Prises pour des hétéros, bien moins identifiables que les butchs, leur pendant à l’expression de genre masculine, l’identité sociale des lesbiennes fem reste difficile à assumer en société. Victimes de sexisme, car pouvant être adeptes de maquillage, de cheveux longs et de talons, parfois obligées de se masculiniser pour rester identifiables auprès de leur communauté, retour sur une identité bien plus complexe qu’elle n’y paraît.
Une invisibilisation quasi-systématique
« Les Dr. Martens, c’est pour montrer ton côté queer ? À quand la coupe sidecut ? » énumère Sara, jeune femme ayant fait son coming-out lesbien depuis quelque temps, quant aux remarques auxquelles elle est confrontée auprès d’autres lesbiennes. Mère toujours en bonne relation avec le père de sa fille, elle dit avoir beaucoup de mal à trouver sa place dans la communauté lesbienne. « Sur les applis de rencontre, on va toujours me proposer des plans à trois avec des mecs cis, parce qu’on suppose que je dois kiffer ça », relate-t-elle. Cette suspicion automatique d’hétérosexualité envers les femmes d’apparence féminine n’est pas nouvelle, elle est même structurante du patriarcat et du système hétérosexuel, selon la journaliste et rédactrice en chef de la revue lesbienne Well Well Well, Marie Kirschen :
« Les identités fems sont parfois pensées – à tort à mon sens – comme moins radicales. Elles sont vues comme étant plus proches de la norme hétérosexuelle. Bien sûr, on s’écarte moins des normes de genre pour les femmes quand on a une expression de genre féminine. » Si la féminité paraît de prime abord moins subversive, elle ne l’a en vérité jamais été, comme l’expliquent les autrices Joan Nestle dans son livre Fem, sur son expérience lesbienne dans les années 70, Wendy Delorme dans son autofiction Quatrième génération, ou encore plus récemment Itziar Ziga dans son essai documenté Devenir chienne. Dans ces trois ouvrages, les autrices nous font toutes part de la dimension politique et subversive de cette identité, encore liée à de nombreux clichés.
Une identité résolument female gaze
« Au sein comme à l’extérieur du milieu lesbien, j’ai l’impression qu’il y a une dépolitisation. Tu as l’air plus bête et moins puissante, quand tu adoptes des codes féminins, c’est du pur sexisme », décrypte à son tour l’autrice Anne-Fleur Multon. Outre la présomption d’hétérosexualité et les remarques acerbes ou étonnées que ce cliché peut provoquer, s’outer en tant que lesbienne et fem, peut être vécu comme une double peine, et donc un double placard, ajoute l’écrivaine française de littérature jeunesse et adulte :
« C’est dur de prendre la parole et de se revendiquer en tant que fem. La majorité des fem qu’on a en tête, c’est des femmes qui ont un passing hétéro. Dans cette expression d’un genre qui a été performée mille fois, il y a une forme de honte à visuellement être dans le placard. »
Pourtant, le côté subversif à l’ordre hétéro des lesbiennes fems tient à l’idée de performer une féminité qui n’a pas pour but de séduire le regard masculin, contrairement à la féminité hétéro. Pour Marie Kirschen, « il y a quelque chose de radical à affirmer une féminité, mais pour séduire les femmes et non les hommes, à qui elle est classiquement destinée » :
« Être fem est une construction de genre très réfléchie : ce n’est pas la même démarche de s’habiller ‘naturellement’ comme une femme pour séduire le regard masculin, ou de réfléchir à la façon dont on va se vêtir en tant que lesbienne, pour se sentir bien dans notre identité et pour séduire des femmes. Elle nécessite une prise de distance : le look féminin n’est pas pensé comme l’expression d’une ‘nature’ féminine, mais comme une construction sociale. »
Outre le fait de proposer une réappropriation des codes féminins avec un lesbian gaze, les looks fem comportent également des aspérités queer qui interpellent l’espace public, comme le fait de garder ses poils avec une robe, ou d’avoir les cheveux longs mais un undercut.
Une superposition des stigmates
Pour Audrey, parent quadra noire et lesbienne, se revendiquer comme telle n’est pas toujours allé de soi :
« Parfois, j’ai eu l’impression que je devais justifier qui j’étais, pourquoi je venais là [dans des espaces lesbiens] par rapport à mon apparence physique. J’ai tous les codes féminins, des cheveux longs, des ongles, du maquillage, des bijoux. Le fait d’être mère me case immédiatement dans la catégorie hétéro. Au début je voulais dater des meufs qui ont des enfants, mais ce n’est pas forcément plus facile, car plusieurs problématiques se jouent, être parents peut aussi être un frein. »
Se revendiquer lesbienne et fem quand on est au croisement de plusieurs discriminations, racisme, transphobie, validisme, classisme ou encore grossophobie, rajoute une barrière de plus au coming-out et à une vie sociale sereine, poursuit Anne-Fleur Multon :
« On subit un manque de représentation des lesbiennes, mais aussi des fems, avec beaucoup de meufs très normées, peu de diversité. Quand on ferme les yeux et qu’on imagine une lesbienne type, on n’a pas en tête une fem. J’ai déjà essayé dans un des mes ouvrages de montrer une jeune fille, aisée, racisée, qui fait de la danse classique. Ça n’a jamais été représenté nulle part. »
Car, évidemment, si l’on manque de représentations, les rares qui existent sont rarement diversifiées. Et c’est le cas pour toutes les autres identités lesbiennes aussi. À la question des clés pour y remédier, Marie Kirschen conclut :
« Il faudrait bien sûr les visibiliser. Parler de ces identités, donner à voir leur richesse, les analyser afin de mettre à jour la façon dont elles jouent avec les normes. Pour toutes les raisons déjà évoquées, il y a très peu de travaux en France sur ces questions. Il faudrait qu’il y en ait bien plus. »
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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