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Société

À Sciences Po, dysfonctionnements et omerta maintiennent l’existence des violences sexuelles

Un silence persiste au sein des établissements de Sciences Po, qui peinent encore à identifier et à lutter contre les violences sexistes et sexuelles qui règnent dans les IEP.

Elle aura mis le temps, mais l’institution semble enfin prendre la mesure de l’étendue des violences sexuelles et sexistes au sein des Instituts d’études politiques (IEP) en France. Un rapport du ministère de l’Enseignement supérieur vient d’être rendu publique et montre — à travers les synthèses de nombreux témoignages et une série de recommandations — que Sciences Po a grand besoin d’agir.

Avec Balance ton IEP en 2019 puis Sciences Porcs début 2021, c’est aussi l’affaire Duhamel qui a servi d’électrochoc. Dans l’enquête révélée hier, ce sont 492 personnes qui ont été entendues parmi les 10 IEP et 7 campus répartis dans toute la France afin de comprendre le phénomène.

Le rapport a identifié quatre types de comportements comme des violences sexistes et sexuelles : les remarques et comportements sexistes, les propos ou comportements à connotations sexuelles, les agressions sexuelles et les viols.

Parmi les 89 faits de violences sexistes et sexuelles rapportés par les IEP entre janvier 2019 à juin 2021, 41 étaient des viols et 18 des agressions sexuelles. La moitié de ces situations impliquaient des étudiants.

Une institution qui a du mal à se regarder en face

Pourtant, il semble encore difficile de faire entendre l’expression « culture du viol », souligne le rapport qui constate un décalage entre le discours tenus par les directions et les témoignages reçus :

« “Expression lunaire” pour une enseignante, rejetée par de nombreux membres des directions et par une majorité d’enseignants, la culture du viol est toutefois présente dans les témoignages de nombreuses étudiantes et associations étudiantes qui évoquent une masculinité forte, une culture du viol insidieuse au sein des IEP traduite par l’expression “culture de choper [des personnes]” renvoyant aux rituels d’intégration. »

Pourtant, ce sont bien des comportements, des propos, des stéréotypes qui sont toujours tolérés et normalisés dans ces établissements, mais aussi dans l’ensemble de l’enseignement supérieur.

Les temps d’intégration,

Certains moments clefs de la vie étudiante à Sciences Po cristallisent cette culture du viol. Les temps d’intégration sont traditionnellement festifs et permettent aux nouveaux arrivants d’apprendre à se connaître et de rencontrer les classes au-dessus d’eux, d’appréhender le fonctionnement de l’école.

Ce sont aussi des moments où s’exercent une forte pression sociale et où se diffusent et se banalisent certains comportements :

« Pour certains témoins, l’intégration se caractérise aussi par un schéma de domination sexiste, d’ambiance d’humiliations et de peur qui dominent les étudiants de première année, sachant que cette peur est susceptible de favoriser les violences. Elle peut suivre en effet une logique de contrainte et de négation du refus, avec des visées d’humiliation et de banalisation des comportements dégradants. »

Les week-ends d’intégration (WEI) symbolisent plus particulièrement la normalisation de certaines violences, vues comme un jeu bon enfant et un rite de passage auquel on ne peut déroger :

« Le WEI est aussi le théâtre d’un certain nombre de dérives et, parmi celles-ci, la pratique des tribunaux, dénoncée médiatiquement au moment du hashtag : tribunal des salopes, ou tribunal des bretons (la personne jugée doit manger une plaquette de beurre), ou autre pratique comme celle de l’appel des participants selon qu’ils ont couché ou pas couché. Il est aussi le lieu de dangers le plus souvent liés à une forte alcoolisation. »

D’autres événements comme le prix Mirabeau, prix d’art oratoire auxquels participent les étudiants et étudiantes des différentes IEP, ou le CRIT, compétition sportive inter-établissements, sont aussi les théâtres de comportements violents à l’égard des étudiantes, mais aussi des personnes racisées et des personnes LGBTI+.

Le rapport du ministère de l’Enseignement supérieur insiste sur la nécessité de faire évoluer ces temps indispensables à la vie étudiante, notamment sur la question des risques liés à la consommation d’alcool.

Le maintien d’un entre-soi

L’omerta autour des violences sexistes et sexuelles est certes présente du côté des directions, notamment dans un souci de « préservation de la réputation de leur établissement ». Mais du côté des élèves, on regarde aussi parfois ailleurs, tient à souligner le rapport :

« Des étudiantes et étudiants eux-mêmes peuvent adopter ce silence pour préserver les rapports de domination existants au sein des promotions et des associations. Ainsi, il est indiqué à la mission que “lorsqu’un membre d’une association est accusé, un silence se crée dans l’équipe”. Un enseignant ajoute que “les agresseurs sont souvent des figures populaires disposant d’une certaine aura” et d’un pouvoir d’intimidation, reposant parfois, selon des témoins, sur la position sociale de leur famille au sein de la ville ou de la région. »

Le « sentiment d’appartenance à une élite » joue aussi un rôle dans le maintien du silence autour des violences sexuelles au sein de ces grandes écoles.

Au silence s’ajoutent aussi un manque de connaissances sur les procédures à appliquer en cas de signalement de violences. Comment enquêter lorsqu’une élève rapporte un incident et pointe la responsabilité d’un agresseur ? Comment sanctionner ? Ces questions restent parfois en suspens.

Le résultat, c’est qu’il y a finalement peu de recours à des procédures disciplinaires pour les auteurs. Quand aux faits qui tombent sous le coup de la loi, ils ne sont pas systématiquement signalés au procureur de la République.

Comment après cela, attendre des victimes qu’elles se tournent vers les personnes qui dirigent leurs établissements, si elles n’ont pas l’assurance d’être écoutées, prises au sérieux, et que des mesures seront prises ?

Des recommandations pour aider les IEP

Certains IEP ont déjà amorcé un travail pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles qui perdurent en son sein et combler les nombreuses failles qui maintiennent l’impunité des agresseurs et perpétuent des comportements sexistes.

Le rapport d’enquête présente une série de 38 recommandations afin de renforcer les efforts déjà engagés : lancer une campagne de communication de niveau national relative à la notion de consentement, développer la présence des étudiants relais santé au sein des établissements et élargir leur domaine d’actions aux violences sexistes et sexuelles, renforcer l’animation du réseau des personnes référents ou chargées de mission égalité.

Remis à Elisabeth Moreno et à Frédérique Vidal, le rapport d’enquête devra servir de base pour la mise en œuvre d’actions concrètes :

À lire aussi : #SciencesPorcs, virilisme et omerta : les IEP sont des nids à culture du viol

Crédit photo : Celette, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons


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