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Culture

A dance with death – Le Livre de la Semaine

A dance with death, c’est le Livre de la Semaine pour Froz, une madmoiZelle qui s’est passionnée pour l’histoire des femmes soviétiques aviatrices pendant la Seconde Guerre Mondiale !

Je ne sais même plus pourquoi j’ai acheté ce livre. Ce qui est sûr, c’est que je me suis prise une grosse claque en le lisant, tant les femmes dont il est question m’impressionnent. Je vais essayer dans cet article de vous en donner un aperçu, et de vous parler d’un bout d’histoire russe passionnant.

Deux fois par an, un rassemblement de vieilles dames dans un parc devant le théâtre Bolchoï à Moscou intrigue les curieux et ravit les initié-e-s depuis 1946. En effet, ces femmes qui acceptent lettres et bouquets de leurs admirateurs, avant d’aller se porter mutuellement moult toasts alcoolisés dans un restaurant proche, sont des héroïnes de la Seconde Guerre Mondiale. On le sait peu, mais les soviétiques étaient les seuls à avoir des femmes combattantes pendant la Seconde Guerre Mondiale (appelée « Grande Guerre Patriotique » en ex-URSS), dont des tireuses d’élite et des aviatrices. C’est à ces dernières que l’ouvrage d’Anne Noggle rend hommage : l’auteure américaine, elle-même pilote lors de la guerre au sein des WASP (Women Airforce Service Pilots, qui exécutaient des missions de soutien mais pas de combat) a rencontré soixante-huit de ces femmes. Elle a recueilli leurs témoignages entre 1990 et 1991, et les a photographiées, posant très dignes avec leurs décorations.

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Major Marina Mikhailovna Raskova (1912-1943)

Après le déclenchement de la guerre, la décision de former trois régiments féminins a été (très) fortement appuyée par Marina Raskova, qui a personnellement pris le commandement de l’un d’entre eux en 1942 lors de leur mise en service. Elle était très influente et populaire depuis 1938, date à laquelle, avec deux autres pilotes, elle a battu le record féminin de vol longue distance. C’est pourquoi lui furent directement adressées des centaines de lettres de jeunes femmes pilotes souhaitant participer aux combats. Cet élan était sans doute fortement influencé par la propagande, mais il était sincère : les femmes interviewées des dizaines d’années après parlent de leur sentiment patriotique et du besoin de se rendre utile (en les séparant clairement du régime soviétique, dont elles ont parfois eu à souffrir).

Ces régiments étaient les suivants :

Le 588ème régiment aérien – renommé 46ème régiment de bombardiers de la garde en 1943

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Le seul régiment entièrement féminin, et le plus connu. Par entièrement féminin, il faut comprendre : pilotes, co-pilotes, et l’intégralité des équipes au sol, qui chargeaient parfois plus de 3000 kilos de bombes par nuit. Commandées par le Major Yevdokiya Bershanskaya, les filles étaient surnommées « Nachthexen » (Sorcières de la Nuit) par les Allemands, qu’elles harcelaient en les bombardant de nuit. Elles pilotaient à deux un biplan extrêmement léger et moitié plus lent que les autres avions de l’époque : le Polykarpov Po-2 (qui jusqu’en 1944 n’était pas équipé de parachutes…). Si l’avion prenait feu (ce qui arrivait régulièrement vu qu’il était composé de bois et de toile), l’équipage n’avait aucune chance de s’en sortir : leurs amies les observaient impuissantes depuis leur propre appareil, comme le raconte le Major Mariya Smirnova, commandante d’escadron :

« Four of the aircrafts following me were shot down […] Eight girls burned in the air. […] It is a horrible scene when a plane is burning. First it explodes ; then it burns like a torch falling appart, and you can see particles of fuselage, wings, tail and human bodies scattered in the air. »

« Quatre des appareils qui me suivaient ont été abattus […] Huit filles brulèrent dans les airs. […] C’est une scène horrible quand un avion brûle. Tout d’abord il explose, puis brûle comme une torche qui se désagrège, et vous pouvez voir des morceaux de fuselage, d’ailes et de corps humain éparpillés dans les airs. »

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Deux Polykarpov Po-2

Les récits ne sont pas tous aussi dramatiques. Beaucoup parlent de l’amitié et de la solidarité entre ces femmes, de leurs loisirs et de la vie sur la base. Lorsqu’elles parvenaient à en avoir une malgré leurs nuits sans sommeil et leur travail éreintant.

