L’ère des supermodèles si célèbres que prononcer leur prénom suffisait à les identifier (coucou Naomi Campbell, Linda Evangelista, ou encore Carla Bruni) est finie depuis longtemps. Depuis, les mannequins anonymes s’enchaînent dans une étrange forme d’anonymat, hormis quelques rares exceptions, souvent assez bien nées pour percer dans le milieu (coucou Gigi et Bella Hadid ou encore Hailey Bieber et Kendall Jenner).
Dans le contexte de cette industrie mondialisée, qui emploie de très jeunes femmes dont c’est souvent le premier job et qui viennent des quatre coins du globe, favorise des violences économiques, sexistes et sexuelles, comme le soulignait notre enquête sur l’impossible syndication des tops. Pourtant, une association de mannequins pousse depuis plusieurs mois le Fashion Workers Act, un projet de loi qui pourrait bien changer la donne aux États-Unis.
Qu’est-ce que le Fashion Workers Act qui veut protéger les mannequins à New York ?
Ce texte de l’État de New York vise à prévenir les abus économiques, sexistes et sexuelles, en instituant des protections du travail, pour les modèles, mais aussi les maquilleurs, coiffeurs, stylistes, et autres créatifs précaires du milieu. Présenté au printemps 2022, il sera à nouveau étudié lors d’une session législative en janvier 2023, dans l’espoir d’être adopté.
Le Fashion Workers Act veut que les agences de gestion paient leurs talents dans les 45 jours qui suivent la fin d’une mission, et leur fournissent des copies de leur contrat de travail. Les commissions seraient plafonnées à 20 % maximum, et il deviendrait interdit de prélever des frais de signature souvent exorbitant et d’hébergement au-dessus du marché du logement. Ces agences devraient même obtenir une licence pour avoir le droit d’exercer.
Car, là-bas, les créatifs sont pour la plupart autoentrepreneurs et font appel à des « management companies » (les agences de gestion en question) dans l’espoir de se faciliter la vie. Or, il n’y a ni licence ni réglementation pour que celles-ci puissent exercer, et elles peuvent donc accepter plein de contrats, de paiements, et de cession de droit d’exploitation d’image, à la place des créatifs qu’elles représentent… sans les prévenir. Elles peuvent aussi leur déduire des dépenses (pour les avoir signés, leur avoir trouvé un logement ou plein d’autres prétextes moins légitimes). Un immense vide juridique règne en faveur d’agences véreuses qui s’octroient ainsi de pleins pouvoirs sur leurs talents, alors en proie aux pires violences.
Derrière le mannequinat : l’exploitation sexuelle et le trafic d’être humain ?
En effet, la co-fondatrice de Model Alliance, Sara Ziff, vient d’expliquer au Guardian comment le mannequinat pouvait aussi servir de porte d’entrée vers l’exploitation sexuelle et le trafic d’être humain :
« Souvent, ces adolescentes qui essaient d’être des modèles ont des milliers de dollars de dettes, et la seule façon pour elles de manger ou de se permettre de faire quoi que ce soit est d’aller à ces dîners avec des hommes d’affaires. »
Souvent organisés par les agences de gestion, ces dîners sont présentés comme une opportunité commerciale, mais peuvent rapidement virer au drame, résume Sara Ziff auprès du grand quotidien britannique :
« Ce n’est pas un hasard si Harvey Weinstein, Jeffrey Epstein, Bill Cosby, Peter Nygaard ont sollicité des filles par le biais d’agences de mannequins. »
À New York, plus de 180 000 personnes (soit 6 % de la main d’œuvre de la ville) travaillent dans le secteur, et représentent 10,9 milliards de dollars de salaires, d’après Model Alliance. Beaucoup de cet argent échappe aux principaux intéressés par ce jeu de structures d’embauche qui nous rappelle combien c’est encore le Far West en matière de droits du travail aux États-Unis, y compris dans la mode qui veut se donner une image si glamour.
Qu’en est-il vraiment pour les mannequins en France ?
Mais qu’en est-il en France ? La question est légiférée depuis 2004 au moins, année de signature de la fameuse Convention collective nationale des mannequins, étendue à tous les employeurs potentiels des modèles sur le sol français. Dans l’Hexagone, elles ne sont donc pas autoentrepreneuses, mais bien salariées d’agences de mannequins obligées d’agir dans leur meilleur intérêt selon le strict code du travail bleu blanc rouge. Tout manquement se paie cher, non seulement par une amende, mais aussi par le risque de perdre sa licence, obligatoire pour exercer.
S’ajoute à cette protection, la charte cosignée en 2017 par Kering et LVMH pour le bien-être des modèles. Celle-ci stipule notamment qu’on ne peut faire travailler des mineures de moins de 16 ans, que les mannequins doivent faire au moins un 32 et disposer d’un certificat médical attestant de leur bonne santé. Et comme il s’agit des deux groupes de luxe les plus puissants du monde, leur influence s’avère internationale, ce qui fait de cette charte ce qui s’approche le plus d’une impossible convention internationale du mannequinat. D’autres agences de mannequins internationales comme IMG appliquent également de strictes règles en faveur de leurs talents.
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Crédit photo de Une : Pexels–2286921 de la part de Pixabay via Canva.
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Les Commentaires
Il faut selon moi avant toute chose éduquer les jeunes sur ces projets là et leur faire comprendre que le nombre d'élus qui pourront en vivre correctement sera extrêmement infime.