d'apprentie CAP, je n'ai pas hésité une seconde de passer d'un job du lundi au vendredi sur un fauteuil de président à un job où je travaillerais le samedi, debout à courir partout.
Un seul mot d'ordre : éclatez-vous !
Et pour les Madz lilloises qui souhaitent se faire coiffer gratuitement, n'hésitez pas à me contacter, je cherche des modèles constamment !
Merci encore pour votre soutien
PS : ça y est, je suis tatouée, j'ai une petite paire de ciseaux sur le poignet gauche et un petit peigne sur le poignet droit