587ème régiment de bombardiers – renommé 125ème régiment de bombardiers de la garde M. M. Raskova Borisov

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Petlyakovs Pe-2

Ce régiment fut commandé d’abord par Marina Raskova elle-même, jusqu’à sa mort dans un accident de vol en 1943, puis par le commandant Valentin Markov. C’était donc un régiment mixte, dont la plupart des pilotes et des navigateurs étaient des femmes. Mais le troisième membre d’équipage, le mitrailleur de queue, était le plus souvent un homme, à cause la difficulté à manœuvrer l’engin.

Valentin Markov, qui remplaçait la vénérée Marina Raskova, eut un peu de mal à se faire accepter dans le régiment. Il angoissait légèrement à l’idée de diriger un groupe de jeunes femmes, qu’il imaginait dissipées et incapables de piloter des bombardiers comme les Petlyakov Pe-2. Il décida d’être le plus rigide possible, et ça n’a pas raté : les filles le surnommèrent Baïonnette. Malgré cela, à peu près la moitié du régiment était secrètement amoureux de lui et il fut de plus en plus apprécié. Jusqu’à être appelé « Papa », un surnom un peu moins raide quand même – pardon. Il épousa d’ailleurs une des navigatrices après la guerre. Sa fierté d’avoir commandé ce régiment est telle qu’il a insisté pour être interviewé dans l’ouvrage, dont il est la seule voix masculine.

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Ouais ben moi aussi j’aurais eu un faible pour lui, hein.

Un petit extrait mignon par Sergent Antonina Khokhlova Dubkova, mitrailleuse de queue :

« Some soviet pilot flew over our regimental airfield at zero altitude. Then we saw that something was dropped from the plane. Our commander was very strict and said, « that is forbidden, and the pilot must be punished ». Well of course it might have created an accident. Then he sent a technician to find what was dropped. What he brought back was a big teddy bear. […] There was a notice pinned to the bear that said: « Dear young girls, we just learned that we are escorting you. Don’t you get frightened; we’ll do everything to defend you, fight for you with the last drop of our blood. Thank you ! »

« Un pilote soviétique a survolé notre aérodrome à très basse altitude. Puis nous avons vu que quelque chose était jeté de l’avion. Notre commandant était très strict et dit : « C’est interdit, et le pilote doit être puni ». Bien sûr, cela aurait pu causer un accident. Puis il envoya un technicien chercher ce qui avait été largué. Il ramena un grand ours en peluche. Un petit mot y était accroché, qui disait : « Chères jeunes filles, nous venons d’apprendre que nous vous escortions. N’ayez pas peur : nous ferons tout pour vous défendre, nous battre pour vous jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Merci ! »

Le 586ème régiment de chasse

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Les filles du 586ème devant un chasseur Yak-1

C’était un régiment de défense, dont la mission était d’escorter des personnalités importantes et de protéger des cibles stratégique des bombardements ennemis. C’est aussi le premier des trois régiments à devenir opérationnel, en avril 1942.

La figure la plus célèbre de ce régiment est Lilya Litvyak, une des rares femmes à avoir la distinction d’as (plus de cinq victoires – Lilya en a eu douze !), héroïne posthume de l’Union Soviétique qui disparut lors d’une mission en août 1943. Au-delà de la légende officielle, les récits de celles qui l’ont connue parlent d’une pilote brillante, mais racontent aussi quelques anecdotes : il lui arrivait « d’emprunter » du peroxyde à l’hôpital d’à coté pour se décolorer les cheveux…

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Lilya Litvyak (1921-1943)

Ces femmes ont donc été interviewées entre 1990 et 1991, juste après la chute de l’Union Soviétique, et parlent aussi librement qu’elles le veulent de leur rapport à la patrie. Mais très peu se plaignent effectivement du régime, même si elles ne déplorent pas non plus sa disparition… « La vie est la vie » est une expression qui revient dans plusieurs de leurs témoignages. Elles parlent aussi de leur rapport avec les hommes au front, et surtout des réactions masculines face à elles, généralement curieuses et admiratives. Cependant, leur rapport au combat est quasi-unanime, ce n’est « pas une affaire de femmes », même si elles sont extrêmement fières de ce qu’elles ont accompli au prix de leur santé (la plupart ont été réformées et interdites de voler dès 1946, parce qu’elles avaient un peu trop poussé leur corps pendant la guerre).

Le livre regorge d’anecdote passionnantes, poignantes ou plus légères, tout en posant un certain nombre de questions sur la place des femmes en URSS et dans la Russie contemporaine. Il se lit très agréablement, beaucoup plus qu’un livre d’histoire traditionnel, et donne un aperçu d’un sujet inconnu en France (enfin moi je n’y connaissais rien avant de tomber dessus) alors que ces femmes sont, à juste titre, des légendes en Russie.


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

6
Avatar de Albany
11 août 2012 à 14h08
Albany
Fantastique, il est sur Kindle
0
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