J’ai 27 ans et j’ai été contaminée par le coronavirus.
Le témoignage qui suit n’est pas le récit d’une semaine type d’une personne infectée, mais plutôt un coup de gueule contre les comportements très immatures qui n’ont de cesse de fleurir à l’approche du 11 mai.
Mon texte est virulent, car comme vous le lirez plusieurs fois, je suis en colère.
J’ai donc décidé de mettre mon calme habituel entre parenthèses pour m’adresser directement aux personnes qui font preuve d’un dédain total envers tout ce qui se passe.
Je ne cite personne, je me base simplement sur l’observation et les dires de bonne foi de gens que je connais et qui sont tout aussi choqués et révoltés que moi.
Si certains et certaines peuvent se reconnaître dans ce que j’écris et ont le bon esprit de changer d’attitude, même une ou deux, je serai contente.
Je suis en colère contre toi qui ne respectes pas le confinement
La date sans doute la plus attendue des Français et Françaises, après celle du premier barbecue, approchant à grands pas, je suis une infectée bien en rogne.
Pas contre le virus, non. Il fait sa life de virus.
Je ne vais pas te conter ma quinzaine désastreuse rythmée par les joyeusetés du corona dans un romantisme léché digne de la Dame aux Camélias, ni ne cherche à me faire plaindre.
Je n’ai pas de pathologie grave, je suis en vie. Je n’ai pas non plus perdu de proche.
J’ai la chance de ne pas être entassée à cinq dans un appartement bien trop petit, ni de devoir aller au front (puisque « nous sommes en guerre », filons la métaphore jusqu’au bout) tous les matins sans la moindre considération de celles et ceux qui me gouvernent.
Non. Mon point est tout autre, et la légitimité de m’exprimer n’en est pas pour autant réduite à néant.
Figure-toi que la colère est loin d’être mauvaise conseillère en toute situation, elle sert à poser des limites quand ton interlocuteur ou interlocutrice va trop loin.
Aujourd’hui, je n’ai pas honte de dire que c’est bien elle, ma meilleure conseillère. Elle est diffuse, amère et bien vive.
Elle gronde contre les gens dont tu fais peut-être partie qui prennent encore tout ce bordel à la légère alors que le nombre de morts et de personnes contaminées est encore bien loin d’avoisiner le zéro.
Et décharger toute cette colère avec mes potes et ma famille sur Whatsapp ne suffit plus.
Dans l’immédiat, à défaut de pouvoir écrire à mes charmants et charmantes ministres et espérer une carte postale avec des promesses de changement concret et mesures intelligentes, je t’écris à toi.
Toi qui ne respecte rien, même en cette période. En temps normal, je suis plutôt encline à la conversation posée et me départis d’un ton accusateur afin que le dialogue soit construit.
Mais voilà, le temps n’est pas normal et aujourd’hui, je t’accuse, parce que je n’en peux plus.
Aujourd’hui, je ferai fi des règles de bienséance, de conversation non-violente et autres techniques de diplomatie pour faire passer le message, et n’épargnerai pas ton petit égo qui ne veut surtout jamais être froissé, jamais être critiqué.
Il est grand temps que tu prennes conscience d’un certain nombre de choses.
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J’ai respecté les gestes barrière et le confinement, et j’ai attrapé le coronavirus
D’abord, laisse-moi te dire que les gestes barrière, je les ai pratiqués avec une observance parfois à la limite de la psychorigidité.
J’en allais jusqu’à désinfecter les paquets de courses au gel hydroalcoolique avant de les ranger, faire des machines à 60°C de torchons, serviettes de bain et fringues deux fois par semaine, javelliser régulièrement les surfaces que j’utilise le plus, désinfecter les éponges…
Faute d’avoir pu me procurer un masque, je cachais mon nez derrière deux tours d’écharpe pour espérer limiter l’entrée des miasmes lors de mon unique sortie hebdomadaire de ravitaillement.
