Deux fois par mois, Charlotte répond aux questions anonymes de nos lectrices et lecteurs et débunk les clichés liés à nos vies amoureuses.
Une question ? Écris-nous à [email protected].
Bonjour Charlotte,
Je suis une femme cisgenre de 38 ans et je me suis toujours considérée comme hétérosexuelle, jusqu’à il y a quelques mois, où je me suis mise à douter de ma sexualité. J’ai commencé à développer des sentiments amoureux pour une de mes collègues de travail avec qui je m’entends très bien. J’ai mis longtemps à réaliser qu’il s’agissait vraiment d’amour et non d’amitié. Depuis peu, ces sentiments s’accompagnent même d’un désir sexuel que je ne peux plus nier, et c’est vraiment la première fois que je ressens ça. Est-ce que j’ai vécu dans le déni de mon attirance pour les femmes ces 37 dernières années, ou s’agit-il d’une attirance nouvelle ? Peut-on changer d’orientation sexuelle du jour au lendemain ? Merci de ton aide !
Chère anonyme,
La première phrase qui me vient en lisant ton message, c’est : il n’y a pas de règle. Qu’importe si tu étais dans le déni toute ta vie ou si il s’agit d’une attirance complètement nouvelle. Le principal, c’est que tu te sentes assez safe et libre pour pouvoir vivre cette nouvelle histoire comme tu l’entends. Cela dit, je peux quand même essayer de te donner quelques pistes de réflexion qui pourront t’aider à trouver des réponses.
Survivre dans une société hétéronormative
Reprenons depuis le début.
Et avec un scoop inédit, qui plus est : nous vivons dans une société hétéronormative, c’est-à-dire qui considère l’hétérosexualité comme la norme.
L’hétéronormativité met en place un système de domination dans lequel les personnes qui ne respectent pas ces normes, aka les personnes LGBTQIA+, sont considérées comme inférieures. Certains chercheurs et théoriciens vont même jusqu’à considérer l’hétéronormativité comme un régime politique à part entière, puisque notre société naturalise l’hétérosexualité et la différence des sexes à travers des théories dites scientifiques à des fins politiques et normatives.
Cerise sur le gâteau, notre société hétéronormative a aussi une fâcheuse tendance à la binarité : des sexes (pénis/vulve), des genres (homme/femme), des orientations sexuelles (hétéro/homo), et j’en passe .
Un peu boring, non ? En tout cas, je suis d’avis qu’on peut tout à fait questionner, voire déconstruire cette binarité, chose que de nombreuses et nombreux théoriciens font depuis des décennies (Judith Butler, on t’embrasse).
Mais comment on déconstruit tout ça ?
J’y viens ! Et si on commençait par essayer d’envisager notre sexualité et nos identités non pas comme étant ni binaires, ni appartenant à des cases figées mais plutôt comme un prisme ? Un prisme dans lequel il serait possible d’évoluer (ou pas) en fonction d’un tas de facteurs qui échappent à notre contrôle, de la même manière que nos envies et nos fantasmes peuvent évoluer eux-aussi, comme l’explique très bien Lisa Demma dans son livre « Comment redécouvrir votre sexualité » paru en février dernier. Ainsi, chère anonyme, tu aurais la réponse à ta question.
Dépasser la comp’het en tant que meuf (compulsive heterosexuality)
Poursuivons : dans une société où l’hétérosexualité est considérée comme l’orientation par défaut, elle est représentée partout : les films qu’on regarde, les romans qu’on lit, les chansons qu’on écoute… Et cela pose un problème de taille : les autres manières de vivre l’amour et la sexualité sont cachées, donc déligitimées. Et même si, à l’heure où j’écris ces mots, l’homosexualité n’est pas un délit en France, force est de constater que notre société gratifie celles et ceux qui se conforment aux normes et qu’elle sanctionne celles et ceux qui en dévient en les excluant socialement, politiquement, juridiquement, médicalement, religieusement, ou encore éducativement…
Ce système oppressif n’est pas sans conséquences : l’homophobie (intériorisée ou non) en est l’exemple parfait. C’est ce que le psychothérapeute Morgan Lucas, également formateur sur les questions de diversité de genres et de sexualités, explique très bien dans un article de son site internet à propos de la Compulsive Heterosexuality.
Chère lectrice, tu l’auras bien compris, cette contrainte à l’hétérosexualité qui ne se dit pas empêche du coup bon nombre de personnes, dont tu fais peut-être partie, de se poser VRAIMENT question : par qui suis-je attirée ? Et d’explorer des comportements en dehors de l’expérience hétéronormative sans éprouver ni honte ni culpabilité.
Originellement théorisé par Adrienne Rich, ce phénomène a surtout été étudié comme touchant en particulier les femmes, puisque la féminité n’a de réelle valeur que si elle est validée par les hommes et le male gaze, donc dans un cadre hétérosexuel. Cette hétérosexualité compulsive est donc intrinsèquement liée à la misogynie, qui considère la valeur des hommes supérieure à celle des femmes.
Ainsi, c’est peut-être la raison pour laquelle tu n’as pas eu l’occasion de développer plus tôt de manière consciente des sentiments amoureux pour une autre femme, alors que l’attirance était bel et bien là. Mais ce n’est qu’une possibilité de réponse parmi tant d’autres.
Sex & the Shitty, c’est la rubrique bimensuelle qui répond à tes problématiques pour débunker les injonctions autour de la sexualité et de la vie amoureuse ! Dépose-nous tes tracas ou questions anonymement et notre experte prendra le soin de te répondre. Interrogations existentielles, questions pratiques, sujets tabous… Ici, le mot d’ordre, c’est pas de jugement ni d’injonctions, que de l’information et de la bienveillance !
Une question ? Écris-nous à, [email protected], avec l’objet « Sex & the Shitty » !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires