J’excelle dans peu de domaines. Si l’on exclut mon expertise théorique en danses de salon et ma connaissance exhaustive des races de chiens, je sais surtout que je ne sais rien. Comme Socrate.
Mais s’il y a un domaine que j’ai exploré bien au-delà de la théorie, s’il y a un art auquel j’ai donné toute ma sueur, c’est bien celui de la PUTAIN DE GUEULE DE BOIS. La même qui fait de la trompette, du triangle et des bolas dans mon crâne à l’heure où j’écris — péniblement — cet ersatz d’article.
On a (presque) toutes et tous déjà connu cette journée au bureau où chaque minute est une souffrance que seuls ceux qui ont assisté au dernier spectacle de Norman peuvent éprouver. On a (presque) toutes et tous déjà été été à une réu avec la bouche qui sent le cul.
Et si on attribuait aux salariés et salariées françaises des jours de congés pour « gueule de bois » ? Cette idée vous semble saugrenue ? Laissez-moi vous convaincre.
Ma gueule de bois du jour, le récit d’une souffrance matinale
Fermez les yeux. Détendez-vous une minute. Et imaginez.
Il est 7h30, vous êtes dans un sommeil comateux, votre langue est épaisse, votre salive absente, vos yeux sont collés dans une admirable conjonctivite… et votre réveil sonne.
Paniquée, vous essayez de l’éteindre mais vos gestes, comme ceux d’un lémurien dyspraxique, sont imprécis.
Alors votre téléphone vous échappe, vous essayez de le rattraper, parce que bon c’est l’iPhone 11 et qu’il coûte 800 balles même sur BackMarket, mais vous négociez mal l’écart entre votre lit et votre table basse, alors vous encastrez votre front au coin du meuble, et votre lampadaire vous tombe sur la gueule.
Bien sûr, c’est le moment que choisit votre chat pour vous mordre le tendon d’Achille comme l’ingrat qu’il est devenu. Tristesse.
Bref, il est 7h32, vous avez déjà une bosse, une cheville trouée et vous vous rappelez qu’hier soir, vous avez fait des story Instagram ridicules où vous imitiez Jean-Marie Bigard à l’Olympia.
Vous vous levez. Aïe. Partout.
Vous constatez que le chat a régurgité sur votre canapé en panne de velours turquoise et que vous avez cassé un verre en cristal en rentrant bourrée. Pas de chance, c’est celui que votre mère vous a offert à Noël en vous menaçant de mort : « si tu le casses, je t’étripe ». Merde, elle vient à midi.
Dans votre frigo, c’est l’hécatombe, mais la faim vous tiraille. Ou bien est-ce l’envie de gerber ?
Pour mieux réfléchir, vous vous allongez sur le carrelage froid (tiens, il est sale), en faisant fi de toute injonction à la dignité humaine. Vous consultez les étagères réfrigérées depuis 15 minutes en emmerdant la chaîne du froid quand vous optez pour une tome de campagne et un reste de pissaladière.
Vous les mangez à même le sol comme un animal, sous le regard méprisant de votre chat qui lape son fumet de harengs dans un bol en faïence japonaise.
Il est 8h58. Il vous reste 7h de taf. Vous avez 3 réunions, 12 tâches, 41 mails, un cours de yoga, un dîner absolument pas annulable car vous présentez votre nouveau mec à vos potes.
Voilà. Bienvenue en enfer. Bienvenue dans mon enfer actuel.
Il n’est que 11h27, putain.
Quid des jours de congés pour gueule de bois ?
J’en appelle alors au gouvernement.
Il est certain que même Jean Castex a déjà regretté s’être murgé la tronche la veille d’une réu importante. Alors quand ? QUAND ?
Quand considérera t-on enfin la gueule de bois comme un motif tout à fait admissible d’absence au bureau ? Quand pourrons-nous cuver trankchil nos 102 pintes de Leffe à même le carrelage sans avoir à envoyer un mail à cette connasse de Michèle Bousin, qui a encore écorché notre nom de famille ?
Ma demande semble farfelue et irrationnelle ? Que nenni ! Elle est RÉALISTE.
La preuve par l’exemple : l’entreprise anglaise Dice, spécialisée dans la vente de tickets de concerts sur smartphone, a décidé d’offrir à ses équipes des jours de congés pour gueule de bois. Les employés et employées en ramasse ont désormais droit non pas 1, non pas à 2, non pas à 3, mais bien à 4 jours off pour ce motif.
La firme, basée dans le quartier de Shoreditch, à Londres, a expliqué dans un communiqué :
« Nos employés n’auront plus besoin de faire croire qu’ils ont attrapé un “petit virus durant 24 heures” ou de feindre “une voix malade”, ils pourront tout simplement dire à leur chef ce qu’ils ont vraiment. »
Pour se faire porter pâle, les teufeurs n’ont qu’un emoji à envoyer à leur boss. Un simple émoticône « pinte de bière », « note de musique » ou « smiley vomi » suffit à déclarer qu’ils ne se pointront pas au taf ce jour.
Alors, qu’attend la France pour être un peu altruiste ? Si l’on considère qu’une cuite a les mêmes effets qu’une gastro, est-il humain de faire venir un employé en GDB au bureau ?
Il est grand temps de poser les vraies questions. Les bails de non-mixité et l’écologie peuvent attendre.
Et je dis pas ça parce que j’ai envie d’assister à ma réu comme d’aller à Guantanamo sur les mains.
Putain, il n’est que 11h39.
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