Et tu sais quoi ? Le covid, je l’ai chopé. Tu veux que je te raconte ? C’était l’éclate.
Poussées de fièvre de cheval, vomissements, diarrhées aiguës, et chaque jour, un nouveau symptôme sympathique :
- des plaques rouges qui démangent sur les poignets et les cuisses
- la perte de goût, de l’odorat
- des vertiges
- souffle court
- des courbatures intenables et permanentes comme si on me rouait de coups chaque soir
Pour finalement ne plus pouvoir faire trois pas sans devoir me tenir aux murs car je perdais l’équilibre. Même pas de répit pour une simple douche.
Quinze interminables jours au lit sans pouvoir faire quoi que ce soit, puisque mon corps ne suivait plus.
Et tu vois, ça, c’est sans problème cardiaque sérieux, diabète, insuffisance rénale ou autre pathologie qui m’aurait rangée dans la catégorie des personnes dites « à haut risque ».
Mais dois-je te remettre dans le crâne qu’une jeune fille de 16 ans est décédée en quelques jours, alors qu’elle ne présentait aucun souci de santé particulier ? Visiblement, oui.
Pendant que des personnes meurent, tu penses à ton barbeuc
Moins d’une semaine. C’est le temps qui nous sépare de la date du déconfinement.
Et malgré tout ce que je reproche au gouvernement, cette date butoir a été mise en place pour une raison : réduire d’ici là le nombre de malades à tester et isoler pour espérer que le déconfinement se passe un peu plus sereinement que ces derniers mois, et éviter une rechute générale.
En une poignée de jours (enfin, depuis le début du confinement d’ailleurs), j’ai pu collecter çà et là bon nombre de preuves accablantes et décourageantes de ton manque de discernement, et pire, de ton égocentrisme en toutes circonstances.
Et dois-je te rappeler que celles dans lesquelles nous nous trouvons actuellement portent un nom : PAN-DÉ-MIE. Avec des morts. Visiblement, oui.
Un cinéma en plein air dans la cour d’un immeuble avec une vingtaine de personnes agglutinées ? On s’en fout, faut bien vivre.
Un apéro entre voisins qui se parlent à deux centimètres du bec ? LOL. On est en zone verte, faut se détendre.
Un petit rendez-vous coolos entre parents pour que les gosses puissent jouer ensemble ? Roh la la, je suis bien rabat-joie, faut les laisser s’aérer un peu !
En un mois à peine depuis début mars, deux de mes amies proches ont chacune assisté, impuissantes, à la mort de quelqu’un qu’elles aimaient
. Sans avoir pu les voir une dernière fois, sans avoir pu être à leurs côtés.
T’as toujours envie de claquer un barbeuc dans la rue avec tes voisins pour faire la nique aux directives sanitaires, pendant que des gens meurent dans des services saturés sans leurs proches pour les accompagner ?
N’était-ce pas toi qui venais me parler de solidarité, d’amour, d’humanité et d’importance capitale de la fraternité quand les attentats ont touché tes compatriotes il y a quelques années ? Où sont passés tes idéaux ?
Des beaux discours, rien de plus. Seulement des mots bankables agrémentés d’arcs-en-ciel et de cœurs qui font bien joli sur tes réseaux sociaux.
Qu’est-ce qu’il te faut de plus pour que tu imprimes ? Un décès dans ton entourage ?
Je suis en colère contre ton égocentrisme
Ton comportement et ton air hautain d’ado attardé·e qui se sent trop badass parce qu’il ou elle défie l’autorité ne m’inspirent que dégoût.
Tu chies à la gueule des personnes qui n’ont rien demandé et voulaient vivre, qui ont payé cette épidémie de leur vie — épidémie à laquelle, désolée de te le dire, tu participes encore bien largement.
Tu chies à la gueule du personnel soignant qui s’épuise depuis des années déjà à bosser avec un lit pour quinze, des cures-dents et des sacs poubelle, et s’échine à soigner du mieux qu’il peut les gens touchés qui arrivent par masses à l’hôpital — masses auxquelles, désolée de te le dire, tu contribues encore bien largement.
Tu chies à la gueule des travailleurs et travailleuses qui font tourner la boutique pour satisfaire tes besoins primaires. Une caissière est morte, dans l’indifférence totale.
Mais ne te gêne pas, continue tes soirées-échange-de-postillons et fais-en profiter tout le monde. Et tu applaudis tous les soirs donc ce n’est pas grave.
Aujourd’hui, la colère, je te la livre en barres, puisque l’adresse polie et bien sous tous rapports glisse sur toi. Elle n’est pas à la mode, cette pauvre colère.
Pas autant que le hashtag #stayathome que tu te plaisais à partager les premières semaines et que t’as bien vite zappé au profit de ton nombril.
Le gouvernement nous bafoue à plein d’égards, alors tu bafoues les mesures sanitaires pour montrer que tu n’es pas content·e parce que « c’est abusé j’peux même pas voir mes potes » ?
C’est ça, ta réponse à la situation ?
Notre avenir dépend de l’action de chacun et chacune d’entre nous
Moi aussi, j’en ai ras le fion de rester cloîtrée. Moi aussi, j’ai envie de voir mes potes et retrouver ma liberté de circuler. Moi aussi j’ai envie d’aller voir mes plans cul sans devoir montrer une lettre de motivation à la police.
Moi aussi, en tant qu’autrice-compositrice-interprète, j’ai envie de me remettre à bosser, faire des projets, pouvoir évoluer dans un pays qui ne me considère pas comme le bas du panier, comme les trois-quarts de mes potes artistes, intermittent·es et tou·tes les autres.
Moi aussi, j’ai envie de préserver cette chance de pouvoir me faire soigner gratis et dans de bonnes conditions, pour moi comme pour celles et ceux qui me soignent.
De voir les gamins profiter d’une éducation gratis dispensée par des enseignant et enseignantes qu’on n’envoie pas à l’abattoir avec trois pauvres masques et un vieux flacon de gel.
De voir que les personnes que je côtoie ou croise tous les jours et qui font tenir la baraque bossent dans des conditions décentes.
Moi non plus, je n’ai pas envie que les personnes qui travaillent à Disney soient mises en danger par la potentielle réouverture du parc plus rapide qu’on ne saurait imaginer, bien alimentée par des gens qui se foutent des autres, du moment qu’ils et elles peuvent aller s’amuser.
Mais si on ne se remet pas un minimum en question et qu’on ne peut pas compter les uns et unes sur les autres pour faire que ce monde existe, si le civisme, la solidarité (la vraie), le respect, l’entraide et la prudence n’émanent même pas des citoyens et citoyennes, je te le demande, on les trouve où ?
Si tu n’es même pas capable de te décentrer un peu, d’abandonner ton je-m’en-foutisme puéril alors même que nous vivons une période de CRISE SANITAIRE GRAVE AVEC DES MORTS, comment veux-tu qu’on s’en sorte et que les choses changent sur le long terme ?
Tu vas donc te garder de faire d’autres conneries. Une semaine, tu vas tenir. Et tu vas aussi bien te refréner de tout lâcher quand le 11 mai aura sonné.
T’as déjà considérablement merdé, mais tu peux te rattraper. Et au moment où il le faudra, tu défieras l’autorité qui veut réduire ce pays à un État de non-droit, sans culture, sans protection, sans aides sociales, sans égalité.
Pas celle qui veut ralentir et éradiquer l’épidémie, et accessoirement sauver ton cul aussi. C’est là qu’il faudra faire preuve de désobéissance. Tu sais déjà très bien le faire.
Pour une fois dans ta vie, ne te trompe pas d’ennemi et cesse de ne penser qu’à toi.
Le virus, il fait sa vie de virus. Et tant qu’il trouvera moyen de se balader à l’occasion de tes petits apéros anti-confinement, on n’aura pas fini.
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